En écoute : le nouvel album de Chris(tine and the Queens)
Appelez-la Chris. Quatre ans après l’incontestable succès de Chaleur humaine, écoulé à près 1.4 millions de copies physiques à travers le monde -800 000 en France-, Héloïse Létissier a préparé un retour en fanfare pour Chris, son deuxième album. Elle a teasé cette sortie avec de nombreux singles et clips depuis le printemps, notamment « Damn, dis-moi« , « 5 dollars » et « La marcheuse« . Elle a taillé ses cheveux et son alias -plus de Christine & the Queens, mais simplement « Chris ». Un bon moyen d’amorcer le changement, tout en abordant déjà le thème du genre cher au coeur d’Héloïse en prenant un pseudo unisexe. Et surtout une manière de changer de peau à chaque disque : joue-la comme Bowie. Problème, Chris perd la force de son album dans des tics de production, une promo compliquée, et dans des doublons anglais-français.
Car Chris est en réalité un double-album. Chacune (ou presque) des douze chansons est doublée : une version en anglais, une en français. Par exemple, le titre « Girlfriend » (anglais) devient « Damn, dis-moi » (français), le refrain « Girlfriend, don’t feel like a girlfriend » se transforme en « Que faire de l’énergie que j’perds ?« . Chris impose son franglais et le travail de version-thème a dû être important, puisque la plupart des titres fonctionnent parfaitement dans les deux langues. Mais quel intérêt pour un auditeur français d’écouter deux fois le même album? Surtout, elle s’égare dans ses productions souvent surmixées, ce qui donne des chansons sans rondeur ni relief. Elle sort de son bagage des sonorités 80’s et des influences funk, dans les guitares qui claquent, dans des riffs posés sur les contretemps, dans quelques claviers électroniques au son grinçant ou même dans sa diction syncopée, certainement inspirée de Sir Michael Jackson… Mais l’ensemble est trop lisse. Si elle se targue d’avoir bombé le torse et sorti les muscles, la Nantaise délivre un album globalement assez décevant, qui a totalement lâché sa Chaleur humaine. Rassurons quelque peu les fans de la première heure, Chris ne s’écarte pas totalement de la pop. En témoigne la simplicité efficace de « Doesn’t matter« , « Bruce est dans le brouillard » ou encore « 5 dollars« , dont les scènes du clip ressemblent étrangement au court-métrage Break Free de l’actrice Ruby Rose, qui évoquait la question des genres. Elle se fait alors accuser de plagiat, tout comme pour le titre « Damn, dis-moi » : un double-écueil qui perturbe grandement la promotion de l’album.
Dommage, car ce disque est plus direct et abrasif que le premier, surtout dans les textes : Chris chante le genre, le désir, la virilité et la violence. Elle parle de blessures d’enfance dans « Machin-chose », d’affronter l’homophobie droit dans les yeux à travers « La marcheuse », ou d’assumer son désir dans « Damn, dis-moi ». Elle a davantage travaillé son image de femme forte, tout en restant « dans le genre troublé » et l’affirmation du corps. En voulant s’écarter d’une image jugée trop lisse, Chris a opéré un virage trop serré qui l’a conduite à une sortie de route. Qu’importe, elle défendra corps et âme ce projet et les valeurs qu’il véhicule. « Ce nouvel opus se veut comme une suite, explique-t-elle, une démonstration de ce que peut devenir la femme d’après dans une société plus égalitaire où le patriarcat est enfin dégonflé« … On espère qu’au prochain album, Chris sera débarrassée de ses réflexes de composition et de ses artifices, pour mieux porter en musique la force de son propos.