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2 mai 2017

Jeff Mills, l’homme de l’espace

par Patrice BARDOT

À jamais assoiffé d’expériences inédites, le pionnier de Detroit nous propose ce coup-ci un nouvel album Planets, mi-classique mi-électronique qu’il avait en gestation depuis douze ans. Explications, alors que Jeff Mills a reçu ce week-end, de la main de Jack Lang, les insignes d’Officier de l’Ordre des Arts et des Lettres. 

Il a beau toujours bastonner son insubmersible tube « The Bells » lors de ses DJ-sets, comme en décembre 2015 à Paris pendant le formidable all night long que Weather Winter lui avait consacré, Jeff Mills aujourd’hui est ailleurs. Plus qu’aucun autre artiste électronique, celui qui est né à Detroit il y a bientôt 54 ans n’a de cesse d’explorer des terrains de jeu nouveaux pour développer sa musique, devenue trop à l’étroit dans un cadre strictement techno. Tout a démarré en 2001 avec sa création d’une bande-son pour le film mythique de Fritz Lang, Metropolis. En 2005, c’est lui qui le premier, au grand dam de certains puristes, fait se rencontrer la musique classique et techno avec son projet Blue Potential en compagnie de l’Orchestre Philharmonique de Montpellier dirigé par René Koering à l’occasion d’un fameux concert sous le Pont du Gard. Et les dernières fois où l’on a croisé sa route, c’était pour rendre compte de sa création pour la bande originale de la fiction de Jacqueline Caux Man From Tomorrow ou de son cinemix avec le pianiste classique Mikhaïl Rudy sur des images du film culte inachevé de Clouzot, L’enfer. Sans oublier son récent projet live enthousiasmant Spiral Deluxe, hommage à ses racines jazz-soul-funk.

DANS LES ÉTOILES

Alors que l’on fête cette année les 25 ans de son label Axis, on n’imaginait pas Jeff Mills se lancer dans une simple tournée de DJ-sets pour honorer l’évènement. Avec Planets, le quinquagénaire concrétise une histoire qui a démarré il y a très longtemps, mais alors vraiment très longtemps, comme il nous le raconte : « Dans mon enfance, j’ai été confronté à The Planets de Gustav Holst, j’avais assisté à des concerts qui le jouaient. » Cette oeuvre pour grand orchestre est composée de sept mouvements qui correspondent chacun à une planète du système solaire (d’où le nom). Holst, musicien britannique a écrit cette poésie symphonique entre 1914 et 1917 et elle a été jouée pour la première fois à Londres en septembre 1918. Cette pièce très complexe exprime des sentiments différents selon les planètes, par exemple Mars, “celui qui apporte la guerre”, Vénus “celle qui apporte la paix” ou encore Jupiter “celui qui apporte la gaieté”. Vu la période, The Planets est évidemment une sorte d’allégorie de la Première Guerre mondiale. Quasiment cent ans plus tard, alors que les temps sont également troublés, et que le spationaute Thomas Pesquet incarne peut-être les raisons de croire en un futur radieux, loin d’une terre épuisée par nos petites entreprises, Jeff Mills apporte sa vision à l’oeuvre puissante de Gustav Holst. S’il a découvert The Planets enfant, ce n’est que bien plus tard qu’il a eu l’idée de s’en emparer : “En 2005, peu de temps après mon expérience avec l’Orchestre Philharmonique de Montpellier, j’ai commencé à imaginer à composer de la musique qui s’inspirerait de The Planets. J’ai le sentiment que nos deux oeuvres partagent une certaine vision au sujet de la manière dont les humains sont spirituellement et physiquement liés avec ces autres mondes. Nous essayons que cela nous soit utile en les observant pour en savoir plus sur eux.”

SAVOIR LÂCHER-PRISE

La concrétisation du projet arrive encore plus tard en 2014 après l’expérience Light From Another World, qu’il mène avec l’Orchestre symphonique de Porto où il s’aperçoit que cette formation possède en elle toutes les qualités pour s’adapter à la musique électronique. Car la principale difficulté dans cette rencontre entre la musique de Mills et de Holst réside “dans l’équilibre acoustique entre les deux genres. Ça exige beaucoup d’attention, mais ce fut possible grâce à l’ingénieur du son et à toute l’équipe, qui ont travaillé à cette harmonie”. Le mixage en dolby surround 5.1 dans les prestigieux studios londoniens d’Abbey Road ayant apporté la touche finale d’homogénéité à un disque évidemment ambitieux. Planets demande de l’auditeur un certain “lâcher-prise” pour se laisser emporter dans ces fulgurances justement balancées entre électronique et classique, sans que l’une cherche à prendre le dessus sur l’autre. Elle semble bien loin l’incompréhension qui avait agité la scène techno lors des premières confrontations de Jeff avec la musique classique : “Aujourd’hui la plupart des personnes dans la musique électronique se rendent compte de mon intérêt véritable pour le mélange des genres. Ils comprennent aussi que je ne recherche pas juste quelque chose pour laisser tomber la musique de danse. Au début de ma carrière, comme beaucoup d’artistes techno, c’était un rêve de travailler avec un orchestre symphonique, mais nous ne pensions pas que cela était possible. Ma vision a toujours été la même et je peux vraiment la matérialiser maintenant, parce qu’à la fois dans la scène électronique et dans la scène classique, les gens ont envie aussi de vivre ces expériences.”

Si Planets fait la part belle à la musique classique, on retrouve également cette sorte de fil rouge dans la désormais longue carrière du fondateur d’Axis : son goût pour l’espace et la science-fiction, les deux étant intimement liés chez lui : “Dans ma jeunesse, j’étais vraiment passionné de science-fiction, c’est comme cela que j’ai découvert une certaine forme de musique classique en écoutant les bandes originales de films ou de séries comme Star Wars, Lost In Space ou Time Tunnel. En me plongeant dans ces musiques, j’avais l’impression de m’échapper mentalement vers un autre monde. C’est quelque chose que je recherche depuis toujours.” Les auditeurs auront-ils eux aussi le sentiment de décoller en écoutant Planets ? On peut le penser, tant l’éculé terme de “voyage”, que l’on évoque à tout bout de champ dès lors qu’il s’agit de musique électronique, prend ici tout son sens. Reste maintenant à Jeff Mills à accomplir son souhait ultime : travailler avec la Nasa. On lui donne rendez-vous très vite.

Planets, sorti sur Axis et disponible ici.

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