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29 mars 2019

GusGus : Le mythique duo islandais inclassable revient sur 24 ans de carrière

par Victor Goury-Laffont

La genèse du projet GusGus remonte à 1995. A l’époque, une dizaine d’Islandais se réunissent pour monter un collectif d’acteurs et vidéastes. 24 ans plus tard, GusGus s’est transformé en un groupe de musique électronique à succès, dont les productions d’electronica et de trip-hop sorties dans les années 90 via le fameux label 4AD ont bâti la légende. Son dernier album, Lies Are More Flexible, fait quant à lui appel à des sonorités plus dansantes, rappelant l’italo-disco des années 80. Comment expliquer qu’un même projet ait eu autant d’aspirations artistiques différentes ? Peut-être que cela vient de Birgir Þórarinsson et Daníel Ágúst Haraldsson, les membres actuels de ce groupe dont la composition aura fortement évolué avec le temps. Malgré des années d’activité, les deux artistes gardent en eux une soif de liberté et un refus d’être catégorisés, fut-ce musicalement ou au niveau de leur identité. Après avoir révélé le titre inédit « Co2 » le 22 février, les Scandinaves repartent de l’avant. Au programme : la réalisation d’un nouvel album et une tournée des festivals.


Depuis la sortie de votre dernier EP, vous avez beaucoup tourné…  Après une longue carrière, c’est comment de continuer à se produire en concert ? Vous percevez des changements au fil du temps ? 

Daníel Ágúst Haraldsson : Les tournées ça peut-être amusant, mais ça peut aussi être compliqué à vivre, surtout lorsque tu es longtemps éloigné de ta famille. Mais chaque concert est rempli d’énergie et inspirant, donc ça vaut la peine d’être en cavale pour amener la musique aux gens.

Birgir Þórarinsson : Pour beaucoup de groupes la différence entre création et performance est importante. Mais avec GusGus, la performance a toujours été une partie intégrante de ce que les fans attendent. Ca fait partie de notre processus créatif, nos idées arrivent souvent pendant les lives. Donc les tournées sont toujours quelque chose de fondamental pour nous. On peut expérimenter avec nos titres, essayer des choses nouvelles sans un cadre défini. En ce moment, on travaille sur un album, et on a vraiment hâte de tester les premiers morceaux en live cet été pour déterminer ce que l’on doit modifier.

Il y a eu un regain d’intérêt pour votre configuration live, en parallèle à une montée de popularité des technologies modulaires. C’est quelque chose que vous ressentez ? 

B : Une partie de l’audience cherche d’abord et avant tout une bonne fête, mais une autre cherche elle aussi à créer de la musique. Pour celle-ci, il y a un intérêt à voir comment on peut être créatifs dans nos lives, et ne pas se cantonner à jouer de la musique sur un ordinateur. Quand on finit un titre, on le décompose et on le recrée pour le live, en y ajoutant des éléments. J’ai fait une série de vidéos expliquant notre configuration, en essayant de ne pas être trop technique pour permettre à chacun d’apprendre une autre façon de livrer de la musique électronique. Ca me frappe toujours de rencontrer des musiciens électroniques pour qui cette vidéo a eu un impact.


Dans le studio, vous pensez à cette partie de l’audience qui cherche avant tout à faire la fête ? 

B : Pas vraiment, mais dans la majorité des titres qu’on a fait ces derniers temps, la construction cherche à interpeller le corps et l’esprit. Donc au final, ce sont des morceaux qui font bouger. Mais ce n’est pas parce qu’on voulait faire danse, c’est avant tout lié à notre façon d’approcher la structure rythmique. Mais j’ai aussi l’impression que quand on arrive à faire bouger les gens, ça les ouvre émotionnellement, donc c’est tout de même important dans la composition.

Pourquoi avoir sorti « CO2 » maintenant et pas l’avoir inclus dans l’album ?

