Eurosonic 2015 : ce qu’on a vu et aimé et ce qu’on aurait aimé voir
De la bass tropicale saturée avec Alo Wala, un live déjanté avec les luso-angolais de Batida ou les méthodiques constructions électroniques de Binkbeats, la 20ème édition du festival hollandais Eurosonic a été chargée en découvertes. Tour d’horizon.
Le programme donne le tournis : 333 artistes, quatre jours et une trentaine de salles, il allait falloir être méthodique. Depuis sa première édition en 1996, le festival hollandais Eurosonic est devenu le plus gros showcase d’Europe, réunissant plus de 3000 promoteurs, tourneurs, journalistes et autres acteurs de l’industrie de la musique venus dégoter la prochaine pépite musicale.
« Pour la première édition, on n’avait que 20 groupes hollandais sur une nuit, et on pensait que c’était déjà beaucoup, nous raconte Peter Smidt, le fondateur du festival. Ça a été un succès, alors on s’est dit qu’on allait continuer. Et puis on s’est rendu compte que si on allait 200 kilomètres plus loin, en Allemagne, en Belgique, en France, personne ne connaissait ces groupes. Et nous, nous n’avions jamais entendu parler des artistes qui viennent du Portugal, d’Italie ou de France. Ils doivent faire des choses super aussi, mais tu n’en entends jamais parler, parce que tu connais les groupes de ton propre pays ou alors des Etats-Unis et du Royaume-Uni. C’est dommage. Alors on a décidé de créer une plateforme européenne. » Près de 20 ans plus tard, 28 pays européens sont représentés. La Belgique avec la basse tropicale d’Alo Wala ou l’electro down tempo de Sekuoia, Jacco Gardner et sa pop psyché pour la Hollande, le drôle et énervé mélange de funk et de rock de Fumaça Preta pour le Portugal, le hip hop électronique de Apes on Tapes et Godblesscomputers pour l’Italie ou les excentriques Dakh Daughters pour l’Ukraine. Des noms pour la plupart inconnus… pour l’instant. La France est elle aussi bien représentée avec 15 artistes, parmi lesquels Acid Arab, Isaac Delusion, Ibeyi, Mina Tindle, Moodoïd ou encore Cristobal and The Sea.
On a donc chaussé nos plus belles baskets et on s’est lancé dans un marathon de concerts à travers la très chouette ville de Groningen et son nombres ahurissant de salles de concerts (un héritage de l’après-guerre, nous racontera-t-on, lorsque les tenanciers de bars durent se doter d’une scène live pour contourner un couvre-feu sur la vente d’alcool). On vous livre nos coups de cœur.
Acid Arab
Aller jusqu’en Hollande pour voir les Français de Acid Arab, on doit bien avouer qu’on était pas totalement convaincu. Mais si le duo français a squatté les line-up toute la saison des festivals, ce n’est que la troisième fois qu’ils jouent en live. Et « tant que tu n’as pas vu Acid Arab en live, tu n’as pas vu Acid Arab tout court », nous a-t-on soufflé. On a donc bravé la file d’attente pour aller voir nos concitoyens – devenu trio pour l’occasion -, apparemment très attendus. Grand bien nous en a pris. Dans les 45 minutes millimétrées imparties à chaque artiste, les deux DJs Guido Minisky et Hervé Carvalho et le claviériste Kenzi Bourras mettent le public en transe avec leur techno burnée et les rythmes orientaux de Kenzi Bourras. Il n’y a pas à dire, la recette fonctionne.
Sekuoia
Pas le temps de finir le live de Acid Arab que l’on file voir les danois de Sekuoia et leur electro hip-hop down tempo à la géode de Groningen. Autre salle, autre ambiance : bercés par les images 3D hallucinogènes projetées sur le plafond sphérique, le producteur Patrick Alexander Bech Madsen et ses deux musiciens chillent avec un live parfaitement maitrisé. Du Mount Kimbie en plus doux, on a aimé.
Alo Wala
Alo Wala restera comme la claque de ces trois jours. On pourtant attendait le groupe au tournant : leur tropical bass survitaminée pouvait donner le meilleur comme le pire. Ça sera finalement le meilleur. Devant une salle surbondée malgré l’heure tardive, la rappeuse Shivani Ahlowalia tient sa scène avec la trampe d’une M.I.A et balance son flow d’inspiration indienne et sud américaine avec une classe d’enfer. Sur les écrans, des rappeurs lui donnent la réplique sur fond de collage urbain, vintage et psyché. Ça jump dans la salle et ça s’invite sur scène ; ambiance ghetto en Hollande.
Batida
Au rayon claque, Batida suit de très près Alo Wala. Avec le luso-angolais Pedro Coquenão aux commandes, le groupe nous scotche avec un live déjanté, mélange de kuduro revisité, de samples de morceaux angolais des années 70, de samba et d’électro. Sur scène, un danseur au déhanché liquide, un showman provocateur digne des ballrooms de voguing, un rappeur angolais et trois musiciens, dont Pedro Coquenão – qui assis avec son instrument en forme de bidon d’huile semble assister au show avec la même délectation que son public. Entrecoupées de vidéos qui portent des messages sociaux et politiques, le collectif donne un live ultra énergique et nous fait danser comme jamais. Pas de doute, on veut les revoir.
Melanie De Biasio
On avait repéré Mélanie De Biasio avec son superbe « The Flow », où la chanteuse pose sa voix grave et chaudement texturée sur un jazz teinté de blues et de folk. Visiblement, nous n’étions pas les seuls. Lauréate des European Border Breakers Awards, une cérémonie qui récompense les nouveaux artistes européens dont le succès a dépassé les frontières, la musicienne envoute avec un show minimaliste et élégant. Parmi ses co-lauréats, Tood Terje (qui brillera par son absence), les Allemands de Milky Chance ou encore la sensation pop Mo, qui donnera une nouvelle fois un show hyper énergique.
Binkbeats
Le Hollandais nous avait impressionné en recréant méthodiquement et avec une inventivité géniale des morceaux de Caribou, Atom For Peace, Amon Tobin ou Aphex Twin dans ses vidéos Beats Unraveled. Ce soir là, c’est ses propres créations qu’il nous présente. Une électro exigeante, construite patiemment grâce à sa ménagerie d’instruments, sample par sample. Son superbe final, une reprise de Windowlicker d’aphex Twin, achèvera de nous convaincre.
Polygrains
Seul derrière ses machines – une rareté au festival Eurosonic – le producteur et compositeur Grec installé à Londres nous emporte dans sa bulle psychédélique avec une électronique vocale et mélancolique aux sonorités pop bizzaroïdes.
Jacco Gardner
Difficile de passer à côté de la star locale. Avec son allure d’ado nerdy, Jacco Gardner a enchanté le public de sa pop psyché et vintage tout droit sortie des années 60 et sa voix à la Syd Barrett. C’est joli, planant et nous a mis en appétit pour le prochain album du jeune Hollandais, prévu pour cette année.
Avec une trentaine de concerts par heure, forcément, on a du faire des impasses. Trois choses qu’on aurait aimé voir si on avait eu le don d’ubiquité:
Les excentriques Ukréniennes de Dakh Daughters et leur burlesque spectacle entre cabaret et théâtre.
Les franco-cubaines d’Ibeyi et leur électro-soul minimale sur lesquelles on a parié quelques billes pour cette année.
L’islandaise DJ Flugvel Og Geimskip et sa musique aussi étrange que son nom, sorte de collage old school de bruitages, de voix haut perché et d’électro geeky et synthétique.