Extrait du numéro 91 de Tsugi (avril 2016)

En l’espace de trois mois, en collaborant avec Mr. Oizo puis Sophie, Charli XCX est passĂ©e de pop star Ă©cervelĂ©e Ă  espoir d’une scĂšne mainstream intelligente. RĂ©cit. 

DĂ©but dĂ©cembre, le facĂ©tieux Quentin Dupieux, alias Mr. Oizo, semble confirmer qu’il ne prend guĂšre au sĂ©rieux la face musicale de sa carriĂšre, sortant un nouvel EP portĂ© par « Hands In The Fire », petite bombe Ă©lectro-pop interprĂ©tĂ©e par Charli XCX. Une surprise, tant on imagine mal le bougon producteur français Ă©prouver du plaisir Ă  l’écoute de la musique de la popstar anglaise, qui a surtout brillĂ© par son incapacitĂ© Ă  proposer la moindre chose excitante ces derniĂšres annĂ©es. Sur son deuxiĂšme album qui l’a fait dĂ©coller Ă  l’international, Sucker, on la dĂ©couvrait en fausse punkette marketĂ©e Ă  la truelle, comme sur le single « Break The Rules » oĂč elle jouait les lycĂ©ennes dissidentes. La Canadienne Avril Lavigne occupant le mĂȘme triste crĂ©neau depuis prĂšs de quinze ans avec ses amis sk8ers, il Ă©tait alors difficile de trouver le moindre charme Ă  Charli. Dans le clip, elle secouait ses cheveux sauvagement et dansait avec autoritĂ© sur le toit d’un bus scolaire, comme une pom pom girl rebelle et anticonformiste qui Ă©crase de ses bottes la biensĂ©ance et les rĂšgles. Vas-y Charli, casse tout ! 

CHARLOTTE SE VAUTRE 

Pourtant tout n’a pas toujours Ă©tĂ© si grotesque dans la carriĂšre de Charlotte (son vrai prĂ©nom) : ses premiers pas Ă©taient mĂȘme porteurs d’espoir. En janvier 2012, nous la mettions aux cĂŽtĂ©s de Grimes et Azealia Banks dans notre rubrique « Tsugi parie sur » Ă  la faveur de « Nuclear Seasons », petit single Ă©lectro-pop boudeur qui laissait espĂ©rer que Charli trouverait le bon Ă©quilibre entre succĂšs de masse et ambitions artistiques. Un background diffĂ©rent des autres apprenties popstars – un organisateur de raves de l’Est londonien lui avait donnĂ© ses premiĂšres occasions de monter sur scĂšne – laissait espĂ©rer que la jeune fille trouverait sa place, Ă  mi-chemin entre Britney Spears et Crystal Castles, deux rĂ©fĂ©rences assumĂ©es. C’est son premier album, True Romance, parfois osĂ©, mais globalement trĂšs ratĂ©, qui a fait dĂ©railler l’intrigante jeune femme : on peut imaginer qu’on l’a poussĂ©e Ă  chercher le succĂšs en versant dans le putassier. On l’a aussi aperçue en duo sur deux des tubes les plus Ă©nervants de ces derniĂšres annĂ©es, « I Love It » avec Icona Pop et surtout « Fancy » d’Iggy Azalea, qui lui a ouvert une carriĂšre aux États-Unis et l’a engagĂ©e dans une voie totalement mainstream qu’elle a poursuivi sur son deuxiĂšme album Sucker en 2014, oĂč les moindres aspĂ©ritĂ©s ont Ă©tĂ© gommĂ©es.

MAIS CHARLOTTE EXCITE 

Il a ainsi fallu l’intervention divine de Oizo pour que la jeune femme se souvienne qu’elle possĂšde encore toutes ses dents et qu’elle a probablement envie d’autre chose que de servir de la soupe. Si le toujours rebelle Quentin Dupieux a prĂ©fĂ©rĂ© ne pas rĂ©pondre Ă  nos trois questions, Ed Banger assure que la collaboration s’est faite sur un simple Ă©change d’e-mails. Il en a certainement Ă©tĂ© autrement pour l’EP Vroom Vroom, sorti fin fĂ©vrier par Charli sur son propre label et entiĂšrement rĂ©alisĂ© par Sophie, le producteur anglais androgyne du label Numbers. Une dĂ©marche de « coolification » savamment calculĂ©e : Charli anime une Ă©mission sur la radio Beats 1 pour passer du Skepta, du Sex Pistols et discuter en direct avec une Pussy Riot, Charli diffuse son maxi sur Soundcloud (caution branchĂ©e, car totalement ignorĂ©e par le monde du mainstream), le tout accompagnĂ© de photos de Barbie perverse dans le plus pur style PC Music. Le mouvement Sophie / PC Music n’a pas encore produit de succĂšs mainstream, malgrĂ© la prĂ©sence du premier sur un single de Madonna, on y voit ainsi vraiment une dĂ©marche de fan girl voulant collaborer avec ces chouchous de l’underground Ă©lectronique britannique. 

Cette association surprise se solde par quatre titres Ă©patants, qui plongent la pop de Charlotte dans l’avant-garde la plus excitante. On y retrouve toutes les facettes de Sophie, inspirations trap surpuissantes, instinct pop Ă©vident, synthĂ©tiseurs qui empruntent Ă  l’eurodance voire Ă  la trance, voix de chipmunk, touches techno, etc. Sur « Vroom Vroom », le single, Charli passe habilement de chanteuse R&B minaudante Ă  apprentie-rappeuse tout en gouaille. Sur « Paradise », qui ne plaira qu’aux fans les plus extrĂ©mistes de PC Music, elle invite A.G. Cook et Hannah Diamond, piliers de PC Music, pour un hymne de fĂȘte foraine jouissif que les dĂ©tracteurs pourraient qualifier de makina. Suivent le trĂšs M.I.A.esque « Trophy », oĂč Charli affiche ses ambitions (« I wanna win, I want that trophy ») et le plus sombre « Secret (Shh) » qui n’aurait pas dĂ©tonnĂ© dans la discographie de Panteros666 ou du Club Cheval. Quatre titres en tout point passionnants, qui placent l’Anglaise en tĂȘte d’une gĂ©nĂ©ration pop dĂ©cidĂ©e Ă  tenter des choses et Ă  retrouver un peu de la superbe de la gĂ©nĂ©ration mi-90 Ă  mi-2000, menĂ©e dans l’ombre par Timbaland et les Neptunes. On a vu BeyoncĂ© demander un morceau Ă  Caroline Polachek de Chairlift (le formidable « No Angel »), Miley Cyrus s’acoquiner avec Wayne Coyne des Flaming Lips (l’album controversĂ© Miley Cyrus & Her Dead Petz) et Ariana Grande confier un de ses morceaux Ă  Cashmere Cat, avant d’aller chanter elle-mĂȘme sur un single du chat norvĂ©gien. Des nouvelles encourageantes, qui ne convaincront pas les puristes. Tant mieux, puisqu’on est bien contents de vivre Ă  une Ă©poque oĂč l’on peut avouer sans crainte avoir aimĂ© le dernier single de Rihanna. Vient Charli, on les emmerde !