Gilets vibrants, concerts en langue des signes : comment le Foin de la Rue montre l’exemple en terme d’accessibilité en festival
« Au Foin de la Rue : festival éthique et éclectique » : en voilà un qui n’a pas choisi son slogan au hasard. Pour l’éclectisme, on voit le topo, AFDLR accueillant les 5 et 6 juillet à Saint-Denis-de-Gastines des artistes aux obédiences stylistiques plus que variées : rap avec Odezenne ou Svinkels, musiques électroniques avec Kompromat, ATOEM ou Worakls, calypso avec, comme son nom l’indique, Calypso Rose, chanson française chez Dionysos… Mais l’éthique alors ? Outre un respect de l’environnement de rigueur (pitié, on ne veut pas de canicule tous les ans, il est grand temps de faire des efforts), le Foin de la Rue a une particularité : son programme « accessibilité ». Parce qu’après tout, ce n’est pas parce qu’on est en fauteuil, malvoyant, enceinte, âgé, souffrant d’un handicap psychique ou mental, qu’on ne peut pas profiter des concerts comme tout le monde, être bénévole sur un festival ou tout simplement pouvoir boire des coups au camping en gueulant « Apéro ! » comme sur tout événement estival qui se respecte. Et même quand on est sourd. « Un festival, c’est bien sûr des concerts, mais c’est aussi un événement social, de lien, de rencontre », précise Régis, 15 ans de bénévolat au Foin, qui en 2010 a lancé avec trois autres bénévoles une « commission handicap », devenue « commission accessibilité », et aujourd’hui « accès pour tous ». Le changement de vocabulaire, s’il peut paraître abscons au premier abord, a en fait sa petite importance : les actions et aménagements mis en place par le festival finissent par profiter à tous. Par exemple, pour permettre aux personnes sourdes de ressentir au mieux les rythmes et basses des concerts, le festival met à disposition des SubPacs, sorte de gilets vibrants calés sur la musique – gilets qui peuvent tout à fait être testés par des entendants, les SubPacs, par ailleurs également testés à Art Rock cette année, devenant ainsi des objets de médiation et d’échange. Même chose pour l’audiodescription des concerts proposée par des bénévoles pour les malvoyants – tout le monde peut en profiter, quitte à se caler un bandeau sur les yeux. Le handicap n’est plus un tabou, ni une barrière entre les festivaliers – au contraire, chacun participe à la vie et à l’identité du festival, comme avec cette déco préparée par les résidents d’une IME voisine que l’on retrouvera sur le site, sur le thème du cirque cette année. « On voulait que ce soit un événement qui n’exclut personne, chacun peut être festivalier ou bénévole comme tout le monde. Et je tiens vraiment à insister sur le ‘comme tout le monde' », poursuit Régis. « Pas de traitement de faveur, de discrimination positive, pas de mauvais accueil non plus. Et pas de demi-tarif : personne n’est un demi-festivalier ! ».
Vestes vibrantes et audiodescriptions pour vivre au mieux les concerts donc, mais ce n’est pas tout. Le festival met également à disposition des bornes de recharge pour les fauteuils électriques permettant également d’en regonfler les pneus, des toilettes adaptées (y compris au camping), un programme simplifié, et des pictogrammes sont affichés sur l’une des buvettes pour permettre aux festivaliers entendants de signer leur commande aux bénévoles sourds. De quoi renverser la situation classique et faire apprendre quelques bases de la langue des signes. « Ça a été beaucoup de travail et de remises en question », se souvient Régis. « En 2010, quand on a commencé à réfléchir à ces questions, on est allés dans un centre pour jeunes sourds, et on s’est pris une grosse claque : ça ne les intéressait pas ! Le problème, c’est qu’on arrivait comme des colons, en imaginant avoir plein de solutions pour eux. On a dû changer d’approche : ça peut paraître évident, mais il ne faut jamais oublier de demander leur avis aux principaux concernés, ne jamais imaginer savoir à l’avance quelles seraient leurs attentes – d’autant que je ne suis pas en situation de handicap moi-même, et que mon métier de tous les jours n’a rien à voir. Puis on a appris, petit à petit. Et une année, on a eu un groupe de 15 jeunes malentendants qui sont venus ensemble au festival, et qui, le premier soir, sont restés pendant hyper longtemps au camping, à prendre l’apéro, comme tout le monde. C’était une victoire pour nous – même si bon, on préfère quand les gens sont plutôt devant les concerts ! », rit-il.
