Dégustation à l’aveugle : on a fait jouer Get A Room! au blindtest
Rois de l’edit, les deux pirates Aurélien Haas et Jeff Lasson, alias Get A Room!, publient le troisième volume de Dig Out Your Spade, leurs aventures sonores où ils manipulent chansons françaises, musique de film et sons d’origines indéterminées. De vrais érudits.
Golden Bug – « Look Look Look » (extrait de l’album Hot Robot)
Aurélien Haas : Ah c’est Antoine, Golden Bug. Mon pote d’enfance. C’est avec lui que j’ai rencontré Jeff à un mariage en 1998.
Jeff Lasson : Par la suite, ils sont souvent venus chez moi pour écouter de la musique. On s’est retrouvé sur la musique black.
Aurélien : Jeff était à fond là-dedans et on a passé des heures à écouter du George Clinton, du Norman Whitfield, toutes les productions blacks psychédéliques de la Motown. Avec lui on a également découvert Rose Royce, Undisputed Truth. Avec Antoine, à la base, on était plutôt techno, et notamment toute la scène italienne trance, Francesco Farfa, etc.
Spectral Display – « It Takes A Muscle To Fall In Love » (extrait du maxi It Takes A Muscle To Fall In Love)
Jeff : Ça, c’est la version originale. Mais l’edit que nous en avons tiré a été notre premier carton. C’était en 2010. Trevor Jackson a eu un gros coup de coeur, il nous a même fait une pochette, et il nous a conseillé de sortir un 10 inch avec juste une face. James Murphy le jouait sans arrêt et il racontait partout que c’était le disque qui ne le quittait jamais. Par rapport à un remix où tu réorchestres tout, dans un edit, tu respectes plus l’oeuvre. Tu enlèves ou tu rajoutes des parties au morceau. C’est né avec le disco. Les DJs se rendaient compte que les gens devenaient fous quand au milieu d’un morceau de neuf minutes arrivaient des breaks instrumentaux. Mais ces passages étaient bien trop courts. Au début, ils mixaient le même disque ensemble puis ils ont enregistré les breaks et ils en ont fait des boucles, créant ainsi un nouveau morceau, un edit.
Aurélien : L’edit c’est intéressant parce que souvent les gens sont passés à côté d’un morceau à cause d’un solo de guitare qui dure une heure ou un passage de clavier horrible. Nous, on s’est aperçu que l’on pouvait avec un ordinateur enlever ces parties chiantes et rallonger celles qui étaient bien. C’est devenu vraiment marrant quand c’est sorti de la scène disco ou nu-disco pour aller sur des styles différents.
Jeff : Oui, aujourd’hui, il y a des edits de krautrock, de synth wave, d’EBM et de trucs dont on ne sait pas même ce que c’est au départ ! Nous, on adore ça, c’est un ça qu’on a été repérés, parce que nos compilations d’edits possèdent un large éventail, de la chanson française à la musique pop hongroise.
Scenic – « This Can’t Be (Get A Room! remix) » (extrait du maxi Periculum N°2 – This Can’t Be)
Aurélien : Notre premier remix sur Tigersushi ! En 2010 également.
Jeff : On a monté Get A Room! par accident, sans ambition. Ça n’a pas été facile de passer dans une espèce de trip : on va se mettre en studio pour faire du son. On s’est jeté à l’eau, on n’avait pas beaucoup de matos.
Aurélien : Ce remix arrive à un moment où on est complètement désorganisé : il revient de Londres, je viens d’avoir un bébé.
Jeff : Quand les edits ont commencé à marcher, on a été bookés comme DJ, ce que l’on n’aurait jamais imaginé.
Aurélien : Notre avantage c’est que l’on peut jouer de tout. À l’image de nos compilations. On peut jouer avec Ivan Smagghe dans une Kill The DJ, mais aussi pour une marque où on va passer des trucs plus français. On peut jouer de la techno dans un after à 6 h et enchaîner sur un set disco-cocktail de 18 h à 20 h. C’est plus la fréquence avec laquelle on joue que le montant de nos cachets qui fait que l’on peut en vivre ! (rires)
Ennio Moricone – « Le Marginal » (extrait de la bande originale du film Le Marginal)
Jeff : C’est la musique du Marginal ! En ce moment, je suis énormément dans la musique de film italienne. C’est tellement beau la musique de film, il y a tellement de choses à récupérer. C’est très expressif.
Aurélien : C’est comme ça qu’on a rencontré Smagghe qui nous avait fait un retour positif sur notre edit de « The Dreamer » qui est l’un des titres de cette BO.
Jeff : C’est lorsque Belmondo se retrouve sur les Champs Élysées dans une boîte gay. C’est un morceau qui pourrait ressembler éventuellement à du pré-Justice avec des arpeggios, une montée de gros son. C’est vraiment le morceau qui nous a fait partir dans l’edit. C’est grâce à Internet qu’on retrouve tout ça.
Aurélien : Les disques originaux s’arrachent à 100 euros minimum. Comme toutes les BO des films français des années 70 comme Le Corps de mon ennemi.
