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18 décembre 2020

Électronique, pop fracassée et racines gitanes : rencontre avec Zinda Reinhardt

par Jean-Vic Chapus

Elle sort aujourd’hui son nouveau single, « Troumli », et met en ligne à 19h sur Facebook (en collaboration avec les Trans Musicales et Tsugi) un livestream très particulier pour patienter avant l’album prévu à l’agenda du monde d’après 2021. Mais avant cette double sommation mélangeant hip-hop, électronique et pop fracassée, Zinda Reinhardt a été en quête de ses racines gitanes. Portrait hirsute.

© Clara De Souza

« C’est rare de vouloir devenir gitan. »

Toutes les histoires sont des histoires d’amour et de racines. Chevelure blonde épaisse et bouclée et regard en permanence allumé, Zinda Reinhardt est attablée dans un café du quartier de Pigalle et s’anime en rêvant à son passage prévu à l’affiche du prescripteur festival des Transmusicales de Rennes. Nous sommes en novembre. D’ici quelques jours une annonce de deuxième confinement confirmera l’annulation du dernier grand festival 2020. Mais à l’époque, Zinda Reinhardt s’y voyait encore. Et en roue-libre à l’évidence : « Peut-être qu’après quelques montées de percussions les gens vont se lever, peut-être qu’ils vont vouloir danser, peut-être que ça va leur permettre de faire des trucs plus instinctifs, moins sous contrôle. Et s’ils se mettent à chanter, même en yaourt, franchement ça serait trippant. Chanter dans une langue que tu ne connais pas c’est déjà le début de quelque chose. C’est déjà l’inconnu… »

Dans une autre décennie, Zinda Reinhardt aurait pu offrir les mêmes promesses de liberté que la Béatrice Dalle de l’avant 37,2 Le Matin. Aujourd’hui, la liberté a pris le goût d’un assemblage de techno acide, jazz, percussions, trap et chanson intoxiquée. Une liturgie de chair et de sang en langue manouche, surtout. Il y a quelques années, la jeune femme passe la porte de la FNASAT (Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tziganes et les gens du voyage, Ndlr) puis fréquente la bibliothèque parisienne Matéo Maximoff où se trouvent les écrits produits par les gens du voyage et peuples tziganes… Ira même jusqu’à perfectionner cette immersion dans une culture mal connue sous l’égide du Père Joseph Valet, dit « Le Rachail », aumonier des gens du voyage depuis 1965. En transe, Zinda rejoue : « Quand j’arrive, j’annonce « Je m’appelle Reinhardt, je suis une bâtarde. Moitié noire, moitié manouche. J’ai envie d’apprendre la langue. » C’est rare les gens qui disent qu’ils veulent devenir gitans. Mais c’est un cheminement de vie. »

Zinda Reinhardt

© Clara De Souza

Belfort. Un territoire gris, où le Maire historique Jean-Pierre Chevènement fait repeindre en couleurs vives les façades des quartiers défavorisés pour expérimenter un vivre-ensemble presque psychédélique. Zinda, elle, s’appelle encore Nicole. Fille biologique d’une manouche et d’un créole, c’est une fille adoptée à l’âge de 6 mois par une famille pleinement « de gauche et humaniste » : « Par exemple, mon père a fait la guerre d’Algérie et comme il a refusé de tuer, il a eu des ennuis avec la hiérarchie militaire. » Le père a fait aussi partie des équipes ayant dessiné les premiers TGV. La mère, elle, travaille comme aide-familiale et interagit souvent avec les clans gitans de Belfort et sa périphérie.

