Jacques : « J’en ai rien à foutre de ce que les gens pensent de moi »
L’année dernière arrivait de chez Pain Surprises un bel ovni : Jacques, remarqué dans une conférence TED improbable et fils du musicien Etienne Auberger (la pomme ne tombe jamais très loin de l’arbre comme dirait mami), dévoilait Tout est magnifique. Derrière le slogan ? Quatre titres de « musique concrète », à savoir composés de samples chopés dans la vie de tous les jours. Des stylos, la pluie, un chat qui mange son pâté… Tout, chez Jacques, est non seulement magnifique, mais surtout musical. Alors qu’il s’apprête à ramener ses micros et ses objets bizarres à Marseille pour L’Edition Festival, on a attrapé ce fou d’enregistrements entre deux concerts. L’occasion de discuter spontanéité, improvisation et musique faite avec des extincteurs.
Tu joues ce vendredi 27 mai au rooftop marseillais R2!, dans le cadre du festival L’Edition. Pressé d’être à Marseille ?
Oui, d’autant que j’y vais aussi pour retrouver Alain Damasio, l’auteur de science-fiction. Il écrit un bouquin sur des êtres sonores et il m’a demandé de composer de la musique pour son livre. Il le sortira dans trois ans, on s’est rencontré, on a bien accroché… Mais c’est pour dans longtemps !
Tu as d’autres projets à plus court terme ?
Je sors bientôt « Dans la radio », un morceau fait avec des sons de la maison de la radio. Ils ont enregistré leurs extincteurs, leurs poteaux, leurs portes, leurs tiroirs… Et ils m’ont demandé d’en faire un titre, c’est rigolo. Il y aura un clip pour l’accompagner. Aussi, je travaille sur un morceau (qui va être trop bien d’ailleurs) avec Superpoze, et sur une BO de court-métrage avec Flavien Berger. Et j’ai « Transversal », un projet qui me tient pas mal à cœur : c’est une compilation de morceaux réalisés par 15 artistes. L’idée était de travailler sur l’ordre et le désordre, sur le bruit et la musique. Je leur ai donné des samples, des bruits de la vie de tous les jours que j’ai enregistré, et ils ont travaillé dessus.
Pas mal de choses dans les cartons donc. Depuis ton premier EP Tout est magnifique, on s’inquiétait un peu : tu n’as sorti qu’un morceau, « L’arrivée D’Autrechose ». Tu peux nous en parler ?
Le morceau a été enregistré en une soirée, c’était très sympa. J’étais à New York avec Pedro Winter et Superpoze, ils donnaient une interview à The Lot Radio. Les gens de cette radio m’ont finalement invité la semaine d’après, dans leur container. Je ne voulais pas faire un bête DJ set, alors j’ai enregistré ce titre, retransmis en live stream. C’était rigolo avec le décalage horaire et les gens qui se demandaient ce qu’était ce DJ set raté ! Tout a été très vite mais j’avais le scénario de « L’arrivée D’Autrechose » dans la tête depuis longtemps : des objets communiquent entre eux, se répondent, comme dans la musique électronique indienne.. Jusqu’à l’arrivée du synthé. Boum, ça repart, les objets communiquent avec cet autre chose (d’où le nom du morceau), et ça finit par sonner un peu comme un wobble de dubstep.
C’est très réfléchi à l’avance tout ça…
La seule chose qui change entre spontanéité et réflexion, c’est le délais pour faire le truc : quand j’ai eu cette idée d’histoire à raconter, c’était spontané. Et des semaines plus tard, on a pris 24 heures pour l’enregistrer avec Sylvain, l’ingé son de Superpoze. De toute façon, je n’arrive pas à créer sans scenario. Beaucoup de musiciens travaillent comme ça, la seule différence c’est que j’ai tendance à verbaliser mes idées.
Et côté, live, comment ça se passe ?
