Femmes et musique électronique : y’a encore du boulot !
Article publié en juin 2016, mis à jour le 17 octobre 2017.
« Tu peux me passer Jonathan pour la facture ? ». Quand Laura Perez organisait des soirées (aux Caves Saint-Sabin, au Back Up, les soirées Wagner au Social Club…), elle était chargée de production et son copain, Jonathan, directeur artistique – comprendre qu’il s’occupait de l’aspect musical tandis qu’elle se chargeait de toute la paperasse et de l’organisation pure et dure. Dont les factures. « Mais non, on a déjà insisté pour que Jonathan soit celui qui s’occupe des factures, parce que tu comprends, ‘c’est des chiffres, c’est compliqué’« . Réflexions déplacées, doute sur les capacités, renvoie systématique au collègue masculin… Le cas de Laura n’est pas isolé. « A chaque fois que je parle de ça à des femmes du milieu, elles me répondent par un petit regard de solidarité. Elles savent ce que c’est ».
Sabine « Swann » Bouchoul, journaliste musicale : « On m’a déjà sorti que les mecs parlaient mieux de musique car ils étaient plus objectifs ».
Il faut dire qu’elles sont rares, les femmes travaillant dans le milieu de la nuit et de la musique électronique. Une grande majorité des DJs bookés sont des hommes. En 2015, le site female:pressure, un annuaire recensant les femmes DJs pour mieux aider à leur booking, s’est amusé à compter le nombre d’artistes féminines à l’affiche de quelques festivals internationaux. Par exemple, l’édition belge d’I Love Techno ne comptait cette année-là que 5,6% de femmes à l’affiche, avec une moyenne globale à 10,8% (sur quatorze festivals étudiés). Même s’il y a objectivement moins de têtes d’affiche féminines – pour le moment -, ces chiffres sont quand même bien bas, et ces affiches n’aideront pas à la démocratisation de programmations plus paritaires. Le pompon ? Le UP Festival grec et le Unsound australien : c’est bien simple, il n’y avait que des hommes au line-up. Côté labels, même combat : chez R&S par exemple, il n’y a que 7,7% de femmes. Tout n’est pas noir heureusement, des festivals comme Les Femmes S’en Mêlent ou des maisons comme Kill The DJ viennent inverser la tendance. Fondé au Pulp en 2005 par Fany Corral, Chloé Thévenin (juste Chloé quand elle mixe et produit), Ivan Smagghe et Stéphanie Fichard, Kill The DJ a notamment signé C.A.R., Jennifer Cardini ou Léonie Pernet.
Laura Perez a également décidé d’agir en fondant l’association WAKE Paris (Woman Art Keen Equality), tandis que sur Facebook s’est créé shesaid.so France, un réseau de femmes travaillant dans le milieu de la musique. Beaucoup de journalistes, d’attachées de presse ou cheffes de projet de label s’y retrouvent, ainsi que des musiciennes et DJ. D’ailleurs, attention à l’emploie du terme « Djette » : « Je prends toujours l’exemple de la courgette. Une courgette, c’est une petite courge. Une jupette, c’est une petite jupe. Mais une DJ n’est pas plus petite ou plus mignonne qu’un DJ – et si c’est le cas, tant mieux pour elle, mais ce n’est pas ça qui doit la définir », précise Laura.
Myriam Eddaïra, ingénieure du son : « Je suis allée à une convention AES, un salon professionnel de matériel audio et de son, avec un ami également ingénieur. Je pose une question à un stand, l’exposant répond à mon ami en me tournant le dos. Je ne pouvais être que sa copine ! Aussi, on me prend souvent pour la fille de l’ingé son. Non non, c’est moi ! »
DJ ou Djette, ce point de vocabulaire peut paraître accessoire, mais il est en fait essentiel. Car se sentir diminuée et toujours ramenée à son petit physique, c’est ce que ressent Emikke, Emeline Breton Kamemura de son vrai nom, qui a rejoint Laura Perez au sein de WAKE. « La belle Emikke », « elle va vous séduire »… Même si c’est plutôt flatteur, elle en a ras-le-bol et aimerait bien que l’on parle d’elle pour sa technique et pour la techno bien bourrine qu’elle envoie en set – et pas de la gentille deep house parce que « les filles sont plus mélodieuses ». On pourrait presque appeler ça le syndrome Nina Kraviz : dès qu’une femme est aux platines, les médias (et ça a dû nous arriver!) se servent du physique pour parler du DJ. Et pas que les médias : pour teaser sa Festival.e, Laura Perez a réalisé deux vidéos dans lesquelles elle demande à des amateurs de musique électronique (elle s’est baladée au Point Ephémère pendant un apéro Newtrack) quelle différence cela faisait pour eux de voir mixer un homme ou une femme. Qu’on se rassure : la plupart des réponses étaient pleines de bon sens (à savoir que l’on s’en fout complètement). Mais certaines avaient de quoi vraiment énerver, à l’image de ce jeune homme voulant avant tout qu’une femme DJ l’« excite ». Difficile de transposer ça sur un Ben Klock ou un Marcel Dettmann.
Virginie Freslon, attachée de presse : « Je suis allée à l’ADE (Amsterdam Dance Event) il y a deux ans. Je me souviendrais toujours quand je me suis rendue devant l’hôtel qui sert de lieu de rencontre pour tous les pros là-bas et que j’ai vu un attroupement composé à 90% de mecs. J’ai un peu halluciné et surtout je me suis sentie vraiment toute petite, presque plus trop sûre de moi. Puis j’ai respiré un bon coup et j’y suis allée, mais j’aimerais ne pas avoir à ressentir ce malaise parfois ».
« Je ne veux pas être pessimiste », précise Laura Perez. « Je veux plutôt réfléchir à des solutions et aider les femmes de l’ombre à en sortir ». Comment ? « En proposant des formations Ableton ouvertes à tous et toutes mais mises en place par des femmes par exemple : j’ai peur que les femmes n’osent pas forcément aller à ce genre de formations parce qu’il n’y a que des mecs qui y enseignent ou qui y assistent ! ». Mais aussi en proposant des line-up 100% féminins, comme à la Festival.e. Le rêve de Laura ? Qu’on vienne assister à ses événements parce qu’il y a des animations sympas (elle aimerait bien mettre en place des brocantes ou des ateliers), que les sets sont bons ou que les collectifs sont à rencontrer… Et, qu’à la fin de la journée personne ne se soit rendu compte qu’il s’agissait de filles aux platines ! Car, après tout, tant que la musique nous plait, on s’en fout de ce qu’il y a dans le slip (pardon, la culotte !) de celui qui mixe, non ?