B: On est dans une nouvelle ère de sorties digitales, très différente des années 80, quand nous consommions de la musique. C’est une époque qui me manque un peu sous certains aspects. A ce moment là, c’était très important d’être un artiste à albums, et quand on offrait un single, on devait proposer un B-side intéressant. Aujourd’hui tu vas juste faire faire un remix par un artiste en vogue, mais à l’époque c’était quelque chose que tu faisais toi-même, et t’en profitais pour expérimenter. Même aujourd’hui, on cherche toujours à avoir un titre qui va avec le single et en faire une sortie à part entière – en l’occurence « CO2 » est la B-side de notre single « Lifetime ».  Mais je pense que ces nouvelles manières de sortir des morceaux libèrent les gens. C’est tellement facile de faire une sortie, t’as pas besoin de ressources financières et t’as pas de pression de réussite, donc c’est une véritable liberté. Mais dans cette liberté, on choisit de faire les choses à l’ancienne. Je ne pense pas qu’un mode de fonctionnement soit mieux que l’autre. Tous les artistes choisissent la manière dont ils veulent proposer leurs oeuvres sur le marché. Je vois aussi des artistes qui font parfois des morceaux avec la seule intention d’être remixés, et ne vont peut-être pas au bout de ce qui pourrait être fait. Ca, je dois dire que je trouve ça un peu étrange.

Dans le dernier numéro de Tsugi, une discussion a émergé sur le fait que les artistes de la nouvelle génération en musique électronique ne seraient pas assez engagés. Qu’en pensez vous ? 

B : La musique, comme tous les arts, doit être approchée sans demandes. Ca a toujours été un médium pour que les humains s’expriment de façon libre. Donc on ne peut pas demander aux artistes d’être politisés. On peut le souhaiter, mais pas l’exiger. Nous, on n’a jamais voulu être trop politiques dans notre travail. On flirte avec – comme avec « Sustain » sur l’album Mexico – mais le groupe n’est pas engagé politiquement, même si nous le sommes en tant qu’individus. Mais par la musique ou par d’autres voies, c’est important que la jeune génération s’engage, et pousse aux changements avant que ça ne soit trop tard, parce que les anciennes générations ne le feront pas.

Dans votre prochain album, verra-t-on des différences par rapport à vos derniers projets ? 

D : Vous verrez ! (riresOn travaille dessus, la musique n’est pas encore tout à fait née, mais on commence à la voir apparaître.

B : Après « Sustain », on a commencé à s’approcher de sonorités new-wave qu’on essaye de croiser avec de la musique industrielle contemporaine. C’était la direction du dernier album, et on va peut-être continuer à aller dans ce sens-là.

Il y a des artistes contemporains qui vous inspirent dans cette direction ? 

B : Probablement SOPHIE. Ses sons ne le sont pas vraiment, mais son approche est assez industrielle. On s’inspire de ce qui se passe de façon générale, pas d’artistes particuliers.

En plus de son art, SOPHIE est aussi une figure de la communauté transgenre. Vous avez toujours combattu les stéréotypes de genre, comment percevez-vous les avancées sur ce sujet ? 

B : Tout en restant un homme, je pense qu’on peut dire que je suis gender-fluid. Pour moi, c’est une question de liberté, la possibilité de me présenter à la société comme je suis vraiment, le fait de pouvoir librement exprimer qui je suis dans mes rapports aux autres. Je pense que ces questions sont beaucoup provoquées par les catégories de genre très rigides. L’idée serait d’éliminer ces catégories. Aujourd’hui, les gens contournent de plus en plus les règles sur ce sujet. C’est peut-être la naissance d’un nouvel être social qui ne se cantonne pas à des divisions binaires.

Il y a-t-il un lien entre votre envie de mettre fin aux catégories de genre, et vos travaux qui ne se cantonnent pas à une catégorie d’art spécifique ? 

B : On ne ressent pas le besoin d’être lié à un genre, ni au niveau de la société, ni au niveau musical. On ne ressent aucune pression à faire de la musique pour une partie donnée de la population ou une autre, pour atterrir à la radio, sur une playlist… On fait juste ce qu’on veut. Et à notre âge, on a une tonne d’influences des trois ou quatre dernières décennies dans lesquelles on peut piocher, donc on trouve toujours quelque chose de nouveau à essayer, même quand le nouveau vient d’un ancien concept oublié.

 

 

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