Kas:st : Le duo français qui se libère des codes de la techno
Le saut dans le vide, sans chemin tracé, plan pré-déterminé ou ambition fixée. Actifs depuis 2014, les Français de Kas:st se sont fait remarquer avec des morceaux à succès, comptabilisant des millions de vues cumulées grâce à des titres tels que « Nepal » ou « Raving Alone« . En cinq ans, ils peuvent déjà se targuer d’avoir monté leur propre maison de disques – Flyance Records – et signé des sorties chez d’autres labels importants comme Concrete Music. Mais ce début de succès ne leur fait pas oublier leurs vélléités artistiques pour autant.
Installé sous le soleil catalan, le duo se lance en juin dernier dans un projet audacieux. Tous les mois, pendant un an, la paire partagera un nouveau morceau, souvent réalisé dans les semaines précédant sa sortie. Un moyen de rester dans le moment présent, dans la spontanéité de la création musicale. Une Road To Nowhere, qui sera finalement compilée et sortie en un disque de 12 titres, représentant les 12 mois de l’année écoulée. Et la première moitié laisse présager un kaléidoscope musical, naviguant entre une deep techno planante, des touches de liquid drum’n’bass et de l’acid éclatante offerte par un remix des Italiens de 999999999. Mais in fine, impossible de deviner la suite, Karol et Manuel souhaitant continuer à produire sans contraintes de styles. Les seuls mots d’ordre : émotion, voyage et expérimentation. Avant leur passage à la soirée parisienne Possession, le 23 mars, Kas:st a pris le temps de nous parler de sa musique et ses inspirations.
Plus vous avancez, plus vous semblez opter pour des titres cinématiques, avec de longues introductions et des sonorités proches de l’ambient. Ça vient d’où ?
On a toujours eu l’envie d’écrire une histoire à travers nos tracks et nos lives. On n’est pas des mecs qui écoutent de la techno 24 heures sur 24. On écoute vraiment de tout, de la house, du rap nouveau et old school, de la drum n bass, du flamenco, de l’ambient dont on est très fan… Et on est aussi très attirés par tout ce qui est mise à l’image de la musique, que ce soit des clips ou des BO.
Du coup, quand on fait de la musique, on n’a pas envie de faire de la techno « basique », à savoir des tracks uniquement faits pour le club. Quand on compose, on aime vraiment que ça décrive une histoire …
Ça vous arrive d’être influencés par d’autres choses que la musique ?
On n’a pas d’inspirations particulières, on fait vraiment au feeling et au plaisir. On aime bien l’idée que notre musique accompagne le quotidien des gens. Nous on a écouté et on écoute énormément de musique en marchant, en prenant le métro, en faisant du vélo … C’est pour ça qu’on sort des productions vachement émotionnelles. Ça permet d’accompagner sur la tristesse, la mélancolie, l’envie d’aimer, de danser, ce genre d’émotions assez basiques et humaines.
Quand on vient de la scène techno, ça prend du temps de se libérer et de faire une techno moins « basique » ?
C’est vrai que souvent on trouve ça un peu dommage qu’il y ait une certaine fermeture de la techno alors que pour nous c’est la musique qui vise le futur par excellence, et qui s‘imprègne de plein de musiques, lieux et images. Aujourd’hui, dans certains milieux – mais pas tous -, il y a vraiment une fermeture de la techno, et on trouve ça dommage par rapport à cette musique représente pour nous.
On ne s’est jamais posé la question et on fait vraiment la musique qu’on aime. Mais on est très agréablement surpris des retours du public. Parfois, on joue entre deux DJs pure techno, mais à travers notre live ou nos DJs sets on crée une vraie relation avec le public. 90% du temps, on est vraiment soutenu.
Outre les dates de tournée, est-ce que vous commencez à sentir un rapport à votre public via internet ?
On reçoit beaucoup de messages. Mais en dehors de la quantité, c’est plus la qualité de certains d’entre eux. De plus en plus souvent il y a des gens qui semblent capter notre musique. Ça nous donne vraiment envie de continuer. On a eu des messages d’une personne qui était en prison, d’une autre qui avait rompu avec sa copine et qui nous disait que notre musique l’avait aidé à se sortir du trou… Ça fait chaud au cœur parce que notre rapport à la musique c’est ça. Sortir l’émotion de soi, la réflexion … Ça permet de s’évader du quotidien qui n’est pas forcément facile tout le temps.
Depuis Road To Nowhere, et même avant, vous sortez des morceaux de façon assez prolifique. Vous avez déjà pensé à mettre vos sorties en pause pour travailler sur un long-format ?
