Envie de jouer dans les plus grands festivals d’Europe ? L’ETEP est là pour vous aider
Chaque année, en janvier, dans la petite ville de Groningen aux Pays-Bas, se tient le festival de découvertes Eurosonic – plusieurs jours où toute la ville résonne aux sons des 250 groupes émergents programmés pour des showcases d’une demi-heure largement suivis par les professionnels. Mais sous la partie émergée de l’iceberg Eurosonic, il y a l’ETEP. Un programme européen aidant les artistes en question à tourner en dehors de leur pays d’origine. Méconnu et pourtant essentiel.
On vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Celui de l’hégémonie des musiques anglo-saxonnes sur le monde. Alors oui, certes, c’est toujours un peu le cas pour tout ce qui concerne le doux monde rose des pop-stars – même si Rosalia, Robyn ou Christine & The Queens nous font mentir ces dernières années,. En tout cas, aujourd’hui, il n’est plus rare de voir apparaître sur l’affiche d’un festival un passionnant groupe turco-néerlandais (on pense à Altin Gün), des rappeuses islandaises (coucou Reykjavíkurdætur !) ou cinq Flamands comme Shht qui ont retourné les Trans Musicales de Rennes il y a quelques jours. Mais c’était beaucoup plus difficile il y a vingt ans : le marché européen de la musique était saturé d’artistes anglais ou américains – côté jeunes groupes, il n’y avait qu’eux qui tournaient en dehors de leurs pays d’origine. Pas question de découvrir un tout nouveau groupe ukrainien sans partir à Kiev. Seuls quelques festivals, comme les Trans Musicales, le MaMA ou Eurosonic pour ne citer qu’eux, faisaient l’effort d’inviter des artistes européens à franchir les frontières pourtant grandes ouvertes de leurs pays de l’UE. « On appelait ça ‘la domination anglo-américaine’. Les albums américains étaient exportés en Angleterre en priorité, et l’Angleterre se chargeait de distribuer cette musique – et la sienne – en Europe continentale. C’était un système à sens unique, ils avaient l’argent et étaient organisés pour l’export », se souvient Ruud Berends.
Au début des années 2000, il le voit en première ligne : Ruud était alors attaché de presse pour plusieurs artistes américains sur le sol européen. Mais en 2002, il commence à travailler pour Eurosonic justement, ce festival néerlandais à but non lucratif (oui, ça existe !) programmant 250 artistes émergents venus de toute l’Europe, pour des concerts d’une demi-heure un peu partout dans la petite ville de Groningen – un rendez-vous largement suivi par les professionnels venant faire leur marché de nouveautés après les fêtes. Un an plus tard, en 2003, les équipes d’Eurosonic montent l’ETEP, l’European Talent Exchange Programme, pour justement contrer cette « domination anglo-américaine ». L’idée est simple : fédérer un ensemble de festivals et salles européennes qui s’engagent à programmer des groupes venant d’un peu partout en échange de recommandations d’Eurosonic – en gros, les Néerlandais défrichent et aident à la promotion des groupes sélectionnés, puis les salles et festivals européens ouvrent leurs line-ups à ces découvertes après avoir pu les voir en live au festival de Groningen. « Mais ce qui a peut-être de plus important à l’ETEP, c’est cette communauté qui gravite autour : il n’y a pas que les salles et les festivals, il y a également des médias, dont un groupe de radios partenaires, qui peuvent aider les groupes à se faire connaître côté public », précise Ruud Berends, aujourd’hui à la tête du volet « conférences » d’Eurosonic. Ce groupement de radio s’appelle l’European Broadcasting Union (EBU), en VF, l’Union Européenne de Radio-Télévision (UER), existe depuis les années 50 et travaille en étroits liens avec l’ETEP – en France, TF1, France Télévisions, Canal+, Radio France ou encore Europe 1 font partie de l’UER. Bref, on ne parle plus de plate-forme pour jeunes groupes à ce niveau-là, mais de porte-avion.
