Entrevue avec Katy J Pearson, maîtresse d’un folk-rock intemporel
Influences années 70, femmes dans la musique, collaboration avec Dan Carey du label Speedy Wunderground, troisième album Lo-Fi… À l’occasion de la sortie de son magnifique second album Sound of the Morning entre mélodies folkloriques et sonorités rock, on a discuté et on s’est révolté avec la britannique Katy J Pearson.
Lors de la sortie de son premier album Return en novembre 2020, l’artiste britannique Katy J Pearson, répondait aux interviews, enfermée chez elle, entourée d’affiches colorées et d’une guitare, la voix légèrement prise par un rhume. À cette époque le Royaume-Uni était confiné et les concerts étaient en pause. Return nous offrait alors une parenthèse folk rock en dehors du temps, en dehors de cette période étrange, entre les années 70 et 2020. Une ode à la résilience et à l’espérance qui a résonné chez de nombreuses personnes durant cette pandémie. On se laissait envoûter par la voix de tête si particulière de Katy J Pearson, à chemin entre Kate Bush, Stevie Nicks et Dolly Parton. Cette fois-ci, c’est depuis un hôtel en Grèce, où elle profite de vacances avant le tourbillon des promos, que l’artiste nous répond -les frontières se sont enfin ré-ouvertes-, le débit rapide. Si rapide qu’il est difficile de suivre la cadence. Même Pearson semble se perdre. « Désolée, j’ai perdu mon fil de pensée, quelle était votre question ? », s’interrompt-elle.
Table rase ou prudence ?
Deux ans après – seulement ! – l’artiste sort Sound of Morning un album qui reprend à la fois l’univers qu’on lui connaît et s’aventure un peu plus du côté des mélodies folkloriques britanniques, des synthétiseurs et des sonorités rock. Elle le disait lors de Return, qui finissait par un enregistrement acoustique, « Waiting for the Day » : « Je ne veux pas figer mon univers. Ce titre m’ouvre mon champ des possibles pour le prochain album« . Et on peut dire qu’avec Sound of Morning, Katy J Pearson s’est engouffrée dans cette brèche. « Avec ce deuxième opus je savais que je voulais progresser. Mais au début, c’était vraiment difficile de savoir jusqu’où je voulais pousser mon son. Le fait d’avoir un premier album, m’a donné un point de départ. Je devais déterminer si je voulais déchirer complètement tout ce que j’avais fait la première fois, ou si je voulais avancer prudemment. Je pense que j’ai choisi un peu des deux, la prudence et déployer mes ailes », réfléchit la jeune femme.
Sur cet album, Katy J Pearson s’est entourée du producteur qui l’a accompagnée sur « Return », Ali Chant (Yard Act, Soccer Mommy, PJ Harvey…), mais aussi, cette fois-ci, de Dan Carey, l’homme derrière le label Speedy Wunderground (Black Midi, BCNR, Honey Glaze, Tiña, Lazarus Kane, Squid…). « Rencontrer Dan, m’a vraiment aidé à secouer tout ça », confie Katy J Pearson. Car après le succès de Return, nombreux·ses sont les critiques qui ont décrit la musique de Pearson comme teintée de country. Une classification que l’artiste n’a vraiment pas comprise et elle a, inconsciemment, cherché à se détacher de cette image de « country girl ». « Je pense que c’était quelque chose que j’avais en tête, même si je crois que je ne voulais pas trop y penser. Ce n’était pas : ‘oh, mon Dieu, j’ai besoin de me débarrasser de ce truc country’, mais je ne voulais pas qu’on me qualifie comme telle parce que je pense que ma musique est un mélange de différentes influences. »
Un enfant dans un magasin de bonbons
Katy J Pearson a rencontré Dan Carey lorsqu’elle chantait avec le groupe Lazarus Kane, qui s’est dissout depuis mais qui a sorti l’EP Psychobabble et quelques singles, dont « Narcissus », un titre disco sombre sur lequel le producteur a collaboré. L’homme a ensuite vu l’artiste se produire seule et lorsque Katy a commencé à plancher sur son second album, les deux sont venus à la conclusion qu’ils souhaitaient travailler ensemble. « On voulait juste écrire ensemble, il n’était pas question de production. Trois chansons ont fini par être sur le disque. Et puis, je me suis dit ‘tu m’as aidé à écrire ces chansons, c’est bien que tu les produises’. J’ai aimé son approche enfantine de la production, où on a l’impression de collaborer plutôt que d’être assis·e dans le studio à regarder quelqu’un d’autre faire, je me sentais très impliquée... C’était un peu comme un enfant dans un magasin de bonbons, on ramassait tout et on jetait tout au mur. Ensuite on enlevait les choses qui ne fonctionnaient pas. C’était bien de ne pas vraiment être trop prudent·es. On s’est juste amusé, c’était très innocent », raconte-t-elle.
