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© Cassandre Vill / Bastien Burger
30 juillet 2022

🎤 Interview : Chéri, phénix à la musique pop taillée pour les coeurs brisés

par Corentin Fraisse

ChĂ©ri, en 1920, c’est un roman de Colette. Celui qui narre un amour impossible. Aujourd’hui, ChĂ©ri c’est un chanteur qui compose une musique taillĂ©e pour les coeurs brisĂ©s entre pop, Ă©lectronique et quelques touches de flamenco. Après un dĂ©but de carrière très jeune, il chope une infection des cordes vocales et on lui dit qu’il ne pourra plus chanter. Au printemps 2022, le bien-nommĂ© ChĂ©ri a sorti Pour te toucher, un EP composĂ© comme un exutoire et dĂ©finitivement intrigant. On a voulu en discuter avec lui le temps d’une interview.

 

 

Comment tu es rentré dans le monde de la musique ?

ChĂ©ri : Ă€ 12 ans je suis parti en tournĂ©e avec Émilie Jolie, et c’Ă©tait Ă©norme. C’est des souvenirs fous, on faisait des salles incroyables mais comme j’Ă©tais un enfant c’Ă©tait… simplement cool. Juste la colo de vacances, on faisait nos devoirs dans le bus avec les autres enfants. Et comme on allait tous Ă  l’Ă©cole, on faisait des salves de 2 semaines oĂą on faisait plein de dates, tous les 2-3 mois. Ça a durĂ© deux ans, j’ai fait une pause d’un an et ils ont remontĂ© un spectacle : le Soldat Rose dont on avait eu les droits, et donc on l’a jouĂ© pendant un an. Et moi ça s’est arrĂŞtĂ© lĂ , parce que j’ai eu mes problèmes de cordes vocales dans le mĂŞme temps.

 

Une infection, c’est ça ?

ChĂ©ri : Une infection oui, due au fait que je travaillais trop. Il n’y a aucune faute, aucune pierre Ă  jeter Ă  qui que ce soit… Je travaillais un peu comme les enfants chinois qu’on entraĂ®ne pour devenir des champions de ping-pong : je travaillais tout le temps, je devais faire des heures de vocalises tous les jours. Et puis t’as un concert lĂ , le lendemain concert dans une autre ville, après tournĂ©e avec le Soldat Rose… Dans le mĂŞme temps j’ai commencĂ© Ă  muer, et je pense qu’avec la fatigue, un soir je me suis ni**Ă© les cordes vocales. Énorme infection. Le mĂ©decin m’a dit qu’il ne fallait plus que je chante, que je devais m’arrĂŞter… J’ai fait un mois de silence forcĂ©, et après les analyses ont fait qu’il fallait reposer ma voix indĂ©finiment.

 

Ă€ ce moment-lĂ , comment tu le ressens?

ChĂ©ri : C’est un coup de massue Ă©norme, parce que j’avais prĂ©vu de faire de ça ma carrière. Je l’avais beaucoup projetĂ©. J’avais 17 ans donc c’est pile le moment oĂą on rĂ©flĂ©chit Ă  ce qu’on fait après. En a suivi une belle dĂ©pression. Et je me suis demandĂ© ce que je voulais faire. Je ne me voyais pas ailleurs que sur scène. Donc je suis montĂ© Ă  Paris et j’ai fait du théâtre pendant 5 ans. Ça a commencĂ© Ă  bien marcher en vrai –rires-, j’avais plein de pièces, j’ai fait le festival d’Avignon… J’ai beaucoup travaillĂ© et montĂ© mes projets, je venais d’Ă©crire et de produire un seul-en-scène, j’avais commencĂ© Ă  le jouer. Et en fait ça bouillonnait Ă  l’intĂ©rieur, j’avais envie de faire de la musique. Je ne le sentais pas vividement, mais le théâtre Ă©tait un substitut, mĂŞme si je l’ai rĂ©alisĂ© après.

 

Mais pour toi la musique ça a l’air viscĂ©ral. Quand tu parlais de tes annĂ©es de tournĂ©es comĂ©dies musicales, tu disais que c’Ă©tait ambiance un peu stakhanoviste. Mais tu Ă©prouvais quand mĂŞme du plaisir ? ça ne t’a pas dĂ©goutĂ© ? La passion est restĂ©e intacte ?

ChĂ©ri : Ce n’Ă©tait pas rĂ©flĂ©chi, je le faisais parce que je kiffais. Aujourd’hui pareil : depuis que j’ai repris la musique, je le fais parce que j’adore et je me sens au bon endroit. Avec le théâtre, c’Ă©tait dur de se lever le matin : c’est un premier indicateur, le matin dans la douche, comment tu te sens Ă  l’idĂ©e d’aller au travail. Des fois j’aimais bien, parce que la pièce Ă©tait cool et qu’elle me faisait pas trop stresser mais des fois… je ne sais pas, je n’aimais pas.

