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26 avril 2017

Exclu : « Woman Training For A Republican Militia » de Maelstrom, extrait de son futur album inspiré par la guerre d’Espagne

par Clémence Meunier

La paternité (ou la maternité), la vie en tournée, un voyage ou l’actualité : les sources d’inspiration pour un album peuvent être nombreuses et variées. Mais quand on reçoit un long-format directement – ou presque – inspiré de la Guerre d’Espagne, qui a eu lieu entre 1936 et 1939 et qui opposait les Républicains de gauche aux nationalistes menés par Franco, forcément, ça intrigue. Et surtout quand le-dit album est signé Maelstrom, qui avec Louisahhh est à la tête du passionnant label RAAR, l’un des creusets de l’expérimentation techno à la française. Her Empty Eyes, attendu sur RAAR pour le 19 mai, évoque ainsi l’histoire imaginaire de Marina, une photographe de guerre couvrant la période. Au fur et à mesure des titres, sur lesquels on distingue parfois des dialogues en espagnol, se dessine la bande-son d’un roman à construire soi-même, où peuvent se croiser Robert Capa et Ernest Hemingway, des réfugiés fuyant vers la frontière française et des meurtres non élucidés. « Woman Training For A Republican Militia », que l’on vous propose d’écouter en exclusivité plus bas, fait partie de cette histoire mise en musique, et s’avère être un redoutable morceau techno. Pour imaginer tout ça, Maëlstrom s’est laissé aller à une nouvelle méthode de composition : l’auto-hypnose. Afin de mieux comprendre son processus de création hypnotisé – et, fatalement, hypnotisant – et les raisons pour lesquelles il s’est tout à coup intéressé à cette période historique, on a posé quelques questions au Nantais.

Cet album a été composé sous « auto-hypnose »… Que veux-tu dire par là ?

Cette méthode est connue depuis assez longtemps. Aujourd’hui, elle est de plus en plus utilisée dans le domaine médical. Des études ont été faites avec de la neuro-imagerie et les chercheurs se sont rendu compte que ça avait un effet réel sur le cerveau et l’état physique et biologique de la personne sous hypnose. C’est parfois utilisé en réanimation et en anesthésie pour réduire les doses d’anesthésiques, notamment en chirurgie ambulatoire (opérations qui rendent possible la sortie du patient le jour même, ndlr). Donc ce n’est pas quelque chose d’ésotérique, puisque c’est une méthode qui s’appuie sur des fondements scientifiques de plus en plus solides.

L’usage que j’en fait, en tout cas pour la création de cet album, me donne plutôt les moyens d’être dans le moment présent, et d’arrêter de me projeter dans le futur. J’intellectualise moins, et je suis plus dans l’instinctif. Dans le travail artistique, pour beaucoup de personnes en tout cas, se niche une certaine angoisse de la création, qui t’empêche finalement de travailler. A trop conceptualiser et se projeter, tu perds le contact avec ce que tu es en train de faire. Ma démarche avec l’auto-hypnose était d’essayer de retrouver ce contact-là au maximum et d’être dans l’instantanéité, comme de l’improvisation en quelque sorte.

Comment as-tu découvert cette méthode ?

Ça va faire super intello, mais dans une émission sur France Culture, où deux scientifiques en parlaient dans le cadre de ce qui peut être développé dans les hôpitaux en anesthésie. J’ai trouvé ça super intéressant, du coup j’ai trouvé quelqu’un à Nantes, un psychiatre qui pratique l’hypnose et j’y suis allé.

Et ça a été la révélation ?

Oui ! Avant, j’avais un rapport difficile et presque douloureux avec mon travail, car j’étais très exigeant, je faisais 22 versions d’un morceau avant d’en être à peu près satisfait. Et ces séances d’hypnose ont fait que ça a complètement disparu. Je ne pense pas que j’aurais pu faire l’album sinon… Ou alors j’aurais mis trois ans.

Il y a une différence notable entre l’hypnose comme on l’imagine, en cabinet avec un psychiatre, et l’auto-hypnose ?

La seule différence, c’est que tu es tout seul. En cabinet, quelqu’un va être là pour te guider, en te parlant. Mais, en tout cas selon ma propre expérience, une fois que tu as déjà emprunté le chemin pour arriver à cet état d’hypnose, tu es plus ou moins capable d’y retourner tout seul. C’est vraiment un état physique particulier : j’ai lu depuis que quand tu es dans un état d’hypnose, ton corps peut produire de l’endorphine, l’hormone du plaisir. Il n’y a pas de rituel particulier, ce n’est pas du shiatsu ou autre, c’est plutôt un conditionnement.

Tu dis que cette méthode te permet d’être plus spontané et de moins conceptualiser ta musique. Mais pourtant c’est un album concept que tu as fait, avec une histoire bien précise racontée tout au long du disque…

Justement, non, et c’est ça le paradoxe de cet album et la difficulté à l’expliquer. Ça a l’air d’être un concept, mais ça ne l’est pas. Cette histoire est simplement arrivée. Avec l’hypnose, j’étais dans un état de grande porosité par rapport au reste de ma vie, et il se trouve qu’au moment où j’étais en train de bosser sur l’album, je lisais beaucoup de bouquins sur ce sujet-là, en passant d’un livre à un autre. Et il s’est trouvé que les morceaux que je composais correspondaient à une histoire que j’avais lue ou une photo que j’avais vue. A aucun moment je me suis dit « tiens, je vais faire un album concept et ça va parler de la guerre d’Espagne ». Par exemple, « Woman Training For A Republican Militia » (à écouter en exclusivité ci-dessus, ndlr) correspond à une photo de Gerda Taro, qui était la compagne de Capa, la première femme photographe reporter de guerre et qui a couvert la guerre d’Espagne. J’avais fait le morceau, et je l’ai laissé de côté quelques temps. Puis je suis tombé sur cette photo dans un bouquin, qui m’a rappelée le titre en question – et du coup je l’ai un peu retravaillé avec cette photo en tête, et voilà ! Ça a été assez simultané donc.

« Woman training for a Republican militia », Gerda Taro, photo prise sur une plage de Barcelone, août 1936.

Tu as toujours réussi à faire le lien entre les sons et les visuels comme ça ? Techniquement, il s’agit de synesthésie…

Non, ça n’a pas toujours été le cas. Mais je pense que l’état d’esprit dans lequel j’étais en écrivant l’album m’a permis de le faire plus clairement. J’ai toujours connecté ma musique avec la littérature parce que je lis énormément. Mais c’est la première fois que ça a été aussi évident.

Et pourquoi la guerre d’Espagne ?

Je suis tombé sur un livre de Javier Cercas, Les Soldats de Salamine, et qui très de ce sujet d’un point de vue contemporain. Je suis parti de ce bouquin, et comme souvent je suis tombé dans un tunnel de livre sur ce sujet-là, j’en ai dévoré plein ! Et puis je ne vais pas faire d’analogie trop directe avec ce qu’il se passe aujourd’hui, mais la guerre civile, les réfugiés, l’attitude de la France… Évidemment cela résonne avec l’actualité et cela m’a touché, même si l’idée n’était pas de faire un album métaphorique, pédagogique ou militant.

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