Vashti Bunyan, BO d’une année
Le fait d’avoir deux approches et deux producteurs rend la première écoute de Sound of the Morning intrigante. Alors que les titres de son premier album appartiennent à un seul et même univers -à l’exception de « Waiting for the day » et encore- , sur ce second opus, on est surpris par les instrumentations graves et plus lourdes de « Confession » ou encore d’« Alligator », par la parenthèse quasi acoustique de « The Hour », et par les claviers rétro et les cuivres sautillants de « Howl ». Il faut ainsi plusieurs écoutes pour comprendre toutes les subtilités de Sound of the Morning et où Katy J Pearson souhaite nous amener. Mais c’est peut-être ça le plus intéressant dans la musique, ne pas tout comprendre de suite, laisser les paroles, les mélodies nous parvenir et nous envelopper petit à petit. Et puis qu’on se le dise, les références de l’artiste n’ont pas changé depuis Return. « Je pense que j’ai toujours eu la tête coincée dans le passé. J’écoute beaucoup de nouvelles musiques mais je suis encore beaucoup dans les années 60′, 70′. L’année dernière, j’écoutais presque constamment Vashti Bunyan. Elle a un très bel album appelé Just An other Diamond Day. À chaque fois que je faisais quelque chose, je l’écoutais. Et c’est devenu la bande originale de ma vie pendant que j’écrivais », confie Pearson, toujours en parlant aussi vite.
Une chose qui nous a marqué lors de cet entretien quelque peu informel et tardif (20h30) entre écrans interposés, où on était prêt à mettre un pied dans notre lit et où Katy J Pearson arborait un peignoir blanc confortable, c’est l’assurance avec laquelle s’exprime l’artiste. Elle sait où elle va et de quoi elle souhaite parler. Pourtant ce n’était pas chose gagnée en raison de sa première expérience musicale qu’elle a vécue adolescente. Son ancien label Method percevait la jeune femme comme un produit et non comme une artiste. Elle ne pouvait pas chanter ni porter ce qu’elle voulait. Elle devait produire un tube. « Avec la sortie de mon premier album, j’ai reçu une validation dont j’avais besoin. Je pense que mon identité et ce que je voulais vraiment s’est affirmé », explique Katy J Pearson.
« Confessions », conte sinistre de toutes les femmes
Il fait alors parfaitement sens de retrouver sur Sound of the Morning le conte sinistre « Confession ». « It was a long time ago when it happened (« C’était il y a longtemps quand ça s’est produit » NDLR), introduit Pearson. Car c’est de cette manière que toute victime d’agressions sexuelles ou de viols partagent son témoignage à des ami·es ou bien même à une personne qu’elle vient à peine de rencontrer en soirée, sous l’effet de l’alcool, tant le besoin de parler est vital. « Je fais de la musique et je suis dans l’industrie depuis très longtemps. Et les expériences que d’innombrables femmes, dont moi, ont vécues ont été terribles à certains moments. Pendant longtemps, j’ai été timide à l’idée d’être aussi ouverte sur ma vie personnelle. Et bien que ce soit difficile d’être vulnérable je pense que c’est tellement important en tant qu’artiste féminine, travaillant dans la musique, d’être honnête à propos de ces choses, parce que sinon ça ne changera jamais. Cette chanson m’a donné la confiance d’en parler. Et je ne voulais pas d’une chanson douce, je voulais qu’on se sente mal à l’aise par ce que c’est un sujet dérangeant », développe-t-elle. Et c’est le cas, à l’écoute de « Confession » se sont des frissons et une vive émotion qui parcourent tout notre corps.
« Le plus grand conseil que je puisse donner aux femmes, surtout aux jeunes femmes qui débutent, c’est de s’entraîner à dire non, tout le temps. Surtout à un homme qui essaie de changer votre chanson. Je ne disais pas assez non quand j’étais plus jeune, et je laissais surtout les hommes profiter de mon son et de me faire sentir mal à l’aise et en danger », soutient Pearson. Nous ne pouvons qu’acquiescer. L’entrevue se conclue alors par le partage d’artistes féminines que Katy a découvertes et/ou rencontrées sur la route – Lime Garden, Drug Store Romeos, Billy Nomates, etc -, (à découvrir ci-dessous) et l’évocation de l’enregistrement -déjà !- d’un troisième album aux sonorités lo-fi…