🎪 Deux nuits au Bon Air à Marseille : retour en festival
« Ce sera mon premier festival depuis le Covid ». C’est cette phrase conjuguée au futur qui, entre autre, m’a poussé à aller au festival marseillais Le Bon Air 2021.
Le premier soir de fĂŞte, cette affirmation m’a servi de mantra, conjuguĂ©e au prĂ©sent cette fois, « c’est mon premier festival depuis le Covid ». Elle s’est souvent dĂ©doublĂ©e en question, comme dans « toi aussi, c’est ton premier ? » Et le lendemain elle m’a servi d’excuse, employĂ©e dans des phrases telles que « dĂ©solĂ©, il faut dire que c’était mon premier festival depuis le Covid… », comme une tentative d’explication Ă mes Ă©lucubrations de la veille.
Un sentiment de Jour d’Après a donc imprĂ©gnĂ© cette Ă©dition post-apocalyptique Ă plus d’un titre. La version 2019, celle dont les organisateurs sont le plus fiers m’a-t-on dit, avait Ă©tĂ© pour moi l’occasion de prendre la mesure de l’ambitieux projet de l’agence Bi:Pole, nichĂ© dans la non moins extravagante Friche Belle de Mai (existe-t-il endroit plus dĂ©ment pour organiser des fĂŞtes en Europe aujourd’hui ?) J’en ai gardĂ© une marque indĂ©lĂ©bile, toujours vive après deux ans, de ces fĂŞtes dont on se souviendra des dĂ©tails longtemps après, musicalement Ă©videmment, mais aussi d’une façon plus impalpable, qu’on ne peut pas complètement circonscrire avec des mots. Par triangulation, pensez « ambiance », « aura », ou mĂŞme « esprit ». Le Bon Air a-t-il gardĂ© ce je-ne-sais-quoi qui fait sa singularitĂ© ?
À peine débarqué de la gare Saint-Charles le mercredi après-midi, sous un soleil puissant et bienvenu, à peine le temps de déposer ma valise et de me rafraîchir la nuque dans ma chambre située à littéralement cinq minutes à pied du dancefloor, et me voilà déjà dans l’œil du cyclone, Ricard à la main, parce que lorsque je reviens dans mon Sud, j’aime faire les choses à fond. Il doit être 18:30, les portes viennent d’ouvrir, le rooftop est toujours aussi vertigineux. Je jette un œil au danceflloor, où les gars d’Extend & Play, mascottes locales, font preuve d’une sélection très à propos. La piste est balisée de façon circulaire par de bonnes grosses Funktion One, promesse d’un son à 360 degrés, qui se révèlera riche en matières grasses. Laurent Garnier doit commencer dans trois quart d’heure, et je me demande bien comment les 1 500 personnes annoncées, dont la plupart doivent avoir acheté leur billet uniquement pour Monsieur, pourront passer la porte d’ici là .
Pourtant, lorsque Lolo débute, le public semble pousser du sol comme par magie, et occupe la piste en un rien de temps. Vu d’en haut, cette configuration hermétique en espaces bien délimités (dancefloor, food, tables, transats) donne l’impression d’assister à la plus grosse fête jamais organisée dans Les Sims, tant la densité est importante devant les platines, et au contraire évasée au dehors. Mais il n’est plus temps de regarder les choses de loin, et je me jette à l’eau.
Je dois l’avouer, les sĂ©lections de Garnier me soulèvent rarement, moi, la gargouille avide de sonoritĂ©s alambiquĂ©es, mais je ne rechigne jamais Ă l’idĂ©e de m’envoyer un pur shot d’énergie positive, surtout par les temps qui courent. Pendant deux heures, il dĂ©roule son show habituel, sous un soleil de plus en plus bas et des poings de plus en plus haut. Les montĂ©es, lors desquelles il fait « non non non » avec la tĂŞte, sont longues et Ă©piques, et dĂ©bouchent inĂ©vitablement sur des drops extrĂŞmement satisfaisants, lors desquels il fait « oui oui oui ». J’ai toujours adorĂ© son allure sur scène, ses moves. Tout le monde est ravi, je danse gaiement, et encourage ÚليثرGlitterŮĄŮĄ Ă cĂ´tĂ© de moi, qui doit prendre la suite – pas vraiment une mince affaire – et qui revient justement du booth oĂą elle est allĂ©e brancher sa clĂ© USB. « Il m’a dit qu’il avait Ă©coutĂ© tous mes sets ! », s’exclame-t-elle.
