🤝 Entretien : on a parlé clips et Gainsbourg avec Michel Gondry

par | Avr 13, 2021 | Magazine

Massive Attack, Chemical Brothers, Daft Punk… et aujourd’hui Serge Gainsbourg : à l’occasion de son clip sorti aujourd’hui de « La Chanson de Prévert », le réalisateur amoureux de musique Michel Gondry nous parle de ses clips, et des autres.

Réalisateur et clippeur de génie, Michel Gondry a réalisé des clips cultes pour Daft Punk, Björk, Massive Attack, les Rolling Stones, les Chemical Brothers ou encore Radiohead. Il redonne aujourd’hui vie à « La Chanson de Prévert » de Serge Gainsbourg, 60 ans après sa sortie, à travers un émouvant petit film animé. L’occasion de discuter avec ce maître de l’image poétique et de l’art du clip.

« En tant qu’artiste, c’est un génie. […] Il a une profondeur qu’on entend rarement. »

Comment avez-vous réagi quand on vous a proposé ce clip pour Gainsbourg, alors que vous ne pouviez pas discuter avec lui ?

Ça m’a embêté qu’il ne soit pas vivant. Mais je me suis dit que pour Gainsbourg, c’était quand même chouette d’accepter, même s’il n’est plus là. L’animation m’a libéré par rapport au fait de travailler avec quelqu’un qui est parti. Ça créait un décalage qui me permettait de coller le plus possible à la chanson. Je me suis dit : « Heureusement que je suis le premier [une série de réalisateurs français vont clipper Gainsbourg pour Universal, ndr] et que c’est en animation », sinon je ne sais pas comment j’aurais fait avec un tournage et des acteurs. En plus, en ce moment, je suis en plein dans l’animation, j’ai tous les outils sous la main. Je pouvais donc être dans les temps, ce qui pour un clip animé n’est jamais gagné.

Gainsbourg

©Stan Wiezniak

Qu’est-ce que vous aimiez particulièrement chez Serge Gainsbourg ?

La musique, les paroles, le personnage (que j’aime aussi parfois moins). Il possède plein de contradictions, car il y a une élégance dans ce qu’il fait et en même temps, il a vécu beaucoup de douleur au départ. En tant qu’artiste, c’est un génie. Je le vois par rapport à la moyenne des paroles qu’on peut illustrer dans mon métier avec des images : il a une profondeur qu’on entend rarement.

 

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Charlotte Gainsbourg jouait dans La Science des rêves que vous avez réalisé. La boucle est bouclée ?

Le fait de tourner avec Charlotte, ce n’était pas parce que c’est la fille de, mais parce que c’est une super actrice. Elle existe à part entière pour moi. On voit cependant bien le lien avec son père, tout comme avec sa mère.

« La musique, c’est mon univers, j’aime la relation avec les artistes. »

Quand vous travaillez pour des clips, normalement, vous réfléchissez au concept avec les artistes ?

C’est complètement différent pour chaque artiste. Avec Björk, on discute beaucoup, elle participe énormément. Beck et les White Stripes me laissent carte blanche. Je leur propose un projet. Et il y a les artistes qui changent d’idée à la dernière minute. J’essaie alors de m’adapter, mais c’est souvent une catastrophe.

J’imagine que quand on est Michel Gondry, on ne peut pas vous refuser un clip…

Les gens ont un peu cette image. Sauf que quand on est face à Beyoncé ou Kanye West, c’est pas évident. Je ne pense pas qu’on verra un jour la vidéo que j’ai réalisée de Beyoncé. Elle a changé le concept au dernier moment et après elle n’était pas contente du message. Mais le message n’avait rien à voir avec ce que je voulais dire. Ils avaient trouvé quelque chose d’intéressant, je trouve, par rapport à ce qu’elle tenait à raconter mais elle a changé de cap au final. C’est la même chose pour « Heard ‘Em Say » de Kanye West. Il souhaitait que la fin du clip soit très tendre. Mais comme il se retrouvait à la fin avec des enfants dans un lit, quelqu’un dans son équipe lui a peut-être dit qu’il avait peur que ça puisse renvoyer une image de pédophilie.

