En direct de la performance de six heures de Nils Frahm x Ólafur Arnalds @ Louvre
Courant mars, nous apprenions la venue exceptionnelle de Nils Frahm et d’Ólafur Arnalds – qui n’est autre que la moitié du groupe islandais Kiasmos – pour un concert qui s’annonçait tout aussi exceptionnel dans l’Auditorium du Louvre. Inutile de vous dire que nous nous sommes précipités sur les places qui se sont vendues comme des petits pains. Rendez-vous était donc donné le 28 mai à minuit, devant la pyramide.
Jour J. Arrivés devant le célèbre musée parisien, on désespère un peu à la vue de la file d’attente digne d’un dimanche après-midi au Berghain puisqu’elle court quasiment jusqu’à la rue de Rivoli. Heureusement, la pensée de voir l’un des plus grands producteur et pianiste du moment en action l’emporte et nous réconforte dans l’idée de prendre notre mal en patience. Vincent Cassel traine dans la cour du Louvre et on se dit que l’homme a peut-être bon goût et a, lui aussi, décidé de se frotter aux expérimentations de Nils Frahm et de défier ses glandes lacrymales. Alors que l’on entre dans la pyramide de verre, on découvre que c’est là que se déroulera le fabuleux concert qui nous attend : des centaines de transats bleus et blancs donnent au musée un air de Deauville et s’apprêtent à accueillir tout autant de paires de fesses. Les sièges au premier rang sont pris d’assaut et l’on se retrouvent rapidement relégués au fond de la salle. Qu’importe, nous sommes bien installés parmi une foule éclectique composée de jeunes et de moins jeunes, d’Allemands, d’Italiens, d’Anglais – preuve que le pouvoir d’attraction du Berlinois s’étend au delà des frontières – et de Français.
Les deux artistes grimpent discrètement sur scène et après avoir été accueillis par un tonnerre d’applaudissements, entament la première partie de leur concert, sans piper mot. Très vite, l’assemblée se tait et se laisse bercer par les mélodies épurées des deux compères. Après quarante-cinq minutes magiques qui donnent le ton de la soirée, ils s’arrêtent, prennent le micro, nous saluent poliment et nous remercient d’être présents, ironisant sur la durée de leur prestation. Puis, chacun repasse derrière sa machine – un piano pour Ólafur Arnalds, une analogique pour Nils Frahm – et continuent leur épopée dans leur monde onirique. Jamais une prestation n’aura montré une telle osmose entre les deux participants : l’un en t-shirt noir, l’autre en t-shirt blanc, ils se complètent, se jaugent; Arnalds n’étant en rien uniquement le faire-valoir de Frahm. Beauté, simplicité, douceur et délicatesse semblent être les maîtres mots de cette nuit magique à quatre mains. Dans le barda de machines, d’orgues, de claviers et de loopers, Nils Frahm se meut avec agilité, caresse un clavier, créé des boucles, file sur ses machines analogiques, transforme le son.
L’expérience est totale, l’auditoire se met à son aise et fait comme chez soi : certains s’asseyent en tailleur au plus près de la scène et écoutent dans un silence de cathédrale, d’autres sont couchés sur des tapis ou avachis dans des transats, d’autres encore restent plantés là, debout, les yeux dans le vague, comme terrassés par la puissance de la prestation. Certains dorment, tout simplement, bercés par les mélodies qui remplissent le lieu. L’action se joue également au plafond, en reflet sur les losanges en verre; de notre place, on distingue la réflexion de ce qui se déroule au même moment sur scène, comme un monde parallèle, un peu lointain, un peu troublé. Nous sommes hors du temps. Alors que certaines gens décident de rentrer chez eux, on réussit à trouver une paire de transats et, une fois au plus près de l’action, les choses prennent une autre tournure. Nous ne sommes plus qu’à quelques encablures de la beauté à l’état pur, sans personne désormais pour faire tampon entre nous et les deux producteurs. On se sent privilégiés d’être là, dans ce lieu unique, avec deux musiciens d’exception et l’on se répète que jamais une telle chose ne se reproduira à nouveau. Et alors que l’on craignait de s’endormir, on se rend finalement compte qu’il nous est impossible de perdre une seule miette de ce qui est en train de se dérouler sous nos yeux.
Deux lectures viendront agrémenter le concert des performers, celle de la femme de Nils Frahm et celle de JR – ledit concert se déroulant dans le cadre de l’installation temporaire de l’artiste français au Louvre – venu nous parler de son travail dans les favelas de Rio. Les morceaux deviennent alors plus puissants, de gros beats les structurent et le lightshow se pare de stroboscopes qui nous hypnostisent. Un peu comme par magie, la pluie se met à frapper les vitres de la structure de verre au moment où Nils Frahm entame « Says », à l’instar des gouttes d’eau et d’encre dans le clip lié au morceau. Sur le fil, toujours, la montée en puissance de ce titre déchirant nous fait verser quelques larmes et à son climax, on prierait presque pour qu’un éclair illumine le ciel de Paris. Pour « Said and Done » ainsi que pour les derniers morceaux, les derniers rescapés se rapprochent au plus près de l’action, formant autour des deux artistes un demi-cercle parfait.
La sixième session de quarante-cinq minutes passée, la performance se termine, les lumières se rallument. Nils Frahm et Ólafur Arnalds qu’on imaginait terrassés par la fatigue et les doigts engourdis semblent ne pas l’être du tout. Des gens émergent doucement du sommeil, d’autres se frottent les yeux – rougis chez certains. Personne n’ose hausser la voix, les spectateurs quittent la salle en silence. Quant à nous, histoire de prolonger un peu plus l’expérience – et surtout repousser encore le retour à la dure réalité – on file au petit déjeuner préparé par le chef Jean Imbert qui se déroule dans la Galerie Daru du Musée du Louvre – rien que ça. Magie de découvrir ce lieu habituellement rempli de touristes venus du monde entier, vide pour l’occasion pour le bonheur de nos estomacs. Parmi les statues de l’Antiquité grecque et romaine, pléthore de petits plats nous attendent – du garum, des huitres, des fruits frais – et sous les « yeux » de la Victoire de Samothrace, on boit des bols d’ambroisie en repensant à cette nuit parfaite en tous points qui restera gravée dans nos mémoires.
Le meilleur moment : pouvoir sortir fumer sa clope et continuer à entendre le son des pianos qui traverse les vitres de verre de la pyramide.
Le pire moment : les gens qui butent vingt-cinq fois dans les bouteilles de bières, posées sur le sol.