Interview|On a parlé mort, amour et improvisation avec La Force
Après ses concerts au Café de la danse, et avant la sortie vendredi de son nouveau projet -cette fois en solo- XO Skeleton, on a rencontré Ariel Engle, alias La Force. La membre du groupe Broken Social Scene nous a raconté son processus de création, son rapport à la mort et a dessiné pour nous les contours de son nouveau projet.
Chanteuse, compositrice, la Montréalaise La Force est l’une des têtes récurrentes de la scène indie-pop canadienne. Depuis une quinzaine d’années, elle enchaîne les collaborations : elle fait partie du groupe Moufette au début des années 2000, intègre Broken Social Scene en 2017, lance le projet AroarA avec Andrew Whiteman, et partage depuis dix ans la scène avec un certain Patrick Watson.
À l’heure où on parle, tu as d’ores et déjà fait deux concerts au Café de la danse : c’était comment ?
C’était génial ! On est trois sur scène, deux musiciens et moi. On s’est amusés, je me sentais confortable. Le public était super à l’écoute les deux soirs, malgré la chaleur affreuse dans la pièce. Donc je les applaudis pour leur patience !
Si on peut dire que ton premier album était tourné autour de la force du deuil, de la résilience et du fait d’être mère, comment est-ce que tu traduirais la force dans ce nouveau projet ?
Je parle souvent de la mort, et je crois que j’en parlerai toujours. C’est un sujet qui me fascine, donc ce thème-là reste très présent. Dans XO Skeleton, je ne parle pas d’un deuil aigu comme dans le premier album, mais plutôt de la manière dont on le digère. Je ne sais pas si c’est parce que tout le monde en Amérique du Nord est en thérapie, mais il y a un côté un peu drame psychologique, que j’explore dans le disque.
Et comment tu traduis ça dans tes paroles ?
Pour moi, c’était très important que les paroles m’interpellent, que j’aie envie de les chanter tous les soirs, et de la musique avec des accroches. Surtout, j’ai voulu faire de la musique qui pouvait être jouée dans un salon, avec très peu de monde. J’avais besoin de faire quelque chose à taille humaine.
Dans tes projets, tu parles beaucoup de la mort et du deuil. Pourquoi est-ce si important pour toi d’en parler ?
Je trouve ça incroyable qu’on n’en parle pas plus. Et pour moi, ça a été une fixation depuis l’enfance, je suis née dans une famille de parents de religions différentes, qui sont athées, donc j’avais comme une absence de spiritualité à la maison. Presque une aversion à toutes formes de religion. Donc il y avait de grandes questions comme « d’où vient-on ? » et « où va-t-on ? », et je ne comprends pas pourquoi c’est un tabou. En ce moment, je suis dans un appartement qui donne sur le Père Lachaise, et le matin j’adore me promener. Je me rends compte que l’esthétique des cimetières est assez macabre, mais ce ne sont pas les morts qui nous hantent, mais c’est plutôt nous qui les hantons. On a crée cette architecture folle pour eux.
Il y a une idée de seconde peau, à la fois dans le titre du projet et pour la pochette de l’album. C’est une sorte de renaissance ?
Absolument ! J’essaye d’évoquer le changement d’état, le masque de la mort et le fait d’immortaliser le moment. XO Skeleton est écrit différemment pour exprimer comment on se protège les uns envers les autres par l’amour. Quand tu embrasses quelqu’un que tu aimes beaucoup, ce n’est pas juste parce que tu aimes la sensation, mais pour moi c’est aussi un geste de protection. Surtout envers nos enfants et nos amants. J’ai voulu créer une sorte de carapace, qui au final ne nous protégera pas de la mort… Mais c’est une protection tout au long de la vie.
La mort définirait la vie, donc ?
C’est un peu ça. Lorsqu’on parle de squelette, ça peut avoir une tournure macabre. Mais on oublie que le squelette, ce que l’on associe à la mort, c’est aussi ce qui nous donne une forme. Donc la mort définit la vie quelque part. C’est cette belle interaction que j’ai voulu mettre en avant.
Je vois d’ailleurs que tu portes un t-shirt plein de « XO » imprimés dessus
Je l’ai fabriqué moi-même ! Je vais en produire quelques exemplaires. Si je pouvais, je les fabriquerais tous, mais ça prend pas mal de temps. Ce sont de vieux t-shirts usagers, j’ai fait plusieurs tests, en peignant à la bombe ou à la javel… Ça me plaît. Certaines traditions disent que les vêtements ou les bijoux que l’on porte fonctionnent comme une protection. Donc pour moi, c’est un acte symbolique, de porter ces vêtements.
Évacuons-le tout de suite : est-ce que tu visualises ta musique comme une forme de spiritualité ? On retrouve pas mal de références dans ce sens dans ton travail, déjà avec ton pseudo, des morceaux comme « Ouroboros »…
Pas vraiment. Je suis une personne très visuelle, donc j’aime beaucoup les images. Et puis La Force, c’est plus parce que j’aime jouer au tarot : c’est amusant, mais je ne mets pas de magie là-dedans. Je pense que c’est une belle façon de raconter des histoires, et j’adore l’image de la femme ouvrant la gueule du lion, qui représente la carte. J’aime cette tension entre le côté animal et le côté rationnel. Je pense que quand on est un artiste, on est toujours confronté à cette tension
Tu as participé à de nombreux projets depuis environ 15 ans, notamment au sein du groupe Broken Social Scene, ou en duo avec ton mari Andrew Whiteman pour AroarA. Tu devais même faire le deuxième album d’AroarA. Pourquoi t’être plutôt lancée en solo ?
Parce que je voulais faire moins de concessions. Quand on est en groupe ou en duo, il y a un va-et-vient, on doit faire des compromis. Ça ne veut pas dire que j’étais seule pour cet album, j’étais très bien entourée. Mais au bout du compte, j’ai toujours fais mes propres choix, c’est très important pour moi. J’adore travailler avec d’autres gens et je le ferais toujours, mais il faut qu’il y ait quelque chose qui m’appartienne.
Sur ton compte Instagram, tu te mets en scène en train de composer des chansons. Peux-tu nous décrire ton processus de création ?
Je crée toujours la musique et les paroles en même temps. C’est très rare que j’écrive un texte sans musique, c’est une sorte d’alchimie. Idéalement, quand je commence à écrire et composer un morceau, je suis seule chez moi, je joue presque toujours avec une boîte à rythme des années 80’, une machine que j’adore, c’est une grosse partie de mon processus. Je ne me suis pas encore lancée dans la composition sur ordinateur, je reste dans une manière de faire très « organique », très simple et par moi-même, chez moi. Mais presque tous les morceaux que j’enregistre restent inachevés, disons à 50-70%, et je les termine au studio.
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Au café de la Danse, tu jouais avec Patrick Watson, avec qui tu partages la scène depuis une dizaine d’années. Quel effet ça fait quand vous êtes ensemble en concert ?
On a fait notre première tournée ensemble en France ! J’étais enceinte, c’était intimidant au départ, maintenant je m’amuse. Parce qu’il y a toujours une proportion du show qui est un peu improvisée, et ça demande une grande écoute de tout le monde sur scène. J’adore l’improvisation. Pour moi, il faut savoir improviser si on est musicien. Et ça arrive d’échouer sur scène, mais ça fait partie du jeu. L’idée, c’est vraiment de ne pas trop s’attacher à la perfection.