Interview : Feu ! Chatterton “Bizarre de sentir une bulle spéculative autour de soi”
C’était quand la dernière fois où nous avons entendu un groupe Français se réclamer de Lautréamont, poète majeur du XVIIIe, auteur des Chants de Maldoror, précurseur du surréalisme ? Euh Sexion d’Assaut ? Allons, soyons sérieux. C’est bien sûr Noir Désir par le chant exalté de Bernard Cantat qui a redonné dans les années 90 une nouvelle jeunesse à un écrivain passé de mode. Vingt années et quelques plus tard, Feu ! Chatterton dans une emphase qui n’est pas aussi sans rappeler les meilleurs moments du supplicié de Vilnius, affiche son goût prononcé pour un romantico-dandysme qui n’a rien de poussiéreux.
Grâce à des passages remarqués en décembre dernier aux Bars aux Trans puis au Printemps de Bourges ou au Francofolies de La Rochelle, Feu ! Chatterton casse aujourd’hui la baraque de la hype. Pourtant, le quintet parisien dont les membres affichent à peine 25 ans au compteur, a surgit il y a déjà deux ans grâce au clip “La Mort dans la Pinède”. Bon à l’époque, pas grand monde pariait sur eux. Avant leur passage dimanche à Rock à Seine, on s’est fait un petit skype en direct du Gers où ils étaient en résidence, histoire de faire plus ample connaissance.
Romantisme, dandysme, ce sont des mots qui reviennent beaucoup à votre sujet….
Arthur (chanteur et auteur) : Si les gens pensent ça de nous, c’est dû à plusieurs choses. Il y a mon costume sur scène, très habillé. C’est une vision un peu légère de ce que pourrait être le dandysme ou le romantisme. Et puis, dans ce que l’on raconte, il y a un certain lyrisme avec des fins assez noires et tristes. Mais il y a de l’ironie aussi.
Il s’est écoulé deux ans depuis “La mort dans la pinède”, votre premier titre, que s’est il passé entre temps ?
Sébastien (guitares) : C’était un titre assez abouti, que l’on continue à jouer de la même façon sur scène, mais les autres morceaux n’en étaient qu’au stade de maquettes. Mais si on a attendu pas mal de temps avant de sortir cet EP c’est aussi parce que l’on n’avait pas trouvé la bonne personne pour le réaliser. Dès qu’on a rencontré Samy Osta, on s’est très bien entendu avec lui donc on a décidé d’enclencher assez vite l’enregistrement.
Arthur : C’est la scène qui a donné vie à nos morceaux. On avait des concerts de programmés et on s’est concentré là dessus pendant un an et demi. C’est ce qui nous a fait avancer.
Sébastien : La cohérence de notre projet se comprend vraiment sur scène.
Arthur : Notamment au niveau de l’énergie, des écarts d’intensité entre les morceaux, la cohésion du groupe, tout cela prend vraiment son sens sur scène. Il y a un contraste entre moi devant et l’énergie des musiciens.Et puis même si on ne l’a pas pensé comme ça, pour vivre de sa musique aujourd’hui, il faut faire de la route, et on est content de se sentir assez à l’aise dans ce domaine.
Chanter en français a toujours été une évidence ?
Arthur : Oui. La première ambition du projet, c’était pour composer des chansons en français.
Sébastien : L’aspect littéraire, le travail sur la langue française, c’est vraiment central pour nous. Feu ! Chatterton ne pourrait pas exister en anglais.
Arthur : C’est surtout que l’on n’en a pas envie. Ça nous excite d’essayer de faire sonner la langue aussi bien que la musique. Que l’on comprenne les paroles tout en ayant une oreille attentive sur les guitares.
Vos influences sont plus littéraires que musicales ?
Clément (claviers) : L’aspect littéraire, c’est la porte d’entrée de ce que l’on fait.
Arthur : C’est parce que la voix est mise en avant, après si on avait vraiment des influences plus littéraires que musicales, ce que l’on fait serait nettement moins bien ou nettement moins ambitieux. On ne veut pas faire de la chanson traditionnelle. Les autres membres du groupe ont des ambitions très musicales, tout seul je ferais de la musique chiante…
Sebastien : C’est parce que l’on a des influences musicales fortes que l’on ne fait pas que de la chanson voix/guitare. Après c’est certain qu’on a beaucoup lu Lautréamont, Aragon…
Arthur : …Oscar Wilde, Baudelaire, Balzac pour ce gigantisme dans l’écriture, et plus récemment John Fante qui raconte la vie de loosers magnifiques.
Vous ne vous sentez pas décalés par rapport à votre génération ?
