Interview : reprises, féminisme et guilty pleasures avec Clara Luciani
Faire de la poésie une arme, et de la musique un combat… Voilà la philosophie de Clara Luciani qui, doucement mais sûrement, se fait une place de choix au sein de la nouvelle scène française. Pourtant, elle n’a rien d’une nouvelle venue : elle est passée par La Femme et par le duo Hologram, avant de collaborer avec Benjamin Biolay, Raphaël ou Nekfeu sur “Avant tu riais”. Un premier EP en solo en 2017, suivi de son premier album Sainte-Victoire en avril dernier… Les torrents de larmes laissent place à des vagues d’amour. Grâce à des compositions rock entêtantes et surtout une voix pure qui vous transperce de vérité, Clara Luciani s’impose comme une madone animale et transpirante de classe… Sur les traces d’Hardy et Barbara, de Sanson et Dalida. À quelques heures de son premier concert à Solidays sur la scène du César Circus, Tsugi a pu profiter d’une interview pleine de rires timides sous le soleil, exactement.
Quelles sont les voix qui t’ont le plus inspirée?
Ca va être assez simple, parce qu’il y a deux femmes que j’admire pour leurs voix : d’abord Nico, qui sait utiliser une voix presque d’outre-tombe, très profonde et très froide… Et puis Françoise Hardy, parce que je trouve qu’elle a eu l’élégance d’avoir une voix très droite, blanche et directe. Parce que j’ai vraiment un problème avec les chanteuses qui font des vibes, qui en font des caisses, bref qui sont maniérées. Je n’aime pas, dans la vie en général, les gens qui font trop de manières et du coup des voix comme Nico et Françoise Hardy révèlent une certaine forme d’humilité qui me touche beaucoup.
Et niveau composition?
Pour moi, parmi les plus grands compositeurs et mélodistes, ça se jouerait sûrement entre Michel Legrand et Paul McCartney.
Si tu ne pouvais conserver qu’un album, ce serait lequel ?
All Things Must Pass de George Harrison. C’est un album que je peux écouter du début à la fin, ce qui est assez rare chez moi. J’ai toujours au moins une chanson que je zappe, ou qui m’embête un peu dans un album. Et celui-là pas du tout, je trouve qu’il vieillit extrêmement bien. Puis voilà… les Beatles et ensuite leurs carrières solo, c’est une de mes sources d’inspirations principales depuis toujours.
Tu t’es faite connaître en solo notamment avec des reprises : « Jean Bleu » reprise de Lana del Rey, « La Baie » reprise de Metronomy… Pourquoi reprendre des chansons en français? C’est dans la lignée de ce qui se faisait dans les années 1960, ou bien pour amener encore quelque chose de nouveau à ces morceaux?
Y’a de ça, clairement ! J’étais assez fan des reprises de Marie Laforêt, qui reprenait les Stones en français : ça m’a toujours fascinée et je trouvais l’exercice hyper cool, donc j’avais envie de m’y mettre. Et puis il y avait des chansons que j’adorais, que j’avais envie de reprendre mais je voulais qu’il y ait une valeur ajoutée quoi! Et je me disais « qu’est-ce qui pourrait me permettre de mettre un peu de moi dans ces chansons-là? ». Les transposer en français tout en me permettant certaines libertés, je trouvais que c’était un bon compromis pour faire une reprise assez personnelle.
Parce que justement dans « La Baie », c’est pas une traduction littérale, tu te permets des libertés dans l’interprétation…
Alors en fait moi, je parle très mal anglais. Donc quand j’écoutais la chanson « The Bay » de Metronomy, elle m’évoquait un paysage exotique avec des gens nus qui mangeaient des fruits… Et en fait on m’a dit que pas du tout, que j’étais complètement à coté de la plaque et que Metronomy parlait d’un endroit en Angleterre donc beaucoup moins exotique. Et je me suis dit « Tant pis, ce sera ma version de La Baie » : j’avais en tête des paysages exotiques, notamment évoqués par Baudelaire dans L’Invitation au Voyage, par Gauguin ou Le Douanier Rousseau dans leurs tableaux… J’avais en tête une île rêvée et j’avais envie de faire une chanson autour de ça.
Tu es dans la compilation Souvenirs d’été, pour laquelle tu as repris « Sous le soleil exactement » : pourquoi ce morceau et qu’est-ce que tu as voulu y apporter?
J’ai choisi cette chanson pour deux raisons : la première c’est que je me considère comme une fille du soleil. Je suis née en juillet dans le Sud de la France, donc j’ai toujours eu un rapport au soleil assez intense et important. Et comme j’habite à Paris depuis six ans, le soleil est vraiment quelque chose qui me manque. Et la deuxième raison est simple, c’est que je suis une grande fan d’Anna Karina et une très grande fan de Gainsbourg. Je n’avais jamais osé reprendre quelque chose du répertoire de Gainsbourg et cette compilation c’était l’occasion, alors je me suis lancée.
Dans cette compilation on trouve des chansons très populaires, est-ce que tu as des guilty pleasures?
Oh oui, beaucoup! Je ne suis pas du tout snob de ce côté-là. Les chansons populaires ça permet la communion et y’a rien qui me touche plus qu’entendre des gens chanter une chanson à l’unisson. Et qu’elle ne soit pas intellectuelle, ça ne me choque pas du tout, au contraire. Dans notre époque à nous, on a Maître Gims qui est très fort pour trouver des mélodies, tu les écoutes une fois et ensuite tu les as en tête… Quand « Sapés comme jamais » est sortie, je ne chantais plus que ça !