Un choix militant
Encore faut-il que les concerts soient réellement accessibles à tous. Et c’est là qu’interviennent les Mains Balladeuses, une association de « chansigne ». L’idée : adapter en langue des signes les morceaux de certains concerts, en binôme, et pour des performances quasiment chorégraphiées. « En fonction du morceau, il faudra qu’on ait un engagement du corps et du visage », explique Sophie, membre de l’association. « Si une musique est dansante, il faut bien que l’on retransmette ça ! Mais sur des chansons à texte, on aura le corps beaucoup plus ancré et des mouvements plus lents ». Cette année, les Mains Balladeuses seront sur scène avec Calypso Rose, Kimberose, Supachill et Dionysos. Des chansons en français et en anglais donc. « C’est peut-être un peu plus facile avec des textes en français, et encore pas forcément – signer une chanson de Renaud par exemple, avec plein de jeux de mots et un travail sur les sonorités, serait super dur. Donc adapter des titres de Calypso Rose, c’est un challenge, mais pas plus que pour Dionysos », précise Sophie. « Adapter une chanson, ça ne se fait pas en un claquement de doigt : il faut prendre en compte le sens des mots, l’univers de l’artiste… Ça représente entre 6 et 8 heures de préparation par titre, et c’est vraiment plus une adaptation qu’une traduction toute simple ». Les Mains Balladeuses s’installent sur scène pour quelques morceaux, généralement en début de set, et il faut beaucoup de doigté (si on ose dire) pour être suffisamment visible sans non plus trop grignoter l’espace de l’artiste. Mais les retours des artistes en question sont plutôt encourageants : Arthur H, qui n’avait pas forcément prévu de les accueillir, les a invitées sur scène car emballé par le projet après une discussion en coulisses (« une super rencontre »), tandis que les Orgues de Barback les ont carrément embarquées sur toute leur tournée anniversaire, avec un grand final à L’Olympia. « Les entendants aussi peuvent se prendre au jeu, certains finissent pas signer les refrain avec nous, c’est assez magique. Et puis ça prouve que la musique ce n’est pas que pour les entendants, tout en offrant plus de représentation à des gens qu’on n’a pas l’habitude de voir en festival, qui sont parfois et malheureusement invisibilisés ».
Mais alors, les chansignes, les subpacks ou même les médiations et actions culturelles auprès des IME et EHPAD de la région en amont du festival… Pourquoi on ne voit pas ça partout ? « C’est un choix militant de faire ça, une volonté de diffuser certaines valeurs en tant que festival associatif », précise Régis. « D’autres ne le font pas parce qu’ils n’y sont pas obligés. Un festival avec chapiteau, construit à partir de rien, est un lieu éphémère, il n’y a pas autant de réglementations en matière d’accessibilité que pour une salle de concert. Mais depuis 2010, on cherche à devancer le peu de lois qui existent sur le sujet. Financièrement, c’est un choix également : sur notre budget d’un million, l’accessibilité représente entre 10000 et 15000 euros. Le besoin est cela dit surtout humain, et c’est là qu’interviennent les bénévoles, pas mal de bon sens (comme correctement placer les rampes et podiums PMR, à savoir collés à la régie et pas sur le côté, ce qui nuit à la visibilité) et de bonne volonté ». Et puis garder comme objectif, à terme, que tout cela devienne un non-sujet. « J’aimerais presque qu’il n’y ait plus besoin de communiquer sur ce sujet, et surtout qu’il n’y ait pas de ‘handi-washing’, à savoir des gens qui s’emparent de ces questions simplement pour des histoires marketing, comme on peut le voir avec l’écologie parfois ». Parce que permettre à chacun de profiter de la musique, quels que soient ses besoins et ses spécificités, ça tient de l’évidence. Au Foin de la Rue en tout cas.
Plus d’infos sur le programme « accès pour tous » sur le site du festival.