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23 mai 2023

Hyperpop : de micro-genre à folie mondiale, les kicks pailletés s’imposent

par Mel Mougas

Folie subculturelle devenue prescription dans la musique pop, à l’aube du dixième anniversaire du label PC Music à l’origine du genre, retour sur la genèse de l’hyperpop, ce micro-genre originaire de Grande-Bretagne qui a depuis bien intégré la scène musicale française.

L’hyperpop claque en bouche comme une boîte de Pop Rocks. Inspirations électroniques, trance, hip-hop, nu-metal, k-pop, rock et refrains dignes des plus grands tubes de Britney Spears… Entre fourre-tout musical et recette bien dosée, ce genre est un univers sonore où les notes rebondissent sur les pixels, et où les rythmes sont sculptés par des lignes de code. Mais c’est socialement et culturellement que se trouve sa définition : l’hyperpop c’est « une musique par les queers et pour les queers » explique Louise Bsx, artiste et productrice française.

 

Origines post-internet

En août 2013, le producteur britannique A.G Cook, l’un des principaux catalyseurs du genre, fonde son label : PC Music, laboratoire musical où des artistes comme SOPHIE et Hannah Diamond expérimentent la musique pop seulement munis de leurs PCs portables. Bruits d’ordis, synthés, distorsions de voix et autres machins-chose sonores, avec d’un côté les outils offerts par le web et de l’autre, une envie de tout casser, ils créent des sons métalliques et compressés. Pas question ici de reproduire les normes de la pop déjà établies, mais bien de la faire changer de cap, de la rendre progressiste – et bien plus colorée – largement infusée d’une esthétique visuelle cyberpunk.

Le nom-même de ces artistes a une origine post-internet, où les chiffres et les langages du web font référence, créant plus que des noms de scènes mais de véritables pseudos sur des forums en ligne. On pense notamment au français Thx4Crying qui avec son nom, « rend hommage à skyblog et à [son] adolescence emo ». L’artiste de 28 ans, inspiré autant par Indochine qu’Evanescence, parle d’éros et d’anxiété. Dans son single « Loin de moi le drame » extrait de son EP Montagne d’émeraudes (2022), il réalise « une prière pour essayer de repousser l’angoisse, en ayant l’espoir d’être sur le bon chemin pour que ça s’arrête ».

hyperpop thx4crying

© Nina Richard

Fables modernes de récits de vies chaotiques, parlant aussi bien d’amour, de sexe que de violence et de liberté, leur musique est teintée de teen angst (ou mal-être adolescent, pour simplifier) et d’anti-capitalisme utopique. Avec son album Product (2015), SOPHIE, brillante bâtisseuse du genre, réalise un tour de force musical où la fête et la dépression sont mises en lumière sur une voix robotique flottant au-dessus des beats… tel un ballon de baudruche gonflé à l’hélium. Elle éclate la musique pop pour mieux la reconstruire, plus audacieuse, plus iconoclaste.

 

À lire sur Tsugi.fr :: Plus qu’une immense artiste, SOPHIE était un pont entre des mondes opposés

 

Ascension grand public

Autre figure instigatrice, Charli XCX joue avec ces nouvelles sonorités depuis son EP Vroom Vroom (2016). Déjà riche d’une certaine notoriété, elle cumule collaborations, albums et récompenses, dansant entre les catégories pop et électro.

Longtemps appelée ‘bubblegum bass’, ‘glitchcore’ ou ‘cyberpop’, c’est Spotify qui lui donne le nom d’hyperpop en 2019 avec une playlist dédiée au genre, dans laquelle figurent des artistes tels que le duo 100 Gecs -dont l’album 1000 Gecs (2019) a accumulé des millions d’écoutes-, Slayyyter ou encore Shygirl.