Lors de la passation de pouvoir, le public s’époumone, redescend sur terre, et beaucoup décident d’aller vaquer à des occupations dont ils s’étaient privés pendant deux heures, laissant davantage d’espace sur la piste. J’en profite pour me placer bien au centre et apprécier la belle musculature des morceaux lentement mais sûrement déployés. Notre guide nous fait rapidement sortir des sentiers battus des 4/4 pour nous mener hors-piste, sur des chemins sinueux et galvanisants, qui en désarçonnent certains, mais en ravissent bien plus. Le sujet est maîtrisé, le climat aride, les mélodies se font rares, mais tous les morceaux nous coupent le souffle par leurs structures rythmiques multi-référencées, d’origines diverses, italiennes, sud-africaines ou sud-américaines. Nous dansons frénétiquement, l’œil souvent fermé. Puis, comme dans tous les meilleurs DJ sets, un morceau survient et nous renverse, nous regardons nos voisins d’un bon air ébahi, les téléphones se parent discrètement du logo Shazam bleu vibrant, sans succès. Puis tout cela se finit dans l’allégresse maximaliste, la danse extasiée devant et derrière les platines, et les sourires. J’en ai même oublié d’aller voir le live d’Azu Tiwaline que je ne voulais pourtant pas rater.
Je descends penaud les escaliers de métal qui mènent à la scène Boule à Facette, également en extérieur. Là aussi, ronde d’enceintes en embuscade, mais le son y est plus diffus. Il faut fouiner pour trouver un coin qui fasse honneur à la musique, davantage à l’arrière plutôt que la tête dans les barrières, d’ailleurs. Quoi qu’il en soit, le dancefloor est plein à craqué, et je me retrouve même à apprécier ce qui aurait pu me tendre dans un autre temps, le fait de ne quasiment plus pouvoir bouger. Il est bon de se retrouver épaule contre épaule avec d’autres danseurs, de faire partie d’un tout. Nous voilà tous à bord du même vaisseau, habilement piloté par Flore qui nous embarque pour des tours de Space Mountain à n’en plus finir. Techno laser, breakbeat convulsif, ambiances gentiment dystopiques, c’est trop court quand c’est trop bon, et il est déjà l’heure de conclure sur son tube « Coded Language » pimpé façon footwork épileptique par 3Phaz.
Pourtant, la nuit est encore longue. Il n’est que minuit et c’est désormais à Simo Cell d’enchaîner. Il est temps de temporiser, ralentir le tempo et il se dirige vers une ambiance mentale teintée de riddims qui fait tout l’attrait de ses productions, comme son tout frais « Short Leg » qu’il sort comme un bon vin en fin de repas. Après son set, il dira que le public aurait probablement aimé se faire « avoiner » davantage, mais il est parfois bon de rappeler que la violence ne résout pas tout, surtout lorsque c’est fait avec allure et attitude. Dommage que le système son ne lui ai pas fait entièrement honneur.
Sans que je sache s’il s’agit de son dernier morceau ou du premier de Ttristana, la transition se fait sur « This Is Not A Drill« de ize produit par AceMo, superbe morceau qui annonçait l’année dernière un album dantesque, mais apparemment retardé/annulé puisque son auteur fait apparemment l’objet de poursuites pour agressions sexuelles. La soirée s’achève sur un set finalement éloigné des productions sucrées et hyper pop auxquelles elle nous avait habitué pour une sélection plus sombre et acérée qui fait mouche. La nuit ne s’arrête pas là pour moi, ni pour mes malheureux colocataires de la villa dans laquelle je suis logée aux portes de la Friche, et auprès desquels je me confonds encore une fois en excuse pour avoir troublé la quiétude des lieux. « Désolé, c’était mon premier festival ».
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Réveil brumeux le lendemain. J’occupe ma journée à recharger les batteries afin de mettre toutes les chances de mon côté pour la deuxième soirée. J’arrive trop tard pour le set de Goldie B, qu’on me raconte solaire et impeccable. Je prends le temps d’un grand verre d’eau, accepte quelques regards perçants, mérités d’ailleurs, et malgré tout bienveillants de la part de l’équipe pour mes bêtises de la veille, et file me planter devant Zaltan et D.K., curieux de la direction que prendra leur embarcation. Evidemment, des bonshommes ne poussent pas du sol comme la veille à la même heure. Dans la foule, encore somme d’individualités à cet instant, on y retrouve la quasi-intégralité des artistes qui se produiront ensuite, se dandinant attentivement. Plus le set avance, plus les transitions se font fines, les ambiances perdent en loufoquerie et gagnent en méchanceté. On passe de syncopes portugaises à musique de club déconstruite et sévère, pour ce qui sera finalement un des sets les plus excitants de ce faux week-end.
