🔊 Inter[re]view : Après la club music ? Il y a le prodige Koreless et ce 1er album passionnant
Après des débuts très prometteurs, le jeune Koreless a voulu frapper un grand coup pour son premier album. Il lui aura donc fallu six ans de tentatives, d’échecs, d’expérimentations, pour finalement aboutir à un coup de maître : ce Agor, à la fois ambient, electronica, dubstep, classique, et bien d’autres choses. Mais avant tout passionnant.
On peut vite se perdre dans les méandres de la composition. Koreless, lui, y a passé six ans. Et ça valait le coup. Le jeune Lewis Roberts grandit au Pays de Galles, loin de la musique électronique. Il y a bien cet oncle londonien excentrique, qui lui fait découvrir les titres phares d’Ibiza, mais c’est en déménageant en Écosse à 18 ans qu’il s’immerge dans ces musiques. « Cette musique épique, apocalyptique mais aussi mélancolique, était hors de propos dans la campagne galloise » explique-t-il. Il découvre alors la dubstep, les clubs, et tout un univers. Très vite, il sort ses premiers titres en tant que Koreless, et devient le jeune prodige du post-club. Après une poignée d’EP et singles remarqués, il se lance en 2015 dans son premier album. Pour l’achever seulement aujourd’hui.
« Je me suis mis la pression, l’album devait être bon, et pour moi, cela voulait dire passer beaucoup de temps dessus. »
Car Koreless voulait faire les choses bien. Trop, peut-être. « Je me suis mis la pression, l’album devait être bon, et pour moi, cela voulait dire passer beaucoup de temps dessus ». Le travail était méticuleux, menant certains titres à connaître des centaines de versions différentes. « J’avais le sentiment qu’il fallait tout essayer. En fait, l’album a été fait en deux phases. Une première très compulsive, très longue, où j’essayais tout, contrôlais tout. Puis j’ai passé une semaine à mixer ça à New York avec un ami. Les morceaux n’étaient pas vraiment terminés, mais avaient besoin que quelqu’un dise qu’ils étaient finis. Malgré tout, il en manquait encore pour finir l’album, et la seconde moitié du disque a été faite bien plus rapidement. Je me suis beaucoup détendu ». Pourtant, malgré quelques frustrations durant la première phase, « la création était toujours très joyeuse ».
En résulte un album tiraillé, à la fois précis et libre. Le disque impressionne surtout par la quantité d’influences brassées, poussant jusqu’aux musiques électro-acoustiques d’un Pierre Henry ou la musique traditionnelle japonaise, « qui ressemblent à la dubstep, au fond, dans leur manière d’utiliser l’espace ». C’est justement cette densité sonore qui vient placer ce disque dans l’héritage d’une musique de club, tout en allant bien au-delà . Mais il en retient surtout cet équilibre émotionnel particulier ; cette ligne « entre l’euphorie, une innocence juvénile, et l’angoisse », sur laquelle Koreless joue les funambules. Tout le disque est fait de contrastes, stylistiques et émotionnels, donc, mais aussi dans les structures, les sonorités. « Je finis toujours par travailler avec des oppositions très fortes », nous faisant basculer sans cesse dans des univers nouveaux, foisonnants.
« J’avais le sentiment qu’il fallait tout essayer. »
Une autre opposition structurante du disque est celle entre humain et synthétique, incarnée par cette voix féminine dans plusieurs titres, purement artificielle. Le musicien aime ces « voix créées en laboratoire, lisses, sans personnalité », en assumant leur côté irréaliste. Cela n’empêche pas l’émotion, en particulier une profonde mélancolie. Plus largement, l’artiste évite le plus possible l’emploi des sons de batterie, l’amenant à trouver des moyens toujours ingénieux pour amener de la densité à ses morceaux, tout en restant très aérien, à la frontière de l’ambient. À force de balancer, Koreless a trouvé un équilibre rare, toujours en mouvement, à la limite de l’explosion. Avec un contrôle parfait.