En mai 2023, les vidéos avec le hashtag « hyperpop » ont dépassé la barre symbolique du milliard de vues sur TikTok. La raison : la nature même du réseau social qui tend à divertir une audience qui s’ennuie rapidement et qui ne demande qu’à être bousculée, tout comme l’hyperpop qui est une « version plus agressive du présent », disait A.G Cook sur Tracks. Cette musique parle à une jeunesse ultra-connectée et en constante recherche de nouveauté. En 2023, le genre a également fait son entrée aux Grammy Awards avec l’artiste hyperpop Kim Petras, devenant la première femme transgenre récompensée, pour son titre « Unholy » partagé avec Sam Smith.

Reconnus par les plus grands, 100 Gecs travaille sur la bande originale de la série Euphoria (HBO), Caroline Polachek produit pour Beyoncé et -consécration mainstream– Lady Gaga dédie un album de remixes à ce genre en 2021, avec Dawn Of Chromatica. Y apparaissent -entre autres- Dorian Electra, Arca, BloodPop et bien-sûr A.G Cook.

Seule une brise tardive a porté les sons de l’hyperpop jusqu’à l’Hexagone, bien après avoir enflammé les scènes anglophones. « Ici c’est super récent, on est toujours en retard de toute façon ! » déclare Louise Bsx, qui fait de l’hyperpop depuis 2019. « À l’époque, il y avait peu de personnes qui s’y adonnaient et il n’y a toujours pas de véritable mouvement, poursuit l’artiste. Avec des amis, on a tenté de créer un truc lors de nos soirées AfterLife mais au final, notre seul but était de rassembler des artistes queer. Peu importe leur style musical. »

Bien que l’hyperpop ne soit pas considérée comme un mouvement à part entière en France, elle s’est bien infiltrée dans la scène émergente. Des artistes tels que Chéri, Thanas, le duo ascendant vierge, Timothée Joly ou encore Eloi font preuve de son influence. La dernière a notamment fait parler d’elle en imaginant un remix hyperpop de la chanson « Je t’aime de ouf » de Wejdene, lui donnant des nouvelles couleurs – bien plus saturées – sur des beats euro dance pour devenir « jtm de ouf ».

Kalika, prêtresse cyberpunk, connaît depuis un certain temps une ascension dans la scène française. L’ancienne candidate de Nouvelle Star vient de sortir en mai 2023 son premier album intitulé Adieu les monstres, produit par Balthazar Picard, sous le label Cinq 7. Elle incarne cette rare combinaison de légèreté et de profondeur, où l’auto-dérision se mêle à la rétrospection, pour créer une symphonie aussi troublante qu’ensorcelante.

 

Une bulle de queer rage

Pour saisir l’hyperpop, il faut avant tout comprendre ses racines queer. Si ce genre est indéfinissable, difficile à catégoriser, c’est qu’il est a l’image des identités des personnes qui l’ont créé. Les modifications vocales favorisant le jeu avec l’identité de genre, exit dysphorie et autres obstacles biologiques… Et place à l’expérimentation. Ces notes auto-tunées apparaissent ainsi comme des larmes de résistance et de célébration. Permettant ainsi aux personnes qui peinent à crier, de le faire via leur ordinateur. « Tu n’as pas besoin d’un groupe ou d’instruments. Tu es solo avec un micro et un logiciel dans ta chambre, tu peux être toi librement, c’est surtout ça qui m’a plu » confie Louise Bsx. Une musique qui transcende le genre et les genres, qui brouille les frontières et s’épanouit dans une apologie flamboyante de la diversité.

Initialement une bulle de queer rage – expression utilisée pour décrire la colère et la frustration ressenties par les personnes queer, face à l’oppression et la discrimination systémique – l’hyperpop est aujourd’hui le cri vibrant d’une génération avide de changement, une vague tumultueuse déferlant sur le paysage musical français avec une force insouciante. « On est une génération plus ouverte aux questions de genre, et l’hyperpop incarne cette idée », atteste Louise Bsx, qui espère que l’arrivée de ce genre en France permettra une meilleure visibilité des artistes queer. Une chose est sûre, les kicks pailletés de l’hyperpop française n’ont pas fini de nous faire danser.

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