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16 mai 2023

Jesse Saunders : À jamais le premier ? 🗞️

par Julien Duez

Jesse Saunders n’est pas l’inventeur de la house, mais se revendique comme le compositeur du premier disque du genre : On And On, crĂ©Ă© en 1983 et sorti en janvier 1984 sur son label Jes Say Records. Mais qui est l’homme derrière le masque de pionnier autoproclamĂ© ?

 

Cet article est issu du Tsugi 159 : La house a 40 ans, les origines d’une rĂ©volution

 

Dans la vie, il y a lĂ©gendes et lĂ©gendes. Celles que tout le monde connaĂ®t et celles qu’on se raconte Ă  soi-mĂŞme. Dans quelle catĂ©gorie ranger On And On, cet EP de six morceaux sorti le 20 janvier 1984 ? Peut-ĂŞtre avec un pied dans chacune des deux, parce que son crĂ©ateur, Jesse Saunders, ne compte pas forcĂ©ment parmi les noms les plus ronflants des origines de la scène de Chicago. En tout cas, pas pour les profanes. Preuve s’il en est, sa page WikipĂ©dia n’existe qu’en quatre langues, dont l’arabe Ă©gyptien et le bulgare. Et pourtant, sa galette est très souvent citĂ©e spontanĂ©ment lorsqu’il s’agit de rĂ©pondre Ă  cette question, somme toute lĂ©gitime : « Mais bordel, quel est donc le premier disque de house music de l’histoire ? » Cela dit, lors de sa sortie en 1984, le son house est dĂ©jĂ  bien implantĂ© dans la plus grande ville de l’Illinois, Frankie Knuckles fait office de dieu vivant et la Warehouse, d’incontournable lieu de culte. 

 

 

Jesse, l’hyperactif

Et Jesse Saunders dans tout ça ? Son histoire commence dans le South Side de Chicago en 1962, au sein d’une famille de la classe moyenne noire. Sa mère est institutrice et son grand-père, engagĂ© dans le mouvement des droits civiques, est connu, en plus de son activitĂ© de directeur d’un salon funĂ©raire, pour avoir ceint l’Ă©charpe de maire du quartier de Bronzeville, après avoir battu (dans les urnes) le champion de boxe catĂ©gorie poids lourds de Joe Louis. De cet inspirant papi, Jesse se souvient d’une phrase que ce dernier lui rĂ©pĂ©tait souvent : « Fiston, la raison pour laquelle la plupart des gens Ă©chouent dans la vie, c’est parce qu’ils ne font pas TOUT ce qu’il faut pour parvenir au succès. » Et ce, peu importe le domaine. Pour Saunders, ce sera la musique. Au dĂ©part, une activitĂ© parmi tant d’autres, sa mère veillant personnellement Ă  son Ă©veil culturel. Ainsi, lorsqu’il n’apprend pas la guitare, la flĂ»te, le piano ou la batterie, il joue au baseball, au tennis, chante dans une chorale, monte Ă  cheval ou dĂ©vale Ă  ski les pistes des montagnes environnantes. Et c’est prĂ©cisĂ©ment pour tuer le temps pendant les trajets en car depuis son domicile que « Jesse The DJ », comme il se surnomme dans son autobiographie parue en 2007, fait montre de ses talents musicaux : « À la maison, je plaçais l’aiguille de la platine sur la partie du morceau que je voulais Ă©couter avant de l’enregistrer. Ensuite, je pouvais modifier l’ordre de ces diffĂ©rents petits bouts grâce au bouton pause de mon magnĂ©tophone Ă  cassettes. (…) Ainsi, je pouvais rallonger mes parties prĂ©fĂ©rĂ©es sans devoir rembobiner la bande Ă  chaque fois. Les premiers artistes avec lesquels j’ai fait ça, c’Ă©tait Foxy, avec leur chanson « Get Off » et Funkadelic, avec « One Nation Under A Groove ». »

 