Dans ton album Sainte Victoire, on trouve des titres qui parlent de ruptures mais aussi des chansons intensément féministes comme « La Grenade », « Drôle d’époque »… Y’a encore du chemin à faire?
Oui, évidemment! En tout cas je ne fais pas partie des gens qui disent que rien ne change et qu’on est dans un monde désespérément noir, je crois que c’est faux et qu’on voit énormément de progrès, je le vis et je le saisis. Mais par contre oui, il y a encore une marge de progression. J’ai entendu pas mal de bêtises sur les femmes en général, par exemple sur le fait que ça surprenne encore qu’on fasse des chansons nous-même…
Tu faisais partie des chanteuses rassemblées par le duo Brigitte pour La Fondation des Femmes, tu peux nous en parler?
On a chanté l’hymne du MLF, et j’étais entre Elodie Frégé, Pomme, Anais, Inna Modja… C’était un vrai plaisir de faire ça, on s’est beaucoup amusées à le faire. Il y avait énormément de bienveillance, c’était un peu une chorale rêvée avec des femmes inspirantes, géniales et généreuses. J’ai pas encore écouté ce que ça donnait, mais je crois que ça va être émouvant d’entendre une chorale rassemblée autour d’une même cause.
Tu es la dernière femme à jouer pendant le week-end des 20 ans de Solidays, qu’est-ce que ça représente pour toi?
Je ne sais pas, est-ce qu’il vaut mieux être la première ou la dernière femme? De qui est-ce qu’on se souviendra? (Rires) Non je sais pas, je suis hyper heureuse de jouer à Solidays. J’aurais pu même jouer à 13h30 à la guinguette et j’aurais été aussi contente… Je suis émue dans tous les cas.
Tu n’étais jamais venue à Solidays même en tant que festivalière, mais on te sent très attachée aux valeurs que défend le festival…
Je ne peux que souligner l’intelligence du concept. Mêler la musique qui est la chose la plus importante de ma vie, à une cause aussi essentielle, je trouve ça brillant. On est dans un microcosme très privilégié à Paris, peut-être, où finalement on arrive à parfois oublier que le Sida existe… Je crois que c’est bien, quand même, que tout le monde se souvienne de ça au moins trois jours par an pour avoir cette petite piqûre de rappel, se sentir responsable et au courant.
On a vu beaucoup de partage, de communion et de ferveur à Solidays. Comment tu penses ton live va se passer ce soir?
J’espère que les gens seront réceptifs. J’ai beaucoup à donner, j’espère qu’ils auront envie d’accueillir ma musique avec bienveillance c’est tout ce que je peux espérer. Par exemple dans les derniers festivals qu’on a faits, les gens connaissaient un peu les paroles et ça c’est quelque chose qui me bouleverse ! Voir des gens qui chantent même juste « La Grenade« … Je suis encore à ce stade où c’est tellement le début, tellement la naissance de ça… Vraiment sur scène j’ai déjà eu les larmes aux yeux à cause de ça, en voyant les gens chanter !
Le concert idéal pour toi, comment ça se passe, qu’est-ce que tu ressens?
Un concert idéal, c’est un moment où dès le départ, je me sens en parfaite communion avec les musiciens et avec le public. C’est un concert où, à l’arrivée, à la toute dernière chanson, je me dis « Quoi, déjà? Mais ça fait 3 minutes que je suis là! » et honnêtement, ça m’arrive régulièrement.
On te sent plus positive en ce moment ! Notamment dans ton album, alors que l’EP Monstre d’amour était clairement porté sur la mélancolie…
C’est clair ! D’un point de vue sentimental, je crois que je peux dire que j’ai retrouvé des forces. J’appréhende aussi différemment les relations humaines et je crois que c’est un peu ça, la clef du bonheur : comprendre certaines choses concernant l’amour, le couple, les relations… J’ai changé mon regard sur ces sujets-là qui étaient très importants pour moi, j’ai trouvé mon équilibre et je crois que ça se ressent. Moi je le ressens en tout cas.
Tu écris beaucoup et depuis longtemps : qu’est-ce qui t’a donné envie d’écrire?
En fait rien ! J’ai toujours eu ça en moi comme une pulsion, j’avais un blog quand j’étais ado… Chez moi c’est un truc aussi nécessaire que manger ou dormir. Des fois j’écris des trucs vraiment pas bien, même pas dans l’idée de le publier ou de le chanter mais juste parce que j’en ai besoin. Ca a toujours été très nécessaire à ma survie.
La suite pour toi c’est quoi? Tournée, projets, studio?
Un deuxième album, parce c’est très important pour moi que ça ne s’arrête pas ici ! J’ai l’impression d’être au tout début de cette aventure… Et puis faire le plus possible de concerts, parce que je crois que c’est ce qui me rend le plus heureuse.
Tu t’es donnée une deadline pour l’album?
Non, en fait j’agis assez mal sous la pression, donc j’ai décidé de pas m’en donner. C’est plus simple !
Après Solidays et Cabourg, Clara Luciani continue sa tournée. Elle sera notamment de passage au Festival Days Off, aux Francofolies et au Paléo, avant plusieurs dates en Belgique.