Alors comment ça marche ? On s’attend à une foule de formulaires, dossiers à présenter et autres powerpoint à préparer – après tout, l’ETEP est une initiative européenne financée en partie par l’EU (le reste des fonds venant des festivals qui payent pour faire partie du programme), et ce côté « institutionnel » peut faire peur. Mais non, « c’est tellement simple que la plupart des gens ne le savent pas », plaisante Ruud. En effet : tous les groupes programmés à Eurosonic font d’office partie de l’ETEP et voient leur formation proposée aux différents festivals partenaires. Donc, jeune groupe, il suffit que votre label/manageur/tourneur/cousin (rayez la mention inutile) contacte les programmateurs d’Eurosonic, comme pour n’importe quel festival où vous voudriez être bookés, et croiser les doigts pour que votre projet leur tape dans l’œil. Et par ce maillage dense de professionnels, entre journalistes (Tsugi par exemple couvre chaque année Eurosonic, et c’est là que nous avons réalisé la toute première longue interview d’une certaine Angèle, vu les incroyables Psychotic Monks en live pour la première fois, ou rencontré la prometteur chanteuse-rappeuse belge Blu Samu), bureaux export qui se chargent à l’échelle d’un pays d’aider la diffusion internationale de nos artistes maison, et programmateurs, votre jeune groupe pourra se retrouver à jouer dans des festivals espagnols, hongrois ou finlandais. En cette année 2019, Fontaines D.C. a ainsi été booké sur 14 festivals partenaires comme Dour, Glastonbury, les Eurockéennes, l’Oya Festival à Oslo ou le Ypsigrock italien. Récemment, les Britanniques Dua Lipa, Idles ou Shame, la chanteuse française Alma ou encore la Norvégienne Aurora ont bénéficié du programme – et on les a vus un peu partout. Depuis 2003, quelques grands noms ont fait leurs débuts à Eurosonic et à l’ETEP, comme Ásgeir, James Blake, Franz Ferdinand, Benjamin Clementine, The Kooks, The xx, ou Noisia. Difficile de citer tout le monde : en 16 ans, l’ETEP a facilité plus de 4 000 dates pour plus de 1 500 groupes, dans 37 pays. En France, les festivals partenaires de l’ETEP sont le Printemps de Bourges, Les 3 Elephants, Europavox, les Eurockéennes de Belfort, les Vieilles Charrues, Rock en Seine, le MaMA et les Rencontres Trans Musicales de Rennes, et, comme tous les festivals membres de ce système d’échange, ils reçoivent une aide financière de l’ETEP pour les trois premiers artistes (à condition qu’ils viennent d’un autre pays) bookés grâce au programme.
Il y a donc bien plus de rouages derrière une affiche portée sur l’internationale que ce qu’on pourrait imaginer. Mais pour les groupes, Ruud Berends n’a que quelques conseils simples, en dehors du traditionnel et essentiel « faites de la bonne musique ». Le premier ? Choisissez bien votre moment : un groupe ne peut pas – hors rares exceptions – jouer deux fois à Eurosonic. Si vous n’êtes pas prêts, attendez, pas la peine d’aller se casser les dents devant tous les pros européens qui courent de shows en shows. Et si votre groupe commence déjà à avoir pas mal de notoriété, c’est trop tard, Eurosonic se concentrant vraiment sur les projets émergents. Il y a aussi une question d’entourage, rappelle Ruud Berends : « Si vous n’avez pas d’équipe autour de vous ou aucun argent dans votre compte en banque alors que vous voulez vous auto-financer, comment allez-vous pouvoir assurer dix dates dans des festivals européens ? Et il faut être bien sûr que le groupe souhaite tourner suite à son passage à Eurosonic, et pas enregistrer un album ou se séparer dans les mois qui suivent ». Vous savez ce qu’il vous reste à faire.