Interview : la pop bidouillée de Grand Blanc
En 2016, la sortie de Mémoires vives, premier album de Grand Blanc, a l’effet d’une bombe sur le paysage musical français. Son mélange brillant de pop, rock et électro l’emmène sur les scènes de Rock en Seine, d’Asie et de l’AccorHotels Arena, en première partie d’Indochine. Deux ans plus tard, le groupe messin est de retour avec Image au mur, un deuxième album plus simple, plus doux mais tout aussi séduisant. Quelques jours après la release party au Badaboum, entre deux parts des restes de gâteau arc-en-ciel, nous avons rencontré Benoît, Camille, Korben et Luc pour parler voyages, rêves et concerts.
Vous venez de sortir votre deuxième album Image au mur. On entend souvent parler de cette « pression du deuxième album », vous l’avez ressentie ?
Benoît : On l’a anticipée mais je n’ai pas l’impression qu’on l’ait ressentie. On est beaucoup restés entre nous, on a écrit le disque à la campagne. On a essayé de creuser pour trouver des choses sincères à dire. La pression est arrivée avant la sortie, on se demandait si ça allait vraiment intéresser les gens. Par contre, en l’écrivant, pas vraiment.
Korben : Oui, c’est surtout l’attente de la sortie qui a été difficile.
L’idée de l’album vous serait venue en haut d’une tour à Hong Kong ?
Camille : Ce n’est pas vraiment l’idée de l’album. Dans Grand Blanc, c’est Benoît qui écrit, il a des idées à n’importe quel moment du jour et de la nuit. Là, il s’est avéré qu’on était en haut d’une tour à Hong Kong, c’est une phrase qui s’est retrouvée dans « Ailleurs ».
Benoît : J’écris avec des jeux de mots. Ça permet de dire deux choses en même temps, en admettant la contradiction. Là, il y avait cette histoire d’ascenseur et cette histoire d’« ailleurs » en français et « desire » en anglais. Cette note nous ramenait à un bon moment, la fin de la tournée de Mémoires vives en Asie. C’était notre première tournée, on a commencé un peu à l’arrache et on a fini à l’autre bout du monde. Image au mur est un album à la fois rétrospectif et introspectif qu' »Ailleurs » représente très bien.
« Ailleurs » est justement plein de jeux de mots, entre « ailleurs », « higher » et « desire » pendant dix minutes. Comment êtes-vous arrivés à un morceau aussi long ?
Camille : C’est cette idée bête que quand tu répètes cent fois un mot, il devient de la matière, il perd son sens. Ici, « ailleurs » avait deux sens. Je voulais essayer de mettre ça en musique.
Benoît : J’imagine que j’ai haussé les sourcils quand on m’a dit qu’on répèterait un mot pendant dix minutes avec de la reverb car c’est moi le mec réactionnaire dans le groupe. J’ai dû dire « On va écrire un texte ». (rires)
Camille : C’était génial. Au fur et à mesure, on s’est dit qu’on allait faire un morceau pop apposé à d’autres moments musicaux. Le bidouillage et la pop, c’est ce qu’il y a de plus important dans Grand Blanc. Quand on arrive à rassembler les deux, on est super heureux.
Luc : Le bidouillage ?
Camille : Tu vois, rassembler certains aspects d’expérimentation et de recherche musicale avec une pop accessible pour tout le monde.
Benoît : Nous, on fait des chansons chelous. Si elles ne sont pas chelous, on ne les fait pas.
Korben : On essaie de s’étonner nous-mêmes, de pousser l’expérimentation. Si on ne ressent pas cet élément dans une chanson, on a tendance à la laisser de côté.
Benoît : Ça peut prendre des formules diverses. « Télévision », la dernière de l’album, est assez standard même si elle finit par un ralentissement de la bande magnétique sur les cinq dernières secondes. C’est pareil dans le texte, c’est un morceau qui parle d’un flash info sur le 11 septembre au milieu de clips MTV. C’est la vie, elle est chelou et elle est simple.
L’album en entier ressemble à un voyage ailleurs, de « Los Angeles » à « Belleville », des « Îles » à l’intérieur de la « Télévision »…
Benoît : Oui, et on ne peut pas décider si c’est un voyage concret ou intérieur.
Korben : Ça parle aussi de rêve de voyage, quand tu cherches quelque chose en voyageant et que tu ne le trouves pas forcément. « Les Îles » parle justement des endroits exotiques que tu cherches à Hong Kong et au final, tu te retrouves devant un McDo et tu te rends compte que c’est pareil que chez toi.
Benoît : Notre métier et notre vie de musicien nous pousse vers cela : notre passé proche est aussi notre futur proche, ce qu’on vit pendant un an d’écriture se répète pendant un ou deux ans de tournée. C’est pour ça qu’on essaie de dire des choses qui nous ressemblent pour ne pas avoir à raconter des choses auxquelles on ne croit pas pendant la tournée. On n’a pas de programme pour cet album mais il y a ce mouvement de la vie qui nous impressionne sans vraiment pouvoir l’expliquer. On peut juste essayer d’en faire des chansons… donc on a fait des chansons. (rires)
« Rêve bb rêve » a été le point de départ de l’album, comment ça s’est passé ?
Camille : Au tout début, pour les premières maquettes, on travaillait séparément dans la même maison. On tâtonnait, on gardait une moitié, on jetait l’autre, en se montrant tout ça. On faisait tout et n’importe quoi, certaines étaient un peu des blagues. Korben est arrivé avec « Rêve bb rêve », une production plutôt hip-hop. Au début, on l’a prise comme une blague parce qu’on est pas des rappeurs. (rires) Puis, en chantant dessus, le morceau a suscité un étonnement collectif. C’était la première fois.
