« Je reste fier de ma race ferroviaire » : Odezenne, un carton à la Fête de l’Huma
La Fête de l’Humanité se tenait du 9 au 11 septembre. Parmi les 60 artistes qui se sont enchaînés, Odezenne autoproclamé groupe de « musique botanique, romantique et pathétique » est apparu comme un parfait allié du festival, mariant à merveille politique et poésie.
On ne vas pas vous mentir : cette Fête de l’Humanité, il fallait la mériter. Son déménagement en Essonne nous aura valu 1h de RER, une navette et 20 minutes de marche. Sans compter la queue pour entrer dans le festival, à son climax aux alentours de 18h. Dur de ne pas ronchonner, d’autant que le sol s’est transformé en gadoue. Plus les heures avancent, plus les stands et les verres s’enchaînent, plus les glissades sont mémorables. Bon on se ressaisit, direction le stand Cuba pour se détendre avec un cuba libre. Le sourire des bénévoles nous fait vite oublier notre mini-mécontentement, on se laisse même tenter par une casquette à l’effigie du Che. Après cette année houleuse, l’aspiration de la fête de l’Humanité à unir les mouvements progressistes et humanistes n’a jamais été aussi vive. Et pour cela le festival sait, depuis sa création en 1930, comment agir : mélanger bouillonnement d’idées et moments festifs. Pour cette 87ème édition, il a convié des têtes d’affiche aussi éclectiques que Sexion d’Assaut, Dutronc&Dutronc, Ibeyi, Kiddy Smile ou encore Kid Francescoli. 400 000 visiteurs se sont réunis pour ce rendez-vous politique, culturel et musical de la rentrée.
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On se dirige vers Laylow, tête d’affiche rap qui a rameuté tous les jeunes sur la scène Angela Davis. Il enchaîne avec aisance ses morceaux, piochant aussi bien dans L’Étrange Histoire de Mr. Anderson que dans TRINITY. On n’en attendait pas moins de lui, qui a été sold out en 2h pour son concert à Bercy. On sent qu’on est entouré de vrais fans qui ne se privent pas d’hurler lorsque Jok’air s’invite sur scène, un rappeur avec qui Laylow a déjà réalisé plus d’une dizaine de morceaux. Il clôt son concert avec « SPECIAL« , ode à la bizarrerie sur voix over-autotunée où se sont greffés Nekfeu et Foushée. Le concert nous a bien chauffés, on est clairement « prêt à tout bouffer » comme le résume si bien le morceau « Piranha baby« .
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Sur les coups de 22h, notre cœur balance entre L’Impératrice et Odezenne. Les deux ont des réputations de bêtes de scène. Mais une petite voix nous susurre qu’Odezenne à la Fête de l’Huma, ça va avoir une saveur particulière. Jolie prémonition. En même temps le groupe est le symbole de l’indépendance : ils sortent tous leurs albums sous leur propre maison de disque, Universeul. Ils sont aussi les précurseurs et artisans d’un éclectisme musical, bref, ils entretiennent des valeurs chères au festival. Dès 2014, pour la sortie de leur EP Rien, le politique se mélangeait avec le poétique. On pouvait entendre dans « Novembre » :
« C’est avec les ambitions qu’on attrape le financier, avec les munitions que dérape le policier. C’est une condition de devoir nous laisser vivre. La foule en érection, est déjà, bien ivre. En réanimation dans des lits noirs et blancs, ne tire aucune leçon de nos arracheurs de dents »
Vous commencez à comprendre pourquoi on sacre Odezenne « groupe-qui-va-le-mieux-à-la-Fête-de-l’Humanité » ? Dès le début du concert, il est frappant de voir à quel point le public du festival ressemble à celui d’Odezenne : des gens de 15 à 80 ans, bienveillants et surtout, prêts à en découdre. Le groupe commence avec avec une poignée de chansons issues du dernier album 1200 mètres en tout, mélangées avec habileté à leurs succès romantiques d’Au Baccara, notamment « Nucléaire » et le déchirant « Au Baccara » où la foule s’égosille : « Je ne suis pas l’homme de ta vie, je suis l’homme de la mienne« .