C’est Palms Trax qui reprend la main pour un set très attendu. L’Anglais dĂ©livre tout bonnement ce qu’on imagine de lui, un mĂ©lange d’italo disco, de house, de non-tubes qui auraient dĂ» en ĂŞtre, le tout autour de 120 BPM (la honte !) Blague Ă part, tout le monde s’amuse. Un festival oĂą l’on entendrait uniquement le mĂŞme style toute la soirĂ©e serait bien barbant. Amen Palms Trax ! Juste avant la fin, au moment oĂą les notes bien connues de Bronski Beat soulèvent quelques cris de joie, je descends capter la fin du set de Vikken, qui m’avait semblĂ© plus musclĂ©, teintĂ© d’EBM. Puis, Ă peine arrivĂ© sur la piste, paf!, dĂ©tonation, « Baby One More Time » de Britney, les gens se montent dessus. Pas le temps de souffler, paf!, virage Ă 180 degrĂ©s, retour de l’autre cĂ´tĂ© du spectre, Krikor commence son live conçu pour l’occasion, et qui semble Ă première vue laisser place Ă beaucoup d’improvisation. J’avoue avoir attendu cette performance avec impatience depuis que l’intĂ©ressĂ© avait annoncĂ© un live Ă 160 BPM pour, je cite, nous « faire fondre le cerveau ». Je me rappelle avoir vu Krikor un soir Ă la Java, pour la dernière soirĂ©e du label I’m A ClichĂ© il y a quelques annĂ©es, oĂą chaque DJ jouait une demi heure. Lui avait opportunĂ©ment choisi de ne jouer que du footwork, j’en Ă©tais restĂ© bouche bĂ©e. J’ai cependant le sentiment que tout le monde ne partage pas mon avis ce soir, et quelques huĂ©es se font mĂŞme timidement entendre. MĂŞme constat que pour Simo Cell la veille, le système son de la scène Boule a Facette ne fait pas honneur Ă la musique cĂ©rĂ©brale. Il aurait fallu pour pareil show un son assourdissant, Ă la Throbbing Gristle, qui fait complètement perdre les pĂ©dales. Après son set, je croise Judaah, co-organisateur du festival, et justement booker de Krikor chez Bi:Pole : « Un mec est venu me voir en me demandant si je pouvais pas faire quelque chose et changer la musique. Mais je suis bien content de l’avoir programmĂ© en peak time, ça leur fait du bien ! »
Pour ce qui est du flocon d’avoine, soi-disant manquant la veille, NVST et Mika Oki en ont prévu des sacs, et étanchent très vite la soif d’un public désireux de tempos qui tabassent. Chaque morceau est un délicieux problème de math pour tous les amateurs de rythmes alambiqués, et donne à chacun l’occasion de laisser libre court à son expression corporelle. Fin en trombe, personne n’a dit son dernier mot, et pour le dernier match de la saison, ce sont les enfants du pays, Vazy Julie, maman du marseillais Metaphore Collectif et son compère DJ 13NRV, qui prennent le micro en main et annoncent l’embrasement. Ce festival aura décidément été la foire d’empoigne du BPM, où chaque artiste en aura présenté son interprétation comme des savants présentent leur création à une exposition universelle. Ce coup-ci, on ne descend jamais en dessous de, je dirais, 170 ? Pleine balle sur l’autoroute, hardcore ravageur, gabber badass, drum and bass vengeur, edit destructeur de « Fuck le 17« , jusqu’à l’apothéose et ce « fumigène track », ou 13NRV craque un réel fumigène, dont la fumée orange illumine l’énorme drapeau phocéen déployé au-dessus façon South Winners. On me dit dans l’oreillette que ce coup était prévu de longue date et que personne en interne n’a évidemment donné l’aval au projet étant donné sa relative dangerosité (j’ai croisé à l’after quelqu’un avec une cloque énorme dans le creux de la main). Une image qui restera gravée longtemps dans ma mémoire, couplée de cent heures de vidéos sur mon téléphone pour être sûr. L’ambiance, l’aura, l’esprit du Bon Air, ce je-ne-sais-quoi, brille plus que jamais.