Eurosonic 2019 : le hip-hop a la cote mais rassurez-vous, le rock n’est pas mort
Rangez les guitares, jetez les mediators : depuis quelques années, le rock meurt. Ou du moins il disparaît des affiches des festivals, des Victoires de la Musique (on aime bien Feu ! Chatterton, mais qu’est-ce qu’ils font dans la catégorie rock des Victoires, vraiment?), Philippe Manœuvre prend sa retraite, Skyrock n’a plus aucune raison de s’appeler comme ça, et c’est le hip-hop qui caracole en tête des charts. Et pourtant. « Hello, we are Psychotic Monks and we are from Saint-Ouen ».
Alors certes, pas besoin d’aller jusque Groningen (Groningue en français, mais c’est vachement moins joli), petite ville mignonne du nord des Pays-Bas, pour écouter le quatuor francilien. Mais Groningen, c’est le berceau d’Eurosonic, festival où se produisent des dizaines et des dizaines de groupes émergents, devant tout un tas de professionnels, qu’ils soient bookers, tourneurs, programmateurs ou journalistes (on reconnaît facilement les Français : ce sont ceux qui dansent un peu plus que les autres). Et c’est aussi l’occasion de voir enfin ces artistes qu’on a ratés au Trans Musicales, ou ceux qui feront la pluie et le beau temps sur les prochaines affiches de festival. Et vu deux des concerts coups de cœur d’Eurosonic 2019, on a envie de parier sur un inespéré retour des guitares cette année. Enfin surtout celles de Psychotic Monks, qui se produisaient le vendredi 18 janvier, en toute fin de festival, au Vera, salle mythique du coin qui a accueilli 39 ans plus tôt, jour pour jour, un petit groupe nommé Joy Division.
Croisés à Rock en Seine ou aux Trans, les Audoniens (du nom des habitants de Saint-Ouen, on est aussi surpris que vous) n’en sont pas à leur premier fait d’arme. Mais leur rock psyché et garage est tout simplement imparable, profondément sexy (tendance cracra), avec un chanteur habité, rappelant parfois un Ben Shemie de SUUNS dans l’énergie. Et il faut se le dire : « It’s Gone » est un chef d’oeuvre, qu’on écoute en se balançant d’avant en arrière, les sourcils froncés de plaisir et en les bouffant des yeux, puisque ces mecs-là ont visiblement décidé de s’adresser directement aux parties les plus animales de nos cerveaux ramollis par la malbouffe locale et la bière. Intense.
Mais là arrive le seul défaut du festival : les concerts ne durent qu’une demi-heure en moyenne. Frustrant quand c’est bien. Interminable dans d’autres cas – Flèche Love qui en fait des caisses par exemple, noyant ses pourtant bonnes chansons sous une diarrhée de grimaces, chorégraphies et tics ampoulés. A l’inverse, les garçons du Villejuif Underground ne sont pas du genre à en faire trop. Retour aux guitares avec ce groupe de… Villejuif (très banlieusarde cette édition, décidément!), qui n’est jamais aussi bon que lorsqu’il assume l’influence du Velvet. Ils ont l’air fin soûls, comme tout le monde dans le public d’ailleurs, l’un d’entre eux fait de la flûte avec sa bouteille de bière, c’est complètement le bordel mais c’est exactement ce qu’on leur demande. Vive les guitares crado donc.
Sauf que est-ce que ce n’est que ça, le rock ? Est-ce qu’une La Fraicheur, qui mixe au club Simplon comme si sa vie en dépendait, techno et acid, n’aurait pas un énorme côté punk ? Est-ce que l’énergie très dark, tendance bas-fonds allemands post-chute du mur de Kompromat, ce n’est pas du rock ? Le duo Rebeka Warrior-Vitalic, qui jouait également au Simplon, avait présenté pour la toute première fois son nouveau projet au Péripate quelques jours auparavant, avec moults problèmes de son et un espace bien trop petit pour la foule qui s’était déplacée. Là, pas de soucis : il y a la place pour danser, nos cousins hollandais étant par ailleurs du genre calme, et le son est parfaitement réglé – comme d’ailleurs dans l’intégralité des dizaines de lieux estampillés Eurosonic. Rebeka Warrior chante en allemand, Vitalic est sur ses synthés, c’est cinématographique, cathartique, sexy aussi, comme si Marlène Dietrich s’était rasé la tête pour la mettre dans un caisson du Berghain. Dehors, il vente, il grêle, il est deux heures du matin, c’est parfait.
Alors bien sûr, il n’y a pas que des trucs d’énervés à Eurosonic. Le big band Kokoroko et son excellent « Abusey Junction », la délicieuse musique yéyé de Juniore et son « En Retard » en miroir au « 7 heures du matin » de Jacqueline Taieb, un Disiz La Peste impérial mais pas vraiment aidé par un public très calme et non francophone, ou les Reykjavíkurdætur, collectif hip-hop islandais, féminin et féministe, par ailleurs gagnantes des Music Moves Europe Talent Awards (anciennement EBBA, qui récompensent chaque année des talents européens dans le cadre d’Eurosonic)… Tous valaient le détour. Tout comme le concert de Chloé et Vassilena Serafimova, une alliance machines et marimba présentée dans le cadre complètement dingue du Dome, un planetarium. Ecouter « The Dawn » joué au marimba avec des étoiles littéralement plein les yeux, c’est quelque chose.
Et puis, Blu Samu. Elle a 23 ans, est belge, traîne avec des rappeurs comme le 77… Alors qu’on pariait sur Angèle à Eurosonic 2018, on a comme un déjà-vu. Mais la comparaison s’arrête là : Blu Samu donne dans le rap saupoudré de soul, seule sur scène avec sa DJ. Avec un petit côté Lauryn Hill toute jeunette, des textes ultra personnels, des clips malins, un naturel désarmant sur scène, une super voix sur les parties chantées et des productions par ses potes du 77, Blu Samu a tout pour elle. Et on met notre gouda à couper que 2019 ne se fera pas sans elle. A deux doigts de nous faire ranger les guitares et jeter les mediators.
Meilleur moment : les équipes de télé néerlandaises.
Pire moment : EUT en haut du clocher de la ville. Super concert, respect à eux, mais la musique à 70 mètres du sol pendant une tempête de grêle, c’est au-dessus de nos forces.