Arthur : Je te rassure, on est comme les autres, on passe notre vie sur Facebook à regarder si on a des nouveaux “likes”. Mais il faut avoir de l’espoir, on n’est pas tout seul.
Clement : On a encore quelques jeunes à nos concerts…
On évoque souvent Bashung à votre sujet…
Sébastien : On trouve ça assez cohérent. On l’adore et notamment l’album Chatterton bien sûr. C’est un des derniers mohicans de la chanson rock française. Arthur : C’est un terrain d’entente commun comme Radiohead alors que l’on a souvent des goûts différents.
D’ailleurs, le côté dance de “La Malinche” ça vient d’où ?
Clément : On aime bien la musique moderne aussi. Ça nous arrive d’aller en boite pour danser sur de la techno.
Sébastien : Notre bassiste Antoine aime beaucoup l’électro, et même la psy-trance, l’acid house. J’adore aussi LCD Soundsystem. Chacun a ses influences qu’il met dans le groupe, c’est ce qui doit donner ce côté assez bizarre.
Il y a souvent des références aux drogues dans vos textes, vous êtes familier des paradis artificiels?
Arthur : Pour être honnête, dans notre génération, tout le monde a une expérience de ce que représente les drogues de synthèse. Dans l’écriture, je pense que c’est une thématique intéressante qui permet d’ouvrir le récit vers quelque chose d’onirique et de psychédélique. J’aime mettre en scène des personnages qui peuvent se retrouver au milieu d’une grande illusion qui peut leur faire dire ou penser n’importe quoi.
Vos ambiances sont sombres et graves, tant au niveau des textes que de la musique, est ce que cela correspond à vos personnalités ?
Clément : On a une forme d’humour particulier. Mais on est plus triste que Tryo ou la Rue Kétanou par exemple…
Arthur : On aime bien se marrer à mort, mais quand on travaille, même si on se prend pas au sérieux, on est très sérieux. On aime bien composer dans un climat mélancolique. C’est ce qui nous touche aussi dans la musique. On aimerait bien aussi réussir de belles choses légères, mais c’est plus dur : le bonheur, ça ne se raconte pas. Par exemple, tout à l’heure on écoutait une chanson de Pierre Vassiliu “En vadrouille à Montpellier”. L’histoire d’un mec, il est en boite, il voit une fille de 16 ans, ça serait interdit aujourd’hui, et il raconte comment il commençe à la caresser. C’est de la joie pure, c’est heureux. Il y a donc des mecs qui arrivent à faire des belles chansons simples où ils sont contents, nous pour l’instant on n’y arrive pas.
Est ce que cela vous motive ou est ce que cela vous effraie le buzz qui peut y avoir autour de vous, la pression des maisons de disques pour vous signer ?
Sébastien : On essaie de s’en extraire un maximum mais je ne pense pas que cela nous effraie. On en discute au cas par cas, mais ce n’est pas ce qui nous préoccupe aujourd’hui.
Arthur : C’est flatteur parce que le milieu de la musique n’est pas évident pour les jeunes aujourd’hui. On a une chance, il faut se servir de cet intérêt des professionnels et peut être bientôt du public on espère, pour avoir le plus de largesses possibles dans nos créations parce que ce qui est important c’est la musique que l’on fait. Il faut le prendre comme un encouragement, il ne faut pas non plus trop s’appesantir dessus sinon soit ça fait peser beaucoup sur les épaules soit ça fait se reposer. On continue donc à travailler. Mais sentir qu’il y a une bulle spéculative autour de nous, ça fait très bizarre parce qu’on a l’impression de faire de la musique un peu exigeante et ça fait plaisir de voir que ça plait.
Est ce que vous pourriez suivre l’exemple de Fauve qui est finalement resté indépendant en ne signant qu’un contrat de distribution ?
Sébastien : Fauve a eu la chance pratiquement dès le départ d’avoir un public très grand et ils ont pu ainsi autofinancer leur album. Nous, on verra bien, mais on n’en doute quand même un peu. Si nous voulons faire un bel album, et c’est pour nous fondamental, on aura besoin de finances pour l’enregistrer.
Arthur : Les deux premiers EP on a pu les autofinancer grâce notamment au Prix Chorus mais dans le futur, on aura sans doute des morceaux très ambitieux qui nécessiterons des orchestrations, ça coûte cher. On aime bien l’idée de s’enfermer en studio et de faire quelque chose qui semble insurmontable.
Feu! Chatterton premier EP sortie le 8 septembre.
En concert ce dimanche à 14h30 à Rock en Seine, le 12 septembre au Point Ephémère.
Feu! Chatterton est aussi parmi les 5 finalistes du concours Sosh aime les inRocKs lab et il se produiront le 27 septembre au Trianon à Paris pour la finale.