Puis Alix dédicace « Caprice » à sa sœur. Jaco se met en retrait, créant le délicat balai de deux amis qui n’ont même plus besoin de se regarder pour se comprendre. Des gouttes de transpiration dévalent les tempes du batteur. Elles s’élancent sur la cymbale et sont projetées dans la salle. On dirait des étoiles filantes. Promesse tenue, Odezenne nous a bien emmenés « voir au-delà du temps » pendant trois minutes.
Changement d’ambiance lorsque les premières notes de « Je veux te baiser « retentissent. Jaco se déhanche avec une sensualité prête à faire rougir la septuagénaire à nos côtés. Le groupe sait faire plaisir à son public. Même huit ans après la sortie de leur hit, ce morceau ne manque jamais à l’appel. C’est ça la magie des concerts d’Odezenne. Il enchaine entre mots doux au creux de l’oreille et discours sans détours sur un amour charnel. C’est le moment pour le public de se saisir de la main, ou plutôt des hanches, de la personne qu’il veut secrètement aimer, « direction le septième ciel« .
Le groupe nous réserve d’énormes pogos sur la triplette « Bitch« -« Bonnie« -« Bébé« . « Bitch » amorce merveilleusement les influences électroniques du groupe, qui nous avait déjà confié en interview : « Les premiers concerts d’Odezenne, c’était en free party. On y allait à 4h du mat. C’est de la musique qu’on apprécie et c’est pour ça qu’on se laisse aller sur quelques morceaux ». Avec ses basses saturées, « Bonnie » amorce un tournant dark que le public prend avec plaisir. On comprend alors pourquoi l’Humanité, le journal à l’origine du festival, titre son édition du lundi « Le peuple en majesté« .
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Les musiciens d’Odezenne ne nous donnent que quelques minutes pour reprendre notre souffle. Les premières notes de « Bleu fuchsia » sont amorcées et semblent déjà côtoyer le ciel. Ce morceau, hymne aux travailleurs de l’ombre, « aux préparateurs de commande » prend une résonance particulière à la Fête de l’Humanité. Et ça Jaco, qui parle de son expérience au marché de Rungis, le sait très bien : « C’est pour vous la fête de l’huma ! » Le résultat est magique. « Les ampoules de la tenaille » sont remplacées par les éclaboussures de boue d’un public survolté. L’élan poétique de ce morceau se déploie par deux simples mots, qui s’intercalent dans la réalité brute et dure de l’ouvrier : « Bleu, Fuchsia« . La main dans le cambouis, la tête dans les étoiles.
La foule braille de toute ses forces : « je reste fière, de ma race ferroviaire ». Oui, la Fête de l’Huma est bien le reflet du monde du travail et des luttes qui lui incombent. C’est évidemment dans les nombreux débats, avec les dirigeant·e·s, parlementaires qui avaient lieux dans les espaces officiels de l’Humanité, que se construisent les mobilisations à venir sur les questions sociales, environnementales et les enjeux de paix. Mais qu’est-ce que c’est puissant lorsque ces valeurs s’expriment dans l’art. Le dancefloor n’a jamais été aussi politique.
« Matin« , bijou uniquement visionnable sur Youtube pendant de nombreuses années, »chanson de puriste », amorce la fin de leur concert. Les regards se croisent, les mains s’effleurent, place à l’amour, le vrai. Ce morceau, c’est un hymne à la passion et à la liberté… « qui dit mieux ?« . Lorsqu’on les interviewait pour la sortie de leur album 1200 mètres en tout, leur discours était déjà teinté de cette seule envie : être libre. « Odezenne a toujours été un moyen d’être libre. Libre dans la vie, on ne bosse pour personne, on fait ce qu’on veut. On est libre de réaliser nos envies ». Se réaliser dans la musique, c’est le défi relevé par Odezenne et par la Fête de l’Humanité en général. Alors le temps d’un week-end, les paroles de « Matin » n’ont jamais pris autant d’ampleur : « On dirait qu’on défie les heureux« .
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