En route vers l’Amérique : on écoute « i,i », quatrième album de Bon Iver
Bon Iver, plus que jamais, c’est l’Amérique. Consciemment ou non, le projet de Justin Vernon porte l’esprit d’un Oncle Sam aux ressources et la créativité bigger than life, avec les défauts qu’on peut lui prêter. i,i, dernier album du groupe, est la conclusion d’une saga étasunienne.
Présenté comme l’achèvement d’un cycle, ce quatrième disque incarne une symbolique forte qu’il se doit d’honorer. Et il y parvient. Après l’hiver de For Emma, Forever Ago (2008), les inspirations printanières dans l’éponyme Bon Iver (2011) et l’effervescence estivale qui alimente 22, A Million (2016), nous voilà plongés dans un automne précoce – de quoi nous questionner d’ailleurs sur la sortie prématurée de ce nouvel album, initialement prévu pour 30 août. Fidèle au climat d’un mois d’octobre i,i est ainsi empli d’une douce mélancolie, autant musicale que textuelle. Une fois de plus, les ballades pop expérimentales se dilatent sur treize titres, où les éléments organiques (on remarque notamment une présence marquée de cuivres sur plusieurs chansons) sont diluées au sein de textures électroniques bizarroïdes.
Cette dualité est d’ailleurs narrée et exécutée à l’Américaine ; tout est un peu contradictoire. Comme le raconte Vernon, l’album fut écrit et composé au fin fond du Wisconsin, paisible Etat rural. Un storytelling dressant le décor pittoresque d’un artiste solitaire en quête d’inspiration. Toutefois, jamais un disque de Bon Iver n’a semblé aussi choral : chaque chanson est passée entre les mains d’une demi-douzaine de paroliers, les arrangements sont multiples et les invités légion. James Blake, les frères Dessner de The National, le chanteur r’n’b Velvet Negroni, Rob Moose et ses grandioses orchestrations de cordes… À l’Américaine.
Cette étalage de talents n’a rien de fondamentalement gênant, il s’inscrit même dans une mentalité collaborative qui provoque une émulation admirable. Par exemple, les multiples rapprochements entre Justin Vernon et Kanye West (célèbre pour sa folie des grandeurs, artistique comme personnelle) ont à maintes reprises défoncé les barrière entre les styles, rendant le hip-hop US toujours excitant et novateur. Mais gare à la surproduction, à l’auto-complaisance esthétique.
Ne nous méprenons pas : i,i est un bon, même très bon disque. Il contient de magnifiques chansons, avec des paroles personnelles aux images évocatrices, comme « Hey, Ma » ou « Naeem ». Les productions sont toujours chiadées et créatives : les expérimentations vocales qui ouvrent « iMi », les percussions très fines sur « Salem » ou encore « Naeem »… En Europe, un album pop avec une telle liberté artistique semble tout bonnement impensable à cette ampleur.
Toutefois i,i aurait gagné à être un peu plus lisible : il n’y pas de mal à chanter des mélodies qui restent en tête et qu’on peut chanter sous la douche. Pour conclure, on peut dire que ce quatrième album ressemble à un bon resto de burgers américain : des comme ça, on n’en trouvera nulle part ailleurs. Quitte à être parfois un peu indigestes…