Interview : Classique & Mix, le défi de Radio France relevé par JB Dunckel
Ce samedi 4 mars, Radio France livrera le second volet de son rendez-vous Classique & Mix. L’interprétation du Sacre du printemps de Stravinsky par l’Orchestre Philharmonique de Radio France sera suivie d’une composition électronique originale de et par JB Dunckel. La moitié de Air revisite le ballet russe, et il nous a reçu dans son studio pour en parler.
Le décor est posé. JB Dunckel nous accueille dans l’antre de son imaginaire : son studio du 19ème arrondissement de Paris. En son sein, des dizaines de synthétiseurs -et autres étrangetés analogiques- s’entassent sur de hautes étagères. « Et encore, je n’ai pas tout là ! », nous lance le compositeur-collectionneur. Dans la chambre insonorisée, JB Dunckel nous arrête devant deux machines : « Ce sont celles qui m’accompagneront pour le concert ». Avant notre arrivée, il était en train de peaufiner l’œuvre originale qu’il doit créer en s’inspirant du Sacre du Printemps. Son défi ? Composer de la musique électronique à partir d’un ballet classique.
Propos recueillis par Emma Grandjean et Marion Sammarcelli
Le Sacre du printemps d’Igor Stravinsky : c’était ton idée ou elle a été proposée par Radio France ?
C’était imposé par Radio France. Ça va être une œuvre originale que j’ai composée, mais qui s’inspire -plus ou moins- du Sacre du Printemps. Il n’y aura pas d’interventions de l’orchestre. Cette œuvre est une révolution dans le solfège : Igor Stravinsky utilise les instruments d’une nouvelle façon. C’est cet esprit complètement libre qui m’a inspiré. J’ai essayé de le traduire dans la musique électronique. Je m’inspire aussi de son écriture. Mais ce ne seront pas les mêmes thèmes, pas le même tempo, pas la même instrumentation.
Est-ce que tu appréhendais de t’y attaquer ?
Oui. Beaucoup. C’est comme si tu te retrouvais devant le mur de Game of Thrones (rires). Je me suis senti au pied du mur. L’œuvre est tellement gigantesque, c’est si dangereux de glisser (rires) ! Donc j’ai pris une diagonale, je m’en suis inspiré vaguement… On ne peut pas faire une œuvre de la même dimension en un mois. Puis il y a un orchestre entier avec toute la force de l’acoustique, tout le savoir musical, on ne peut pas lutter contre ça. L’œuvre est intimidante. Et j’espère que les gens seront compréhensifs, qu’ils seront clairvoyants dans le fait que c’est une inspiration lointaine.
Est-ce que tu t’es déjà inspiré d’une œuvre classique auparavant ?
Oui et non (rires). J’ai fait de la musique classique quand j’étais jeune, donc j’ai absorbé certaines choses. Dans tout ce que je fais, il y a peut-être le résultat de ce que j’ai appris au conservatoire et de ce que j’ai pu écouter chez d’autres artistes. J’aime beaucoup l’impressionnisme, Claude Debussy et Maurice Ravel. Mais en même temps je ne joue pas dans la même cour, elle est trop érudite. Avec les synthés et la musique pop, avec Air au début, et aujourd’hui un peu plus en solo, je prends d’autres directions. J’essaye de m’inspirer de ces savoirs pour développer d’autres écritures. Mais ce qui reste, c’est le respect de la musique, de la mélodie et des accords pour que les morceaux que je compose se tiennent au piano. Qu’il y ait une vraie partition.
Que gardes-tu du Sacre du Printemps dans ta composition ?
Certains glissando, il y en a beaucoup à la flute et au violon. Pas mal de percussions aussi, l’œuvre que je compose est percussive ! Et aussi une écriture avec des accords assez savants, torturés, dark. L’œuvre est sombre pour moi. Parfois c’est de l’épouvante. Donc pour le final, j’ai fait quelque chose d’ultra noir, distordu. C’est un peu le ‘Massacre du Printemps’ (rires) !
De quel interprétation t’es-tu inspiré ?
Je suis allé directement sur Deutsche Grammophon, j’avais plein de disques venant de là quand j’étais jeune. J’ai pris l’orchestre d’Herbert Von Karajan. C’est un enregistrement classique, sans risque.
Le Sacre du Printemps est une œuvre composée d’instruments multiples, de familles quasi-complètes, du plus aigu au plus grave. Ce large spectre musical t’a plutôt aidé ou desservi ?