Jeff : Mais c’est aussi par cycle. En ce moment c’est la musique antillaise, avant c’était la musique arabe. Les Français du site Diggers Digest, qui vend des disques à la planète entière, ont d’ailleurs réalisé une excellente compilation de jazz antillais qui s’appelle Kouté Jazz. Aujourd’hui le moindre disque antillais zouk-soukouss où tu as un petit break funky, c’est 25 à 60 euros. Les mecs se servent juste de ce petit passage pour faire un edit. J’ai un peu de mal à comprendre.
Frankie Valli & The 4 Seasons – « Beggin (Pilooski re-dit) » (extrait du maxi Beggin)
Jeff : Le début est tellement évident que je n’arrivais pas à trouver ! C’est devenu le générique de la MAAF ! (rires) Grâce à lui Frankie Valli a refait des tournées aux USA et il a même maintenant une résidence à Las Vegas. C’est ce qui a fait connaître Pilooski, mais il n’est pas tombé dans le piège de reproduire cela à l’infini. Aujourd’hui, il sort des productions tellement avant-gardistes que les gens comprendront dans dix ans. Ce qui est sûr, c’est que l’on n’aurait jamais commencé nos edits s’il n’y avait pas eu les compilations Dirty réalisées entre autres par Cédric (Pilooski, ndr).
Aurélien : Il n’aime pas du tout parler de « Beggin » parce que l’on sort du contexte bidouille de l’edit cool pour entrer dans du business. Nous aussi, on a reçu des demandes de maison de disques qui nous filaient leur catalogue, comme celui de Donny Hattaway pour que l’on en fasse des edits, mais on ne l’a pas fait.
Annie Girardot & Bernard Fresson – « Ursule & Grelu » (extrait de la compilation La Crème de la crème)
Jeff : On a édité ce morceau composé par Alain Goraguer et le réalisateur Kim Chapiron a adoré. Il voulait que ce soit sur la compilation de son film La Crème de la crème. Mais on a mis le morceau original, histoire de rendre à César… C’est tout à fait le genre de morceau qu’on peut passer lorsque l’on joue pour des marques. Les gens sont surpris. On passe parfois pour des gros ringards, mais au bout d’une heure ils comprennent où on veut en venir. C’est aussi notre patrimoine.
Aurélien : On adorerait faire de la musique de film, mais qui reste dans notre univers. Un peu comme celle d’Agoria avec Go Fast. La musique est complètement électronique, elle existe très bien sans le film.
Jeff : Mais si c’était une BO où il faut décliner un thème dans de multiples styles, il faudrait que l’on ait un arrangeur. Tu n’es plus dans le clubbing ! Si Christophe Honoré nous demandait de faire la musique d’un de ses films, je crois qu’on serait un peu emmerdé ! (rires)
Barnt – « Geffen » (extrait du maxi The Power Of Now)
Jeff : Ah, c’est quoi ça ? On l’a joué 100 000 fois. Ça sonne comme du Rebolledo. Aurélien : C’est Barnt !
Jeff : Dès que c’est sorti on l’a joué direct. J’ai découvert la musique électronique dans les années 90. Avec la french touch, c’était assez effervescent, si tu ne sortais pas, c’était vraiment que tu n’aimais pas la musique. J’étais très pote avec Pepe Bradock et Ark qui jouaient beaucoup à l’époque et je sortais tout le temps avec eux. Puis quand je suis parti en Angleterre, j’ai découvert vraiment ce qu’était le vrai clubbing : les gens qui vont vraiment voir un DJ, danser, et accessoirement se défoncer. Mais je trouve qu’aujourd’hui, on a vraiment rattrapé notre retard en France.
Aurélien : Moi, je passais mon bac quand Homework des Daft est sorti. J’ai quand même vécu les raves Mozinor et le basculement vers l’embourgeoisement des soirées Respect où c’était moins gadoue et coups de fusil. Quand j’avais quinze ans, je me souviens de raves où je me suis retrouvé allongé par terre parce que des mecs venaient piquer la caisse avec des flingues.
Get A Room! – « Leave This Town » (extrait du maxi Inbetween)
Jeff : L’avantage que l’on a en DJ-set, c’est que l’on peut jouer de tout. Mais l’inconvénient lorsqu’on veut passer à la prod’, on veut tout faire : du dub, de la techno, de la synth wave, et comme en plus on vient de la soul funk… C’est très difficile de se concentrer sur une direction. C’est pour cela que nous sommes très lents.
Aurélien : On s’est dit aussi que ce n’était pas la peine de se presser pour produire des tracks, car nos compilations nous servaient déjà très bien pour être bookés. Après, il y a eu une période où on ne trouvait pas le son. Au début, on ne produisait que des morceaux super techno. Puis on a rencontré Yuksek – ce maxi est sorti sur son label Partyfine – et aujourd’hui on arrive à s’orienter vers quelque chose de plus mélodique, plus pop. On a la moitié d’un album de prêt.