Une boombox et des mixtapes, l’histoire est en marche. Fils de son Ă©poque et de sa ville, Saunders tombe amoureux du disco après avoir entendu Donna Summers chanter « Spring Affair » dans un club de jeunes, ce qui va irrĂ©mĂ©diablement le conduire Ă  franchir les portes de la Warehouse et Ă  se professionnaliser en tant que DJ. Cependant, il faudra un passage loin de chez lui, Ă  Los Angeles, oĂą il Ă©tudie Ă  l’UniversitĂ© de Californie du Sud, pour s’offrir une petite cure d’humilitĂ© au sein d’un environnement oĂą il n’est personne. En 198l, Jesse rentre  au bercail et dĂ©cide de franchir une Ă©tape en ouvrant son propre Ă©tablissement, The Playground, « le tout premier Club de house » selon ses propres termes, dans lequel « il n’y avait aucune limite d’âge Ă  l’entrĂ©e », pour la pure et simple raison qu’on n’y servait pas d’alcool. « Tout ce qu’on avait c’Ă©tait un snack-bar, un point d’eau et basta. »

 

« On And On And On »

Quand il opère derrière les platines, Jesse Saunders dĂ©marre chacun de ses sets avec son morceau-signature : un medley baptisĂ© « On And On », qui reprend des tracks disco de la face A d’une compilation mixĂ©e par un certain Mach, La suite appartient Ă  la lĂ©gende, en tout cas Ă  la sienne. Comme il aime le raconter, un jour de 1983, avant de prendre son poste, le DJ dĂ©couvre stupĂ©fait que sa galette fĂ©tiche lui a Ă©tĂ© volĂ©e. Pour remĂ©dier Ă  ce fâcheux incident, il dĂ©cide de recrĂ©er ledit morceau Ă  l’aide d’une Roland TR-808 pour la batterie, d’une TB-303 pour la basse, d’un synthĂ©tiseur Korg Poly-61 et du sample de la ligne de basse du morceau « Space Invader », produit par les Australiens de Player en 1979, et prĂ©sent sur la compilation de Mach. Quelque part, l’initiative tomba Ă  pic puisque Jesse voulait justement franchir un nouveau cap en se mettant Ă  la composition. LĂ  encore bien entourĂ©, il profite de son amitiĂ© avec le producteur Vince Lawrence (et, accessoirement, du studio du père de ce dernier, fondateur du label Mitchbal Records) pour crĂ©er l’EP On And On, sur lequel on retrouve – effectivement –  des Ă©lĂ©ments caractĂ©ristiques de la house music sur le single Ă©ponyme et ce, en dĂ©pit d’un minimalisme quelque peu dĂ©concertant.

 

Dans l’ouvrage Last Night A DJ Saved My Life, Marshall Jefferson se souvient d’ailleurs qu’Ă  la sortie de On And On (dont le premier pressage Ă  cinq cents exemplaires a fini sold-out en trois jours), « tout le monde s’est dit : ‘Putain ! Je peux faire mieux que ça !’ « . Et de citer, Ă  titre d’exemples inverses, les singles de Jamie Principle « Waiting On My Angel » et « Your Love » : « Son truc Ă©tait trop bon. C’Ă©tait comme voir John Holmes (un acteur connu pour son engin de 35 centimètres, ndr) dans un film porno, tu sais que tu ne pourras jamais faire mieux. » Sauf que lesdits singles ne sont sortis sur vinyle « qu’en » 1985 et 1986, alors que Principle avait pourtant l’habitude de les passer avant cela sur cassettes lors de ses sets. Suffisant pour faire rentrer Jesse Sauders dans la lĂ©gende en tant que tout premier artiste Ă  avoir commercialisĂ© un disque estampillĂ© house music. D’autres suivront, sans pour autant lui apporter une reconnaissance Ă©quivalente Ă  celle d’un Frankie Knuckles, d’un Larry Heard ou d’un Farley « Jackmaster » Funk (dont il a d’ailleurs cosignĂ© le tube « Love Can’t Turn Around » en 1986).

Mais dans la grande et bordĂ©lique famille de la house, on sait malgrĂ© tout reconnaĂ®tre Ă  sa juste valeur : « Mec… Jesse a changĂ© la musique », conclut ainsi Marshall Jefferson. En 1997, l’ancien maire de Chicago Richard M.Daley l’a confirmĂ© en faisant du 17 juillet le Jesse Saunders And The Pioneers Of The House Music Day. Une belle reconnaissance pour quelqu’un qui n’a jamais cessĂ© de chercher la lumière et qui ne se prive jamais Ă  travers les deux livres qu’il a Ă©crits de raconter sa propre lĂ©gende. « The Originator of house », comme il aime se dĂ©finir, rĂ©side dĂ©sormais Ă  Los Angeles, oĂą il se remet d’une crise cardiaque qui a failli le laisser sur le carreau fin 2022. La house est immortelle.

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