 

En plus, Ă  ce moment lĂ , tu dois avoir l’impression que l’histoire se rĂ©pète? Quand on fait le parallèle avec ton histoire familiale, ton grand-père qui voulait devenir chanteur avant de fuir l’Espagne franquiste…

ChĂ©ri : Mes deux grands-pères ont fait de la musique, celui qui est aujourd’hui dĂ©cĂ©dĂ© a dĂ» arrĂŞter dès qu’il a eu des enfants, pour subvenir aux besoins de sa famille… Avec l’autre, on en a parlĂ©. Il m’a dit que c’Ă©tait comme si on se faisait couper l’herbe sous le pied, qu’on n’avait pas le droit d’ĂŞtre musiciens dans la famille. Mais c’est revenu chez moi et j’ai l’impression que ça ne va pas s’arrĂŞter ! En tout cas, Ă  moins que je le dĂ©cide.

 

Et du coup comment tu te retrouves chanteur? Parce que lĂ  on est au stade oĂą on te dit que tu ne pourras plus chanter. Comment tu te re-muscles, etc?

ChĂ©ri : Je pense que pendant ces 5 ans-lĂ  j’ai fait un rejet. Je n’allais plus Ă  des concerts… Ça me faisait trop de mal. Et pour autant j’Ă©coutais beaucoup de musique, j’Ă©tais fan de plein d’artistes. Puis des potes m’ont traĂ®nĂ© Ă  We Love Green en 2019, et j’ai vu plein d’artistes dĂ©filer sur scène : RosalĂ­a, fka twigs, Christine & The Queens. Incroyable, progra’ de ouf, on enchaĂ®nait les lives. Je m’en suis pris plein la gueule de toutes parts. J’ai ressenti un truc Ă  l’intĂ©rieur qui m’a fait me dire « je suis en train de me mentir » : grosse rĂ©vĂ©lation, c’Ă©tait devant Christine. J’ai pris mon tĂ©lĂ©phone et j’ai envoyĂ© un message Ă  un pote qui fait de la musique, des prods… En lui disant que j’aimerais rĂ©essayer, après avoir Ă©tĂ© voir des mĂ©decins pour savoir oĂą en Ă©taient mes cordes vocales. Et il ne m’a mĂŞme pas rĂ©pondu ce bâtard –rires.

 

Et de là, tu es allé voir un-e spécialiste ?

ChĂ©ri : Oui, j’ai quand mĂŞme continuĂ© le cheminement et j’ai contactĂ© une phoniatre Ă  Paris, sur recommandations. Elle m’a demandĂ© « qui vous a dit d’arrĂŞter de chanter? ». Je lui raconte l’histoire et elle me dit « c’est abominable de vous avoir dit ça. C’est Ă  remuscler, Ă  reposer Ă  l’Ă©poque mais dire Ă  quelqu’un d’arrĂŞter c’est très dur ». Elle m’a dit que mes cordes vocales Ă©taient fatiguĂ©es. « Si vous m’aviez dit que vous vouliez faire de l’opĂ©ra ou de la comĂ©die musicale je vous dirais non. Par contre aujourd’hui dans la pop, il y’a des voix tellement singulières qui utilisent ce qu’elles peuvent faire, que c’est complètement possible. » Elle m’a mis en relation avec une orthophoniste, je me suis remusclĂ© les cordes vocales. Et en parallèle, vu que je suis très pressĂ©, je chantais chez moi. Un jour en Espagne, dans la maison de mon père, je me mets Ă  chanter et pour la première fois je filme. Pour m’Ă©couter après. Je fais Ă©couter Ă  ma mère, qui me dit de le poster. « Tu postes, et tu vois ». Je lui dis non, elle insiste en me disant que c’est pour moi, sans attente, dans une dĂ©marche thĂ©rapeutique. Donc je l’ai fait, puis j’ai supprimĂ© Instagram avant de le rĂ©installer le soir : j’avais genre 80 messages dans ma boĂ®te, des potes qui ne croyaient pas que c’Ă©tait moi, qui me disaient que c’Ă©tait bien, des gens Ă©mus parce qu’ils connaissaient mon histoire… Et le gars que j’ai contactĂ© en juin Ă  WLG qui me rĂ©pond enfin en disant « Attends mais c’est toi ça? ». On s’est captĂ©s un mois après, on s’est enfermĂ©s 3 jours dans un studio et on a fait « Vagues », qui est devenu mon premier single.