Mes concerts sont maintenant enregistrés et improvisés. Parfois c’est foireux, mais parfois c’est trop cool !
Improvisés ?!
J’ai vu que j’allais faire beaucoup de concerts. Ça allait devenir mon métier, j’en étais super content, c’est ce que je voulais… Mais ça sous-entendais que j’allais passer beaucoup de temps sur la route. Et si ce n’est pas créatif, j’allais m’ennuyer. Je ne voulais pas être répétitif. J’ai petit à petit abandonné ma trame en inventant au fur et à mesure des concerts… Pour finir par improviser complètement. J’ai aussi pu m’acheter des micro contact, ce qui me permet d’enregistrer des sons d’objet en direct. J’ai une cinquantaine d’objets dans mes sacs et j’en utilise une dizaine sur place, des choses plus grosses comme des extincteurs, des ventilateurs…
Et tout ça sera enregistré ?
Je vais réunir tous les concerts de cet été sous le même signe : je viens devant vous pour enregistrer mon disque. Les gens sont témoins d’un processus qui n’a pas été conçu pour eux, qui ne s’adresse pas à eux, ils n’en sont pas juges. J’ai l’impression d’être plus honnête car je n’ai jamais vraiment fait de concerts pour les gens, leur avis ne m’importe pas, je n’ai pas peur de ce qu’ils peuvent penser. Ce n’est pas un manque de générosité, on passe un moment ensemble quand même ! Tant mieux s’ils aiment mais si non, ça ne doit pas déranger mon processus créatif. Les gens qui te font des « allezzzz » pendant le concert peuvent être de vrais siphons émotionnels. Et quand tu improvises tu ne peux pas te permettre de perdre de l’énergie !
T’en as pas marre qu’on te présente toujours comme le foufou de service à la coup de cheveux rigolote, alors que là, quand tu expliques tes process et ta façon de concevoir ton projet, c’est très sérieux ?
Eh bien… J’en ai rien à foutre de ce que pensent les gens de moi ! Mon bonheur ne dépend pas de mon succès auprès des autres. Je m’exprime juste par hygiène mentale, je ne suis pas là pour convaincre les gens. J’arrive un peu comme ça, de nulle part, sans lubrifiant, les gens vont mettre au moins cinq ans à comprendre ce que je fais.
© Julie Oona
Tu continues à piocher tes sons sur Freesound ?
De moins en moins. Je commence à recevoir des sons de pleins de gens, j’enregistre un peu plus, je récupère des sonothèques de cinéma… A partir du moment où tu fais le lien entre un son et l’émotion qu’il peut produire au sein du chanson, tout ce qui est en rapport avec l’obtention de ce son devient un truc tout aussi kiffant que le son en lui-même. Des gens ont compris ça et ils cherchent des sons parce qu’ils y voient un potentiel. Tout à l’heure, je discutais avec un gars qui a travaillé sur le sound design de Gravity, il me disait qu’il était en train d’enregistrer des fusées aux Etats-Unis et qu’il voulait bien m’en passer, j’étais trop content ! Il y a comme un truc de collectionneur.
On a pas mal parlé du concept de Tout est magnifique ici. Tu comptes changer d’idée ou rester dans ce postulat ?
Je ne sais pas encore. Il y a des gens qui ne découvrent Tout est magnifique que maintenant, je voudrais laisser le temps au message de bien rentrer. Mais de toute façon, ça reste la trame de fond de ce que je fais, ce n’est pas pour rien que j’ai commencé avec ça : au même titre que tout peut être considéré comme de la musique, même des sons venant d’objets, tout peut être magnifique.
Jacques en concert : ce vendredi 27 à l’Edition Festival, au Bikini toulousain le 4 juin, à We Love Green le lendemain, à Barcelone (invité par Agoria) le 19 juin, au festival La Douve Blanche les 2 et 3 juillet, à l’Ubu le 7 ou encore le 12 au Big Festival de Biarritz.