On est parti sur le projet Road To Nowhere avec un track par mois pour pouvoir sortir des titres une ou deux semaines après les avoir produits. Pour nous, c’est super important parce qu’on adore expérimenter. A travers ce projet, on a déjà six tracks sortis. Quand tu connais le délai de fabrication de vinyles dans le monde électronique, c’est super bien. Ca nous est arrivé que des morceaux sortent 1 an et demi après les avoir produits, ce qui ne nous allait pas. Il y a des envies musicales qu’on a eu il y a 3 mois et qui ne sont plus d’actualité. Ce projet, ça nous permet vraiment de sortir nos envies du moment.
A part ça, on a plein de projets qu’on ne peut pas encore dévoiler. Mais toujours dans l’expérimentation. On veut mettre de l’image sur certaines créations, faire des tracks de 25 minutes… Pleins de concepts qui seront dévoilés plutôt au deuxième semestre.
Dans le nom de vos morceaux, on retrouve une esthétique assez similaire du cosmos ou de l’espace. Il y a quelque chose qui vous motive en particulier dans vos choix de titres ?
C’est souvent ce qu’on essaye de traduire à travers notre musique, avec l’émotion du morceau. Donc il y a souvent du rapport au cosmos, à la mélancolie, la solitude.
Vous avez longtemps était basé à Paris et vous produisez maintenant de Barcelone. Comment le changement de ville vous a impacté ?
Ce qui t’impacte quand tu joues tous les week-ends, c’est plus ton rapport au public et le résultat que t’as eu du week-end que le reste de la semaine, où de toute façon on passe presque tout notre temps dans le studio. Donc la différence de ville n’influe pas vraiment notre musique.
Il n’y a jamais d’épuisement quand on fait des dates tous les week-ends ?
Pour nous c’est un plaisir, c’est notre passe-temps favori et on a vraiment des bons retours surtout sur nos prestations live donc on est ravi. Et puis avoir beaucoup de dates, ça permet de tester des morceaux, les retravailler, donc c’est vraiment quelque chose qu’on adore.
Quand on ancre sa musique dans ses émotions, il n’y a pas un risque plus important de la page blanche ?
On est tellement excité par le projet Road To Nowhere, que pour l’instant on a toujours plein d’idées. On teste des tracks sur des dates en week-end, on les retouche après, et pour l’instant, on touche du bois, mais la page blanche n’est pas encore arrivée.
Sur Road To Nowhere, vous avez inclus dans les sorties des remixes de deux autres artistes (Räar et 999999999). C’est quoi le ressenti quand d’autres artistes repassent sur vos morceaux ?
C’est toujours très intéressant. On choisit les artistes qui remixent par rapport aux tracks. Par exemple, le dernier c’était « Hell On Earth ». Comme c’était le track le plus dur, on voulait un artiste qui représente cette techno un peu warehouse/acid. Donc on a parlé aux Italiens de 999999999 qui nous ont fait un truc super banger. Ça casse un peu nos textures, nos envies de voyage avec un titre plus warehouse classique. On aime que sur nos albums il y ait une certaine palette, ce qu’offrent les remixes.
Sachant que le projet finira par être compilé dans un disque complet, vous réfléchissez à la cohérence entre les morceaux ?
La cohérence on y pensera dans le classement des titres, en clôturant l’album. Mais l’idée du projet c’est de pouvoir bosser chaque mois un titre selon nos envies et inspirations du moment, donc dans la production on n’y pense pas.
Et du coup, vos inspirations du moment c’est quoi ?
Il y a le nouvel album d’Apparat qui va sortir et qu’on aime beaucoup de l’ambient. Chacun écoute un peu des trucs différents même si on a les mêmes gouts. En ce moment, on écoute pas mal The Prodigy, avec la mort de Keith Flint, des classiques, du jazz, et du rap US aussi, où il y a pas mal de trucs visuels dont on s’inspire. Après, avec Road To Nowhere on est vraiment focus sur nos projets donc on a un peu moins de temps pour écouter.
L’expérimentation, c’est la direction dans laquelle vous souhaitez aller pour toutes vos sorties à venir ?
Sur nos dernières tracks Road To Nowhere, ou d’autres apparues sur des compilations, on a des supers retours du public sur l’envie d’écouter des choses différentes, et nous c’est un truc qu’on a toujours voulu faire. Du coup on s’inscrit énormément là-dedans et toutes les sorties qui vont arriver vont dans le sens de l’expérimentation et l’émotion. On sent que les gens, par rapport à notre profil et vu qu’on a tenté des morceaux différents, veulent qu’on continue. On ne se pose pas trop la question parce qu’on a toujours fait ce qu’on voulait. Si c’est très bien reçu parfait, et sinon ce ne sera pas grave. Mais on veut vraiment pousser dans cette direction.
On est inscrit dans la case techno parce que c’est ce qu’on a fait et ce qu’on aime faire, mais on ne se dit pas « on va faire de la techno ». Pour nous, on fait de la musique avant tout.