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2 novembre 2018

Interview : B.E.D, le projet simple et efficace de Baxter Dury, Etienne de Crécy et Delilah Holliday

par Corentin Fraisse

In bed with Baxter Dury, Etienne de Crécy et Delilah Holliday. Prenez les initiales de leurs prénoms : ça donne B.E.D, titre d’un album intrigant sorti le 26 octobre. Et franchement, l’issue est déjà bien meilleure que le premier album de L.E.J, non? Rien ne prédisposait l’un des hauts parrains de la French Touch à album commun avec le chanteur‐crooner britannique. Sans bruit, les compères continuent à travailler ensemble et enrôlent même Delilah Holliday, la voix secouée du groupe punk féministe londonien Skinny Girl Diet. L’idée pour cet album, c’était “d’en faire le moins possible”, plaisante Etienne de Crécy. Mais derrière cette blague à demi‐mot se cache bien plus que de la flemme : il faut plutôt comprendre que B.E.D c’est le retour à l’essentiel, à une quintessence des artistes et des machines, débarrassée de tous les chichis et des effets grandiloquents… On a voulu en savoir plus sur ce projet certainement éphémère. On a rencontré ce tout frais trio dans le studio parisien d’Etienne de Crecy, pour une interview pleine de rires et de complicité entre les trois artistes.

Baxter et Etienne, vous travaillez ensemble depuis quelques années : vous étiez réunis sur le titre « Family » dans Super Discount 3. Mais comment et quand est venue l’idée de faire un album ensemble?

Etienne : Au début on ne voulait pas forcément faire un album ensemble, mais d’abord faire de la musique ensemble. L’idée est venue de Baxter, il m’a envoyé un message en disant « OK, j’ai un peu de temps devant moi, si tu as une instru à m’envoyer, peut-être que je peux trouver des parties voix à mettre dessus« … Et ça a commencé comme ça. Il est venu à Paris, dans ce studio et on a commencé à travailler très facilement, très naturellement. C’était vraiment sur une période très courte, un ou deux jours en mars l’année dernière. Et après le premier jour on avait déjà trois idées intéressantes. C’est comme ça qu’on a recommencé à travailler ensemble.

Delilah, tu viens du punk avec ton groupe Skinny Girl Diet, puis cette année tu as sorti l’album Lady Luck, un projet très soul… Pourquoi avoir fait équipe avec Baxter et Etienne?

Delilah : Parce que j’ai pensé que ce serait une opportunité incroyable! En plus j’adore leur travail : j’aime la façon dont Etienne produit, j’adore la voix et l’énergie de Baxter… Je ne suis pas mariée à un seul genre de musique, j’écoute de tout alors j’ai aimé travailler avec eux. J’ai pensé qu’il était temps pour moi de faire de la musique électronique : j’ai toujours rêvé d’être sur un titre électronique… Mon rêve est devenu réalité ! (rires)

Comment s’est passée la première prise de contact?

Baxter : Tout vient d’un homme, Tom Beard, un photographe avec qui je travaillais à ce moment là. On était au Maroc pour prendre des photos pour la pochette de mon dernier album (Prince Of Tears, ndlr) et on était sur une énorme dune de sable près de la frontière algérienne. Tom m’a parlé de Delilah et de son accent un peu bohémien, un peu marmonné typiquement londonien. Alors j’ai écouté le travail de Delilah et je lui ai envoyé un mail directement, pour lui proposer de travailler avec nous.

Baxter Dury – « Prince Of Tears » (2017)

 

Et Delilah, tu es arrivée dans le projet sans y réfléchir trop longtemps?

Delilah : Exactement, ça s’est fait très rapidement et ils m’ont accueillie à bras ouverts. Les chansons étaient pratiquement toutes composées, je n’avais plus qu’à chanter par-dessus.

Est-ce que pour vous, B.E.D est une fusion de vos trois univers musicaux?

Baxter : Je pense que ça commence et s’arrête là où la musique des autres commence et à s’arrête… On s’est retrouvés au milieu de nos univers, je pense. Il y a un peu de nous tous dans cet album.

Etienne : Je ne vois pas ça comme une fusion, mais plutôt comme quelque chose de totalement externe. J’ai l’impression que ce que j’ai mis dans ce projet est simplement différent de ce que je mets habituellement dans ma musique. C’est une fusion de quelque chose d’autres. C’est une émotion différente de ce que j’essaie de mettre dans mes projets perso.

L’album entier a cette idée de synthèse, du « less is more« , les morceaux sont épurés. Par exemple, la chanson la plus longue dure 2 minutes 37. Pourquoi faire des morceaux si courts?

Etienne : 2 minutes 37? Où est-ce qu’on a merdé?

Baxter : C’est peut-être « Tais-toi » le plus long morceau, ou même « Only My Honesty Matters » parce qu’il y a un long fondu sortant. (Raté, c’est « Fly Away », ndlr). Peut-être qu’on n’avait déjà plus d’idées (rires). Tout était fait pour transmettre un message simple. SI tu y réfléchis, ce sont des percussions et une musique simple, avec un gars qui parle librement par-dessus, les morceaux n’ont pas besoin d’être longs. Ca ne sert à rien d’en faire trop. »

Delilah : Je pense que les gens en veulent plus si on leur donne peu… Et franchement, ça marche ! 

Quel est le propos global de l’album? Que vouliez-vous raconter dans ces neuf chansons?