Korben : C’était assez flippant et libérateur car ça s’éloignait énormément de notre genre et de notre image. Mais c’est comme ça qu’on s’est retrouvés avec une trentaine de maquettes en à peine un mois.
Comment vous avez fait le tri après ?
Camille : C’est facile de commencer une chanson mais c’est très dur de la finir. Il y a beaucoup de maquettes qu’on n’a pas finies. Celles qui marchent, c’est celles dans lesquelles on met le plus d’amour.
Benoît : À quatre, la notion de choix est assez relative. Les choses arrivent comme elles arrivent. Après un EP et demi et deux albums, on ne cesse d’halluciner face à l’expérience humaine très particulière que c’est.
Côté concerts, vous avez prévu quoi ?
Benoît : On a commencé à faire les setlists et mélanger les morceaux de Mémoires vives à ceux d’Image au mur. Ça fait plaisir de savoir qu’on passera de dix minutes planantes sur « Ailleurs » à un petit « Verticool ». On n’est pas vraiment dans le concept, on a notre manière de faire les choses et on le fait tout simplement.
Korben : Le gros changement, c’est qu’on aura une batterie acoustique. Après, pour être honnêtes, on a toujours fait ce qu’on voulait.
Lors de la release party au Badaboum, votre concert acoustique a pris des airs de salon cosy. Comment ça s’est passé de votre côté ?
Camille : C’était super émouvant. On était sur nos canapés, des lumières éclairaient nos visages donc on avait une sorte de quatrième mur devant nous. J’entendais un peu le brouhaha sauf que j’étais tranquille, sur mon canapé, avec mes trois copains.
Korben : C’est cool de jouer assis, on surplombe moins les gens. L’idée était de reconstruire une atmosphère conviviale et accueillante pour les gens mais au final, ça a aussi marché sur nous.
Benoît : Jouer en acoustique, de manière moins arrangée, c’est quelque chose qu’on n’a pas fait sur Mémoires vives. Même quand on nous proposait, on refusait car ça n’avait pas de sens. Avec ces nouveaux morceaux, ça en a. On n’est pas venus à la musique avec les ordinateurs et les synthés, on y est venus en apprenant la musique acoustique sur des guitares, des harpes, des contrebasses donc c’est assez jouissif de retrouver ça. Enfin, ça fait tellement longtemps qu’on est dans notre studio, ça aurait été difficile de se remettre directement sur scène.
Camille : C’était un concert de transition. J’avais l’impression d’être quelque part entre le Central Perk et un film de David Lynch. (rires) Friends, version bizarre.
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Vous avez tout de même effectué les premières parties d’Indochine ces derniers mois, dont une date à l’AccorHotels Arena. Qu’est-ce que vous en avez appris ?
Benoît : On n’avait pas joué depuis neuf mois et on s’est pointés à Bercy comme ça, c’était assez bizarre et intense. Ce qui est intéressant, c’est qu’on n’a jamais pensé notre musique pour aller dans des Zéniths, on a toujours été un peu rabat-joie en mode « la musique dans les Zéniths, c’est de la merde ». Mais on a été très heureux de pouvoir partager la nôtre. On ne l’a pas jouée de la même façon, on a dû apprendre à la mettre en scène différemment. Dans une SMAC, ton visage est un moyen d’expression. Dans un Zénith, personne ne le voit, il faut être plus emphatique.
Camille : C’est compliqué. Il ne suffit pas d’être emphatique en courant dans tous les sens, la scène est énorme. C’est vraiment d’autres questions à se poser.
Korben : C’est une autre façon de faire des concerts. Il y a dix mille autre choses à imaginer.
Benoît : Quand quelque chose foire, t’as envie de disparaître mais les gens te trouvent mignon. A Marseille, le soir de mes 30 ans, j’étais trop stressé, j’ai fait n’importe quoi. Pourtant, c’est un des concerts où on a senti le plus de proximité avec le public. Il y a quand même de l’humanité dans les Zéniths.
Camille : Pendant qu’il remettait ses cordes, j’ai dû parler devant 8 000 personnes, j’étais terrifiée.
Korben : La vulnérabilité, ça touche les gens. Que ce soit une corde pétée ou la timidité de parler devant un Zénith, ça crée un lien.
Vous partez en résidence à Metz, votre ville d’origine. C’est important pour vous d’aller là-bas ?
Camille : C’est notre ville, tout simplement. Paris est devenue la nôtre aussi. Maintenant, on en a deux. (rires) Sur la pochette d’Image au mur, il y a la Tour Eiffel mais on avait besin de retourner à Metz. Récemment, on s’est retrouvés à l’étage de la Chapelle des Trinitaires, là où on jouait il y a cinq ans, pour filmer une session unplugged.
Vous parlez beaucoup de Paris dans vos morceaux. Pourquoi pas de Metz ?
Benoît : Il y en a déjà plein. Quand on parlait d’errance nocturne alcoolisée et tortueuse dans l’EP, on parlait de ce qu’on a vécu à Metz. Le canal de « Degré zéro », c’est le canal de Metz. On n’a pas besoin de faire un morceau nommé « Metz » car il y en a plein qui en parlent.
Question bonus : quel est votre quartier parisien préféré ?
Luc : Le XVIème. (rires)
Camille : Je pense qu’on aime chacun les quartiers dans lesquels on vit.
Korben : J’adore le XVIIIème. C’est un arrondissement multiple.
Benoît : J’ai beaucoup habité dans le XVIIIème aussi.
Luc : Moi, le Xème.
Benoît : A l’époque, Luc habitait en colocation place Monge, c’était génial. On a commencé nos premières maquettes de Grand Blanc dans cet appartement, dont « Samedi la nuit ».
Camille : La street cred est finie.
Benoît : Grand Blanc, « les gars du quartier latin ». (rires)