« Ce qui est bien avec l’animation, c’est que je peux mettre en œuvre ce que j’ai en tête directement. »

Michel Gondry

©Autumn Wilde

J’ai l’impression que vous travaillez encore de manière très artisanale, à l’ancienne avec des collages, à la main ? Et en même vous avez réalisé un film à l’iPhone. Comment vous situez-vous par rapport aux progrès techniques en matière de clips ?

J’ai un frère, Olivier, qui programme depuis qu’il a 12 ans et qui est un pro de l’ordinateur. On fait pas mal de choses ensemble, notamment et récemment le clip d’Idles, « Model Village ». J’ai créé des illustrations très classiques pour la vidéo et il a rajouté des effets 3D, a fait évoluer les éléments dans le volume. J’ai pas mal d’idées pour des réalisations digitales. Mais ce qui est bien avec l’animation, c’est que je peux mettre en œuvre ce que j’ai en tête directement.

Vous avez réalisé de nombreux long-métrages. Votre intérêt à imaginer des clips reste-t-il toujours le même ?

Oui, grâce à la durée courte. On peut inventer, trouver plein de concepts qui collent au temps présent, sans avoir peur de lasser. Et la musique, c’est mon univers [Michel Gondry était batteur dans le groupe Oui Oui, ndr] et j’aime la relation avec les artistes.

Quel clip récent vous a marqué ? Et lequel vous a déplu ?

En fait, je ne regarde pas beaucoup de clips. Je ne sais pas où aller les chercher sur YouTube. Pour ce qui m’a déplu, je ne vois pas car je préfère m’énerver pour autre chose.

« Spike Jonze et moi, notre point fort, ce n’était pas l’esthétique, le look qui comptaient le plus, mais plutôt les idées, les comportements des artistes dans les clips. »

Aujourd’hui, contrairement à vos débuts, le clip est devenu aussi important que la musique pour percer. Quels changements avez-vous observé ?

Je ne perçois pas de changement vraiment récent. Mais les budgets ont diminué et il a fallu trouver des idées qu’on puisse exécuter malgré cela. Sinon il y a beaucoup d’artistes qui réalisent leurs clips. Spike Jonze et moi, notre point fort, ce n’était pas l’esthétique, le look qui comptaient le plus, mais plutôt les idées, les comportements des artistes dans les clips. Ce qui fait que quand les clips sont devenus plus petits, en passant sur YouTube, on était bien préparés. Ceux qui se basaient simplement sur l’esthétique ont peut-être rencontré plus de mal à s’adapter.

J’ai une affection particulière pour le clip de « Protection » de Massive Attack que vous avez réalisé. Avec le Covid et le confinement, voir ces personnes derrière leur fenêtre, enfermées dans leurs appartements, c’est d’actualité. Pouvez-vous me raconter l’histoire derrière cette vidéo ?

Quand je l’ai produit, j’étais en train de quitter la maman de mon fils et je ne m’étais pas rendu compte sur le coup que le clip était si triste. Les gens sont très cloisonnés dedans. J’avais une autre idée pour la même chanson, que j’ai regretté ensuite de ne pas avoir choisie. C’était de filmer un arbre en plan séquence sur lequel soufflait de plus en plus de vent et qui, du coup, se couchait de plus en plus. Mais ça n’aurait peut-être pas été plus joyeux.

Les Daft Punk se sont séparés récemment. Ça vous a fait un pincement au cœur, vous qui avez réalisé l’impressionnant « Around The World » ?

On m’a beaucoup interrogé sur le sujet, donc ça a fait remonter des souvenirs mais ce n’est pas comme si quelqu’un mourrait. Ils sont toujours là, ils vont refaire des choses. Il ne faut pas oublier qu’ils ont déjà produit chacun des projets en solo.

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