Baxter : Tu sais quoi? On n’a même pas réfléchi à ça. Le but c’était d’avoir un instantané représentatif d’un moment précis, j’essayais d’y mettre ce que je ressentais à l’instant T, rapidement et honnêtement. Je ne savais pas quoi écrire, donc j’ai vraiment dit ce qui se passait. C’est une façon très abstraite d’écrire, donc il n’y a pas beaucoup de détails. C’est plus facile, et sûrement plus fainéant. (rires)

Etienne : On a tout fait ici à l’intérieur du studio, et on devait terminer très vite avant que Baxter ne rentre à Londres. Il écrivait les paroles juste devant moi, en un après-midi. J’ai assemblé tout ce que j’avais composé assez rapidement et je lui ai dit « maintenant c’est ton tour, ton moment, écris des paroles« . 

Tout l’album sonne très années 80, dans quel optique et avec quels instruments a-t-il été composé ?

Etienne : Regarde le matériel ! Mon studio est rempli d’instruments et de matériel vintage, de vieux synthétiseurs, donc dès que j’appuie sur Play ça sonne directement comme ça.

Baxter : C’est aussi parce qu’on partageait le même amour pour cette période, qui nous parle à tous. On aime tous les années 80, non?

Etienne : Peut-être oui, mais ce n’était pas intentionnel de ma part. Je ne voulais pas faire un album qui sonne 80s, et ça ne sonne pas exactement pareil. A l’époque ils utilisaient souvent des gros snares bien lourds… Le son de l’album est assez  sec, assez épuré. Ca sonne comme dans les 80s, mais ce n’était pas le but au départ.

Delilah : J’adore les 80s, c’était une période incroyable pour la pop. Pas mal de chansons pop des 80s étaient assez fausses, sans profondeur mais je pense qu’on a réussi à faire de cet album une expérience pop, mais avec dee la rondeur et une vraie substance.

Etienne : C’est marrant parce qu’on n’a jamais vraiment parlé ensemble, de la manière dont chacun concevait le projet! Moi je découvre vos visions.

Baxter : L’idée principale, c’était la simplicité sans pression. Et je voulais en faire quelque chose d’électronique. Je voulais me débarrasser des bassistes, des batteurs pour arrêter de leur donner autant d’argent. (rires)

Qu’est-ce qui vient en premier quand vous créez un morceau? Une mélodie, une phrase, un beat, ou simplement des accords?

Baxter : Ca peut être tout en même temps ! On a puisé notre inspiration dans plein de choses différentes. Ca pouvait être un mot, quelques notes d’Etienne, une mélodie au piano… Sur « Eurostars », il y avait une mélodie au piano, on a rajouté un beat hip-hop et j’ai juste raconté ce que j’allais faire plus tard ou le lendemain. Ca a pris environ 20 minutes. J’ai raconté ce que je ressentais. Si Etienne avait trouvé que c’était mauvais, j’aurais tout jeté directement.

Etienne : On a essayé plein de combinaisons pour commencer les morceaux. Par exemple j’avais l’instru de « White Coats » depuis très longtemps, Baxter a créé une mélodie alors j’ai modifié mon instrumentale plusieurs fois jusqu’à ce qu’on tombe sur la bonne.

Baxter : C’était comme faire un boeuf, je jouais du synthé, on s’est amusés ! Et Delilah est arrivé, a écouté un peu et a réagi directement, d’une autre manière donc ça a permis d’ajouter de nouvelles idées et une nouvelle dimension.

Delilah : Ca m’a directement parlé, même sur certains morceaux où l’idée n’était pas encore développée. C’était comme un squelette au départ, et maintenant il vit. 

Vu que le temps était compté, vous arriviez à vous dire quand vous n’aimiez pas ce que proposaient les autres?

Delilah : Oui, on était tous très clairs sur ce point.

Etienne : C’était clair, facile, rapide. « Tu n’aimes pas? OK, on oublie » et on l’acceptait très bien.

Souvent dans l’album, vous vous prenez une mélodie ou un beat simple et vous tournez autour sans jamais vous en éloigner…

Baxter : Ce qu’on a essayé de faire avec cet album, c’était quelque chose d’anti-compliqué. Parfois les gens sont trop complaisants, il faut admettre que beaucoup de chansons sont horribles parce que leurs auteurs ne savent pas écrire. Notre album, c’était juste quelques phrases posées sur des rythmes simples, et c’est tout ! Cela nous rappelle que la simplicité peut être belle et faire du bien. On ne voulait même pas faire des chansons.

Delilah : On voulait communiquer une émotion et raconter une histoire plutôt que de faire des hits… Mais bon, c’est arrivé quand même parce qu’on est des génies. (rires)
Baxter : Elle plaisante mais elle a raison ! Je suis un génie.

Vos prochains projets ensemble? Une tournée, un nouvel album commun?

Baxter : Je pense qu’il est temps de retourner au lit (lit=B.E.D, vous comprenez l’astuce ou on explique? ndlr). On a plein de projets personnels, ce projet était comme un album de vacances. Mais je suis sûr qu’on travaillera de nouveau ensemble.

Delilah : Je pense qu’on a utilisé cet album comme un terrain de jeu, où on a laissé libre cours à l’amour et à la pasion, mais ce n’était pas une ambition. C’est peut-être pour ça qu’il sonne si bien, parce qu’il n’y avait aucune question d’égos… On était là pour créer. Si ça se reproduit, c’est tant mieux, mais il n’y ni plan ni pression.

Baxter : Peut-être que B.E.D sera reformé par des personnes différentes, ou juste un ou deux d’entre nous. Comme The Animals, le groupe a six formations différentes. Et l’une d’entre elles est composées des cousins des cousins des membres originaux… L’ADN est devenu si fin ! Ca peut arriver à B.E.D : cela pourrait être n’importe qui dont les initiales sont B, E et D.

Delilah : On rameutera des clones, ou des robots !

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