Interview : Carl Craig déclare sa flamme à Detroit
Carl Craig a grandi à l’écoute des plus grands artistes de Detroit. La Motor City est connue pour être un terrain de création de musique jazz, blues, d’hip hop et bien évidemment techno. Avec son projet Detroit Love, Carl Craig souhaite présenter sa vision de la ville en invitant non seulement des artistes originaires de cette ville mais surtout des artistes qui ont beaucoup de respect pour elle et sa musique, spécialement électronique ou techno. Cela fait plus de trois ans que le projet est présenté dans les clubs du monde entier. En attendant que Detroit Love passe par Lyon le 20 janvier et Paris, le 9 février Carl Craig a répondu à quelques unes de nos questions.
Les line-up de Detroit Love sont majoritairement composés d’artistes originaires de Detroit… Mais pas toujours ?
Certains DJs bookés ne sont pas nés à Detroit en effet, ce sont des gens que j’ai rencontrés pendant mes voyages et dont j’ai beaucoup de respect pour le travail et la musique. On ne booke personne sur la foi de démo ou autre, il s’agit plus d’un club de gens que je connais et que je considère comme intéressants. Par exemple, La Fleur est une DJ suédoise, et pour autant elle a déjà joué sur une de ces soirées. Mais j’avais fait un remix pour elle, sorti sur Watergate. Aussi, elle a réalisé un très bon remix de Kenny Larkin. Elle avait donc une double connexion avec Detroit, ça avait du sens de l’inviter.
Detroit est reconnue dans le monde pour ses productions musicales. Les artistes ont beaucoup d’amour pour cette ville et sont fiers de leur patrimoine. Pourquoi une telle fierté ?
Detroit a toujours eu un côté cool, qui se retrouve dans la musique qui en sort. Que ce soit dans le jazz, dans le rock et le punk-rock, dans le hip-hop avec les Stooges… Mais aussi avec Funkadelic, les groupes Motown évidemment, et puis la techno, à commencer par Derrick May, Juan Atkins et Kevin Saunderson, pour en venir enfin au rap avec Eminem et Dilla… Il y a toujours eu beaucoup de diversité et de cool dans la musique venant de Detroit. Comme les White Stripes, regarde leur attitude ! Les styles qui sortent de Detroit couvrent tout le spectre musical. Je pense que nous y avons un caché musical plus intéressant qu’à Los Angeles, New York ou Atlanta, qui reste coincé dans son « son d’Atlanta » en continuant à faire les mêmes choses depuis 15 ans. Aussi, à New York, il y a de gros labels, chez qui tu peux écouter des artistes venant de partout aux Etats-Unis ou dans le monde. A Detroit, les labels se concentrent bien plus sur les artistes locaux.
A ton avis, pourquoi est-ce qu’il y a autant de diversité et de groupes sortant de Detroit ?
Je ne peux évidemment parler que de ce que je connais, en l’occurrence ce qu’il se passait quand j’y grandissais. Detroit est une ville où tu dois prendre la voiture pour faire le moindre truc. En étant gosse, pour sortir, il fallait prendre le bus. Et prendre un bus à Detroit, ce n’est pas pareil qu’à Paris ou New York, c’est très laborieux ! Je devais prendre le bus pour aller à l’école, et pour arriver à l’arrêt il fallait déjà marcher 15 ou 20 minutes. Dans ces conditions, autant rester chez soit plutôt que de marcher 20 minutes, prendre le bus, avoir une ou deux correspondances… Si tu as une guitare, un synthé ou une boîte à rythmes à la maison, tu préfères rester chez toi, créer ton propre monde. D’où, peut-être, le nombre d’artistes sortant de Detroit. J’ai déjà entendu dire quelque chose de similaire il y a quelques temps : c’était dans un article sur Massive Attack, qui n’avaient pas grand-chose à faire en grandissant à Bristol, surtout quand à l’époque tu n’as que quatre chaînes de télé.
Detroit a beau être connu pour sa techno, ces soirées sont un peu plus éclectiques…
Non ce n’est pas du tout « techno only ». On a déjà invité Moodymann, qui n’est pas considéré comme un DJ techno – il est « juste » un incroyable DJ. Waajeed est très house… Je ne m’attache pas au style tant que c’est de la bonne musique. Et si quelqu’un débarque avec un excellent set rock, je serais super content !
Cela fait plus de trois ans que tu tournes avec Detroit Love. Y-a-t’il eu une évolution ?
Non, le concept reste globalement le même. Je dois dire que c’est le projet le plus constant de ma carrière. J’ai toujours essayé de ne pas me restreindre musicalement, de ne pas rester attaché à une seule chapelle. J’ai fait du jazz, de la musique électronique bien sûr, de la musique symphonique avec mon projet « Versus »… Mais Detroit Love ne bouge pas.
Et justement, où en est Versus ? Tu n’as toujours pas pu tourner avec un orchestre symphonique…
On essaye de mettre ça en place. Mais il y a toujours des obstacles à mettre en place quelque chose comme ça : ça prend du temps, de l’argent, beaucoup d’implication. Et c’est un grand dilemme de trouver l’orchestre parfait pour ce projet. Donc pour le moment, je tourne avec un ensemble de synthétiseurs… Et avec Detroit Love !