 

Qu’est-ce qui t’a motivĂ© Ă  Ă©crire et composer tes premières chansons?

ChĂ©ri : Je me suis fait larguer comme une vieille merde. J’avais 24 ans, j’Ă©tais trop triste. C’Ă©tait une relation de trois ans, qui a Ă©tĂ© très toxique donc j’avais plein de choses Ă  dire. En vĂ©ritĂ© je ne me suis pas vraiment fait larguer, c’est plutĂ´t moi qui ai dĂ©cidĂ© de mettre fin au truc une bonne fois pour toutes. Parce que je me faisais maltraiter et j’ai dĂ©cidĂ© de fuir en Espagne. LĂ -bas je sais que je suis bien, loin de tout, c’est un autre espace-temps, tu peux prendre le temps. Au bout d’une semaine j’ai Ă©crit plein de textes. Sans penser Ă  en faire de la musique, j’Ă©crivais beaucoup de poĂ©sie. LĂ  je recommence Ă  Ă©crire de nouvelles choses parce que j’en ai marre de parler de ça – rires- , mais tous les sons pour l’EP sont des textes que j’ai Ă©crits pendant ce mois d’aoĂ»t en Espagne.

 

Justement, il n’y a pas une dissonance, vu que c’est une pĂ©riode bientĂ´t passĂ©e et que tu as Ă©crit les chansons il y a 2-3 ans ?

ChĂ©ri : Ça rĂ©sonne encore, c’est bizarre ! Ă€ ce moment-lĂ  c’Ă©tait des sons que j’ai Ă©crit par rapport Ă  une personne, une relation. Aujourd’hui je suis tellement dĂ©tachĂ© de cette relation que quand je les chante, les mots se rattachent Ă  d’autres personnes avec lesquelles je vis des choses Ă  l’instant T. Leurs visages changent. J’ai Ă©crit des choses plus solaires, moins dans la tristesse latente.  Il y’a beaucoup de mĂ©lancolie dans ce que j’Ă©cris mais lĂ , j’ai eu une grosse pĂ©riode oĂą j’ai voulu faire la teuf tout le temps, et j’ai Ă©crit sur les sentiments que ça me procure. C’est que du bonheur. Donc dans les chansons je parle de fĂŞte, de sexe aussi parce que j’ai rencontrĂ© de nouvelles personnes et j’ai une vie de cĂ©libataire… C’est cool, ce disque a plein de nouvelles choses.

 

Tu as donc sorti l’EP Pour te toucher au printemps, qu’est-ce qu’il reprĂ©sente pour toi? 

ChĂ©ri : Pour moi c’est le deuil d’une relation toxique, parce qu’il y’a des chansons qui sont piles dans le moment ou c’est très dur, très dark… Et petit Ă  petit il y’a une Ă©volution, chaque chanson a son stade de deuil. Bon « Nobody Loves Me » ça ne va pas fort, après y’a « Quiero Comerte » oĂą je rentre dans une colère en disant « je te dĂ©teste mais le sexe c’Ă©tait tellement ouf que je te dĂ©sire encore »… Et puis après c’est « Mira Me » oĂą je suis juste en mode « Maintenant je te dĂ©teste. Et regarde, tu m’as fait avoir encore plus de force ». Et « Pour te toucher » c’est peut-ĂŞtre le son le plus solaire parce qu’il ne parle pas de cette personne, c’est juste sur moi : je m’aime et j’aime la personne que je suis. C’est des stades.

Comment tu composes de manière gĂ©nĂ©rale ? Les textes viennent avant la musique, ou alors t’as des mĂ©lodies qui viennent et…

ChĂ©ri : D’abord la musique ! Je vais toujours en studio accompagnĂ© de quelqu’un, parce que j’ai pas encore assez de skills pour le faire tout seul, je travaille avec plusieurs compositeurs. Soit on commence par lire des textes que j’ai et un mood en dĂ©coule, soit on fait du son. Quand j’ai les premières notes, j’ai des mĂ©los qui viennent tout de suite donc je vais au micro, et puis je reprends mes textes, je les redispose, je les redĂ©coupe pour que ça rentre. Faut que je fasse un tri dans ma tĂŞte, avec plein de notes sur mon tĂ©lĂ©phone… Je suis pas très ordonnĂ© donc c’est un peu une catastrophe haha !

 

C’est toujours la mĂŞme logique pour composer, ou c’est selon l’humeur?

ChĂ©ri : Quasiment toujours pareil. Après j’ai très envie que le texte m’appartienne, mais lĂ  je m’ouvre Ă  des nouvelles toplines, celles d’autres gens. Quand c’est un travail de plusieurs personnes, de nouvelles choses naissent. Le produit fini est ce qui est le plus important, de toute façon. Je suis moins control freak, je change un peu de mĂ©thode.