Ça m’a aidé, car il faut aussi que mon œuvre recouvre un large spectre : des percussions, des grosses basses, des aigus hyper fins, du rythme… Stravinsky est russe et la musique venant de ce pays est très accentuée, chez Sergueï Prokofiev aussi par exemple. C’est le point commun avec la musique électronique ! Sauf qu’elle est très régulière, tandis que là c’est frénétique, cassé. J’ai reproduit ce délire de rythme qui part dans toutes les directions.
Tu as trouvé cela plus difficile ou facile que de reprendre un morceau électro ou pop ?
Beaucoup plus dur. Car on ne sait pas où aller, il y a tellement de choses à faire ! Composer 40 minutes de musique originale en un mois, ce n’est pas évident. C’est comme si on te disait : « Fais un album en un mois ». Je me suis mis aussi à la place du public : les gens vont se prendre le Sacre du Printemps pendant 40 minutes, une pièce assez dynamique parfois forte. J’ai donc créé des passages plus légers, doux, pour reposer leurs oreilles.
Tu t’inspires d’un ballet connu pour sa modernité, son avant-gardisme au XXème siècle : penses-tu que comme la mode, la musique est cyclique, qu’on peut toujours la remettre au goût du jour ?
C’est forcément cyclique. La musique des années 1990 revient à la mode. Les nouvelles générations la reprennent, la redécouvrent. Tandis que les anciennes générations trouvent cela ringard. Cependant, il y a soit un enrichissement soit un appauvrissement (rires). Quand un courant revient, comme le rock par exemple, des réseaux commerciaux de mode s’en emparent. Comme les fringues de rock qui reviennent à la mode. Et le message originel est perdu. Au début, le rock c’était révolutionnaire, contre le système, ça n’était pas mode. Pareil pour le hip hop ou la techno : l’économie pervertit le message initial. C’est comme le marché des yaourts (rires), tu as parfum rock, parfum hip-hop, parfum techno…
Appréhendes-tu de froisser quelques puristes de la musique classique en modernisant un monument tel que Le Sacre du Printemps ?
Forcément. Je ne vais pas vexer des gens mais peut être les choquer. Mais en même temps, je pense que le public qui sera présent est assez ouvert. Car pour aimer Le Sacre du Printemps, une musique spéciale (rires), sauvage et extrêmement moderne, il faut être ouvert d’esprit. Mais c’est dur car je dois relever un défi, en faisant de la musique assez érudite tout en intégrant de l’électronique. Alors que je ne suis pas forcément un spécialiste de l’électro en plus. Air n’est pas un groupe d’électro, il y a beaucoup d’acoustique. Je ne veux pas créer de malentendu, mais de toute façon là je ne peux plus m’arrêter (rires) ! Il ne faut pas trop réfléchir à ce que les gens vont penser, mais surtout à ce qu’ils vont ressentir.
Tu as composé plusieurs bandes originales de films, si tu devais donc choisir la BO de ta vie, ce serait laquelle ?
La bande originale de ma vie c’est Virgin Suicides. Le thème « Playground Love ». Cette BO a changé ma vie. Et je crois qu’elle a changé la vie de pas mal de gens. C’est un film culte et les nouvelles générations le re-découvrent à chaque fois. On a fait une projection au MK2, quais de Seine, il y a huit ans et la salle était pleine de jeunes. Ce film transporte un certain malaise adolescent, intergénérationnel, que Sofia Coppola a réussi à capter. La relation avec les parents, la découverte de la vie, de l’amour et l’attraction de la mort. Vouloir s’échapper de ce monde dans lequel on rentre qui est super dark et pas du tout adapté au monde que l’on a connu quand on était enfants. Mais ce qui nous a le plus inspirés dans la musique c’est la fascination pour la mort, d’où les sons d’orgues, d’églises.
On me demande de composer pour des films où il y a des adolescents. Je ne sais pas à quoi c’est dû, mais ça ne me déplaît pas. Je suppose que c’est parce qu’il y a une certaine mélancolie dans ma musique. Je me souviens en 1999, lors d’une soirée dans une boîte organisée par le groupe anglais Alpha, et il y avait une affiche avec écrit : « Melancholia, glad to be sad » (« Mélancolie, fier d’être triste ») ! Et c’est assez vrai.
Emma Grandjean et Marion Sammarcelli
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