Inter[re]view : Des chansons d’amour avec un kick, l’EP thérapeutique de David Shaw
Cela fait quelques années que David Shaw n’est plus Siskid, le génie des clubs parisiens tels que le Pulp ou le Rex Club, il a déposé la guitare de Black Strobe (le groupe d’Arnaud Rebotini avec, parmi ses anciens membres, Ivan Smagghe) et a fait une pause avec Dombrance avec qui il a formé DBFC pendant cinq ans. Bref, il a mis de côté ses alias pour ne se consacrer qu’à sa carrière solo. Une carrière qui commence en grande pompe lorsqu’il sort le génial album So It Goes, en 2012, salué par la critique, mélangeant les styles et brouillant les frontières musicales entre pop, électro, rock, psychédélisme et new wave.
Sous le nom de David Shaw & The Beat, le Parisiano-Mancunien fraîchement installé à Bruxelles revient avec un nouvel EP intitulé Love Songs With A Kick Vol.One, signé sur son propre label Her Majesty’s Ship, prévu pour le 14 février. Souvent affilié au son de David Bowie, Lou Reed, Marc Bolan ou à Dave Gahan lors des grandes heures de Depeche Mode, David Shaw livre ici un EP plus « pop » dans la durée des pistes, c’est-à-dire moins progressif, moins (expéri)mental mais plus physique et immédiat.
Quelques jours avant sa sortie, écoutez en avant-première et en intégralité sur Tsugi le nouvel EP de David Shaw, ci-dessous :
« Je suis obsédé par tout ce qui est cérémonie, trucs païens ou vaudous. »
Sincérité brutale et cérémonies païennes
Il arrive souvent qu’une grande œuvre soit le fruit d’une histoire d’amour tortueuse qui finit mal. Love Songs With A Kick Vol.One ne déroge pas à la règle. « C’est une thérapie classique que j’ai effectué en passant par la musique et par la composition, nous explique David Shaw au téléphone, au lieu de chercher le concept cool qui va plaire à tout le monde. Là, j’avais vraiment besoin de transmettre les émotions fortes que j’étais en train de traverser. »
La sincérité intense et crue qui fait bouger le corps et vide la tête, voilà ce à quoi David Shaw aspirait lorsqu’il a pensé cet EP. Il y parvient de sa voix rauque mi-chantée, mi-parlée du titre « Please, Please, Please ». « Je voulais vraiment chercher la mélodie dans la chanson même si je me rends compte, parfois, que la chanson renforce le côté classique de la composition » avoue-t-il. Shaw a également adopté cette posture de sincérité instantanée dans le processus de composition des instrumentations : « Je suis souvent passé par la guitare dans la composition de cet EP, un peu comme si je revenais vers cette tradition. Je voulais garder ce truc du premier jet. J’ai toujours voulu rester fidèle aux premiers jets de composition mais avant je me suis fait rattraper par le côté weirdo de l’expérimentation. »
Love Songs With A Kick Vol.One est un EP qui a évolué au fil du temps ne ressemblant pas tout à fait à ce que David Shaw voulait entendre à la base. Est-ce bien grave ? « Les gens ne suivent pas toujours mais après tout, il faut se demander pour qui et pour quoi tu fais ce métier. C’est très difficile de le faire pour soi car dans le fond tu vis toujours avec ce diktat de plaire aux gens. Avant tout, ce qui m’intéresse dans ce que je fais, c’est de faire bouger mes potes. J’aime quand ça se passe dans les hanches. » Il y a donc dans l’esthétique de cet EP l’expression d’une musique qui fait grincer les dents, qui provoque le corps et parfois même le menace.
Cette brutale sensualité se retrouve dans la couverture de l’EP, représentant un coït qui se transforme en sacrifice humain: « Je suis obsédé par tout ce qui est cérémonie, trucs païens ou vaudous. Je suis donc revenu à ça et j’ai fait des passerelles faciles avec ma propre histoire. J’étais dans une espèce de passage rituel censé me nettoyer. Je suis d’origine indienne et du coup cette gravure de Kali me plaisait dans son côté grinçant, presque sarcastique. » Mélanger les styles et mélanger les thématiques est un peu le credo du musicien qui avoue osciller entre « trucs sales et chill« , comme il oscille entre amour physique et cérémonies païennes.
« Ce qui m’intéresse dans ce que je fais, c’est de faire bouger mes potes. J’aime quand ça se passe dans les hanches. »
L’amour en solitaire ?
N’excluant pas l’hypothèse d’un futur projet collaboratif, l’ambition de Love Songs With A Kick réside dans la composition solitaire, dans la représentation des différentes couleurs et des différents moments traversés par le musicien. De « My Tongue Your Spit » à « Skim The Cream part 2 » en passant par « No Shangri La », David Shaw nous entraîne dans des clubs obscurs habillés d’instrumentations protéiformes. Il nous fait basculer de la new wave, dont la batterie fricote avec le punk et dont la voix sort des abîmes, vers l’electro-pop, ornée de lignes de basse transpirant la funk et permettant aux nappes de synthés de mettre en valeur des riffs de guitares acides. On change de couleurs au fil de l’écoute, on change de vision et on en prend plein les yeux. Tout ça n’est le fruit que d’un esprit brillant mais exigeant : « Mon gros défaut c’est que je ne suis jamais jamais jamais satisfait. À certains moments, je suis à fond dans ce que je fais et à d’autres, j’ai beau avoir les meilleurs éléments du monde de mon côté, la recette rate et c’est comme ça. »
« Mon gros défaut c’est que je ne suis jamais jamais jamais satisfait. Parfois, je suis à fond dans ce que je fais et à d’autres, j’ai beau avoir les meilleurs éléments du monde de mon côté, la recette rate et c’est comme ça.«
Trouver une structure à la pluralité
Si les idées viennent presque immédiatement, la structuration, elle, prend beaucoup plus de temps : « Le seul effort que j’ai eu à affronter se trouvait dans la finition de la structure. Après, c’est l’éternelle malédiction lorsque tu fais tout, tout seul. J’ai beau avoir des porte-avions d’idées, il faut avant tout que la structure soit la bonne. » Structure sur laquelle il compte passer moins de temps pour le volume 2 dont un single est prévu pour l’été prochain et la sortie définitive pour « octobre maximum« , selon les dires du musicien.
Jamais là où on l’attend, toujours en train de superposer les genres, les thèmes et les couleurs, David Shaw se perçoit comme « une espèce de bricoleur » dont la principale préoccupation est de prendre son indépendance des diktats du milieu musical : « Ça ne m’intéresse pas qu’on me colle des étiquettes, je me lasse trop vite et j’écoute tellement de musique depuis tellement jeune que je m’estime chanceux de pouvoir trouver cet équilibre entre l’électro, la pop, le rock. » Love Songs With A Kick Vol.One est donc pluriel, pétri de toutes les influences, toutes les émotions et toutes les expériences de David Shaw.
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David Shaw sera en concert à la Boule Noire le 12 mars 2020, et Tsugi vous fait gagner votre place.
Également jeudi 13 en DJ set au bar Les Ambassadeurs de l’Hôtel de Crillon.
Et aussi sur Tsugi Radio en interview et DJ set, jeudi 13 à 18h30.