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© Laurence Mukendi
9 mai 2022

DJ Pierre, le son du Fuse

par Tsugi

DJ Pierre est une légende. Pendant vingt-cinq ans, il s’est placé derrière les platines du temple belge de la techno. Le son du Fuse, c’est lui. Pourtant, personne ne le connaît. Le temps est venu d’y remédier.

Il a des airs de Tintin ayant vécu ses aventures la nuit. Pierre Noisiez a les yeux fatigués, il parle doucement, fume énormément et, avant de se raconter chez lui, à Saint-Gilles, dans un petit jardin à l’abri du brouhaha de la rue, nous offre à boire : « Qu’est-ce que je te sers ? Un café ou un pastis ? » L’histoire peut commencer.

DJ Pierre

© Guillaume Kayakan

À l’époque où Pierre a commencé à mixer, la Belgique est en pleine folie new beat. Mais lui s’en contrefout. Ce qui l’intéresse, c’est le funk et le disco. Natif de Tournai (ville de Charles Martel située aux deux frontières flamandes et françaises), c’est à Courtrai, de l’autre côté de la frontière linguistique, qu’il tâte pour la première fois des platines. « Il y avait là un petit bar, le Zanzibar, qui avait comme client un certain Peter Decuypere qui allait plus tard ouvrir le Fuse et créer I Love Techno. » Pierre n’a pas encore plongé dans la techno que les étoiles se mettent en place. Mais avant le Fuse, il y a le 55, toujours à Courtrai. « Le DJ mixait toute la nuit chaque semaine. En général, vers 6 heures du matin, il me demandait de prendre le relais. Le jour de fermeture du 55, mon nom est sur un flyer pour la première fois. C’est mon premier warm-up officiel. Ils m’ont demandé comment je voulais m’appeler. J’ai dit DJ Pierre. » Problème, il existe déjà un DJ Pierre, à Chicago. « Qu’est-ce que j’allais faire ? Pierre, c’est mon nom. Lui s’appelle Nathaniel Pierre Jones… J’aurais dû m’appeler DJ Nathaniel ! (rires) Il y a eu quelques épisodes assez marrants avec ça. Ils l’avaient booké à Dour une année. J’étais au festival et des gens sont venus vers moi : “Eh, on est allé te voir mixer, mais il y avait quelqu’un d’autre à ta place !” C’est sans doute pour ça qu’il n’a jamais trop joué en Belgique… » (rires)

 

Fil rouge

Alors qu’il laisse traîner son rire taquin, Pierre enchaîne sur ce qui restera la grosse affaire de sa carrière : le Fuse. Le club ouvre ses portes en avril 1994 dans le quartier populaire des Marolles à Bruxelles. Peter Decuypere voit dans la techno la musique du futur et le Fuse en sera le temple belge tout dédié. Mais les choses ne se passent pas exactement comme prévu. « Peter voyait ce qui se passait en Angleterre. Il pensait que la Belgique allait plonger dedans tête baissée. Mais pour la plupart des gens, ce nouveau son était trop rébarbatif, trop agressif. Ils venaient donc se réfugier dans la salle du haut, plus cosy, où c’était moi qui mixais. À partir d’un moment, on m’a demandé de mixer dans la grande salle du bas, ce que j’ai fait en durcissant un peu le son. » Et c’est ainsi que DJ Pierre créa le son du Fuse. Un son techno, mais pas trop. Le beat bien carré, mais respirable, plus aéré qu’à Berlin. « Le truc, c’est qu’à l’époque, les DJs invités, c’était assez nouveau. Pour le public, il y avait un côté découverte et toujours le risque d’être déçu. Moi, j’étais le truc rassurant. Le fil rouge du club sur lequel les gens pouvaient se reposer. C’est le rôle du DJ résident. »

Durant vingt-cinq ans, l’histoire du Fuse et de Pierre s’est donc confondue. Le premier a évolué avec le temps et les modes, tout en conservant une ligne claire techno. Le deuxième est resté fidèle au club des Marolles et à son rôle de DJ, à quelques exceptions près. Ainsi, ce remix du « Acid Creak » de Spokesman : « Au-dessus de mon disquaire, il y avait un studio où l’idée des gars était de copier les trucs qui marchaient. Un jour, j’entends un truc pompé sur “Three O Three” de Public Energy. J’ai dit : “Je vais faire un remix.” Ça m’a pris quatre heures et ce titre est toujours joué par Nina Kraviz dans ses sets. Mais c’était un one-shot. Je préfère être DJ ».

Justement, c’est quoi être DJ ? « C’est un échange avec les gens et une transmission de savoir. Quand tu joues en boîte, tu vas absorber l’énergie de la foule et la redistribuer. Et quand tu te retrouves devant 8 000 personnes qui réagissent au quart de tour à ce que tu joues, c’est quelque chose de vraiment spécial. » Cette sensation, Pierre ne l’a jamais aussi intensément ressentie qu’à Moscou. En 2005, il monte un label avec Jessica Bossuyt, Lessizmore, qui lui ouvre notamment les portes du club Arma 17. « Ils avaient un concept incroyable : à la fin de la soirée, ils détruisaient l’installation. Ça veut dire que si tu n’as pas connu le moment, c’est trop tard. Et ça, ça te motive vraiment à ne pas en rater une. Il y avait un côté démesuré, une énergie bien particulière. Aujourd’hui, tous ces gens se sont fait expulser. Il y a eu un festival, la police a débarqué et à partir de là, les emmerdes ont commencé pour eux. Ils ont tous quitté la Russie. »

 

Fuse 25

Retour au Fuse, qui continue à prêcher la parole techno contre vents et marées même si, en 28 ans, les choses ont bien changé : « Dans les années 1990, les gens avaient tendance à aller dans le même club. Il y avait un aspect social, tu retrouvais tes potes sans qu’il y ait besoin de le dire. Ça a changé avec les réseaux sociaux. Tout est planifié, tu changes d’endroit chaque week-end. Si bien qu’un club est obligé de varier sa programmation et doit proposer des trucs différents tout en ayant une image bien définie. » Cela signifie-t-il que la club culture est morte ? « Non. Simplement, il y a deux mondes qui s’opposent. Tu as tout le côté mainstream et gros business. C’est le système du DJ influenceur, dont l’image compte autant que ce qu’il joue. De l’autre côté du prisme, tu as toujours l’underground qui est là, qui creuse, qui cherche à réinventer les choses, quitte à fouiller dans le passé. Pour l’instant, par exemple, c’est clair que le son qui sort est une réinterprétation du son des années 1990. »

Les années 1990. On y revient toujours… Aujourd’hui, une nouvelle équipe a pris en charge le Fuse. Pierre a quitté la résidence, mais reste attaché au club. En tant que figure historique et comme DJ invité une fois par mois. Le reste du temps, il en profite pour voir du pays. Mais, il ne se fait pas d’illusion : « Pour la plupart des gens, je resterai à jamais Pierre du Fuse. Et c’est très bien comme ça. »

 

Par Didier Zacharie

 

Ah oui, on a failli oublier ! Histoire d’illustrer simplement SON son du Fuse, DJ Pierre s’est fendu d’une jolie playlist. Mais voyez (ou écoutez) plutôt :

 

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