Il faut attendre l’adolescence pour que la jeune fille esquisse un rapprochement avec sa mère biologique. Zinda / Nicole va prendre conscience de ses racines, mais aussi du patronyme célèbre la liant au plus grand des guitaristes : « Maintenant, ma mère s’est remariée et vit toujours à Belfort. Elle est magnifique. Toute petite, une femme-enfant. Plus je vieillis, plus j’ai l’impression de lui ressembler. »

Premiers émois musicaux The Pogues ou Boy George écoutés dans la chambre du frère. Premières expériences de chanteuse dans des groupes de rap, de punk ou de jazz. Côté pile : lacérer ses cordes vocales pour souligner que la vie est forcément toujours hardcore et faire écran de sa « grande gueule » dès qu’il est question de défendre les exclus du système scolaire. Côté face : réaliser, avec la candeur de l’âge des possibles, que les regards masculins s’allument et tomber amoureuse jusqu’à frôler l’overdose. « Je suis vraiment une guerrière de l’amour. Je tombe amoureuse, je me passionne pour ça, et, en conséquence, je lâche tout jusqu’à tout oublier ». Pas pour rien donc que la famille ait voulu canaliser « ce trop-plein d’énergie » en l’inscrivant en percussion au Conservatoire de Belfort.

 

« Jennifer ne me calculait pas »

Au terme des années lycée, la voilà à Strasbourg pour suivre des cours de musicologie à la fac. Mais la greffe ne prend pas. Direction Paris pour rejoindre sa sœur ingénieur du son sur les plateaux de théâtre. A Paname, les rencontres se jouent de préférence la nuit et derrière les portes de certains clubs et salles de concerts où se produit parfois l’idole déchirée des 2000s Pete Doherty. « Là, je croise la hype parisienne. Des vendus ! Ils présupposent que coucher ou prendre de la coke avec eux c’est normal et ça pourrait m’aider à faire carrière. Sans en revenir à #MeToo, quand tu es une jolie minette, que tu sais chanter, beaucoup de portes peuvent s’ouvrir. Sauf que chez les gitans tu ne sacrifies pas ton honneur. » Rien n’empêche pourtant de s’offrir quelques pas de côtés. En 2015, Nicole joue dans le duo Madame Leny et fait clignoter les yeux des producteurs avec le clip monochrome du morceau « Sex for the money ». Dessus la jeune femme en sous-vêtements susurre en parler-chanter : « Menacez-moi comme à Palerme. Tendez votre arme contre ma peau, pour que je puisse, de mes seins fermes, en essuyer tous les sanglots. ».

« Les mecs de The Voice me contactent après ce clip, replace Zinda en grinçant, mais personne ne me dit que c’est pour cette émission, puisqu’on me parle plutôt de comédie musicale. Au bout de trois rendez-vous, le directeur de casting (Bruno Berbères, Ndlr) me propose de tenter ma chance et j’accepte. Pour la première, je voulais jouer Wild Things de Jimi Hendrix. Refus : « trop politique ». À la place La fille du père noël de Jacques Dutronc. « Quand les équipes de production découvrent mon histoire, mes origines et apprennent que j’élève seule ma fille, ils flairent en moi le bon personnage. Moi je ne veux pas d’intrusion dans ma vie privée, pas créer du pathos pour faire des dollars, c’est pas mon truc. Résultat : à The Voice, je ne suis pas allée loin. Pourtant Nikos (Aliagas) disait que j’étais sa chouchoute et Zazie m’aimait bien. Jennifer, elle, ne me calculait pas. Quand elle m’a vu chanter, elle m’a à peine regardé et a juste dit « Toi, tu es trop pour moi ». Œil subitement menaçant « Mais ça veut dire quoi être trop ? »

À vrai dire cela ressemble à cette reprise « stupéfiante » du « Lemon Incest » de Serge et Charlotte Gainsbourg, chantée en duo avec la fille de Zinda, Melody, collégienne de 14 ans convaincue que le monde serait moins sordide s’il ressemblait à un film signé Tim Burton. Ça ressemble aussi au morceau « Papa » et son clip pas loin de l’art contemporain. Quelque chose de déchiré et déchirant en forme d’hommage au père adoptif, mort ; d’une fièvre subite pendant les dernières fêtes de noël. Après le deuil, la renaissance, s’écrira en plein confinement où, le plus logiquement du monde, tout explose d’un point de vue créatif. « D’un point de vue créatif j’ai adoré cette période. S’il y a un monde d’après je veux que la douleur, la joie, y rejaillissent en confetti. Que ça devienne lumineux et extrême. » Que le monde d’après retrouve le goût oublié des vertiges de l’amour.


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