 

Qu’est-ce qui t’inspire pour crĂ©er ta musique ?

ChĂ©ri : Des Ă©motions, des personnes, tout ce qui m’a construit, mon passĂ© et mon prĂ©sent. Les autres artistes m’inspirent aussi Ă©normĂ©ment. L’Ă©poque est hyper bonne pour ĂŞtre inspirĂ©, plein de gens se libèrent. Je pense Ă  Kalika, Joanna, ces meufs tentent des choses qui n’existent pas sur la scène française aujourd’hui. Tout Ă  l’heure j’ai vu ascendant vierge sur une de vos couv‘ : ils me rendent dingue. Et Ă©videmment par les « OG » : Lady Gaga, Madonna, Mylène Farmer, ça trotte… Je suis emprunt de tout ça sans y rĂ©flĂ©chir. MĂŞme des fois je vais voir un film au cinĂ©, et j’en sors transcendĂ© par ce que j’ai vu, je me pose dans un cafĂ© et j’Ă©cris des textes. Je pense qu’il faut beaucoup s’ennuyer pour ĂŞtre artiste. Prendre son tĂ©lĂ©phone, mettre ses Ă©couteurs et marcher dans Paris. Aller au cinĂ©, lire, moi qui ai toujours eu besoin d’ĂŞtre en action, de travailler, d’avoir des journĂ©es remplies… Mais le moment oĂą j’ai Ă©tĂ© le plus productif de ma vie c’est quand j’Ă©tais en Espagne, Ă  prendre ma caisse pour aller Ă  la plage, poser mon cul et ne plus bouger de la journĂ©e. Evidemment on travaille dur, mais y’a besoin de ces moments !

 

Donc tu t’obliges Ă  t’ennuyer, tu te forces Ă  la paresse pour trouver l’inspiration ?

ChĂ©ri : Exactement. LĂ  je rentre d’une semaine au Canada chez ma soeur, elle a achetĂ© un petit chalet au bord d’un lac… Je me suis calĂ© pendant une semaine sur son ponton, et c’est revenu naturellement. Alors que ça fait plus d’un an que je bosse Ă©normĂ©ment sans arriver Ă  ĂŞtre vraiment inspirĂ©. C’est revenu et en rentrant j’ai dit Ă  mon Ă©quipe « en fait on n’a pas d’autre choix que de me trouver une semaine, tous les trois mois, ou je vais me reposer« . C’est Virginia Woolf qui a Ă©crit tout un livre sur avoir Une chambre Ă  soi. Après c’est un livre fĂ©ministe, qu’elle a Ă©crit Ă  une Ă©poque oĂą les femmes avaient pas d’espace pour la crĂ©ation dans leur maison. Pour moi la « chambre Ă  soi », c’est l’espace de crĂ©ation d’un artiste et c’est trop important d’en avoir un.

 

L’EP est en français-anglais-espagnol : comment tu switches entre les langues ?

ChĂ©ri : Pour moi c’est Ă  la topline, je l’entends Ă  la mĂ©lodie. Si elle a beaucoup de dĂ©bit, ça va coller Ă  l’espagnol ; quand c’est un peu plus chantant, ça va ĂŞtre du français tout de suite. L’anglais j’en ai chantĂ© que dans « Nobody Loves Me »… Et quand c’est plus nasal, selon moi l’anglais passe mieux que le français. Je le pense comme ça. Dans mon album il y’a une autre chanson en anglais, parce que ça passait mieux. Tout simplement.

 

Tu as lancĂ© un projet de sĂ©ries de reprises de chansons qui te tiennent Ă  coeur, c’est quoi l’objectif pour cette sĂ©rie de reprises ?

ChĂ©ri : Je voulais faire quelque chose pour le Pride Month et j’ai choisi des chansons qui m’ont marquĂ©, qui ont contribuĂ© Ă  mon dĂ©veloppement queer… Juste les interprĂ©ter aussi simplement qu’a capella comme ça -avec des petites fioritures quand mĂŞme. Je n’avais pas trop envie de rĂ©flĂ©chir Ă  une stratĂ©gie, etc. Je voulais juste sortir un truc comme ça, sur des titres qui me tiennent Ă  coeur.

 

A capella c’est quand mĂŞme une prise de risques, c’Ă©tait une volontĂ© d’ĂŞtre Ă  nu ?

ChĂ©ri : En vrai c’est beaucoup plus simple que ça. Quand j’ai voulu faire ce contenu, on Ă©tait fin mai et Pride Month c’Ă©tait le 1er juin – rires. On m’a dit « tu vas avoir le temps? » j’ai dit « non ». Donc a capella haha !

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