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14 septembre 2016

Dégustation à l’aveugle : Feynman passe l’épreuve du blindtest

par rédaction Tsugi

Ni franchement techno, ni vraiment house, l’électronique solaire du Parisien Yoann Feynman a grimpé par surprise cet été tout en haut des charts. Portrait en musique d’un producteur très discret. 

Daft Punk – « Veridis Quo » 
(Extrait de l’album Discovery)

C’est l’une de mes racines musicales. Daft Punk fait partie de ces groupes que l’on a surécoutés, suranalysés et qui ont été un peu la bande-son de notre adolescence. On a tout pris et on a tout savouré. J’ai été surpris par la direction prise par Random Access Memories. Mais que dire devant un travail pareil ? Peut-être qu’ils n’avaient plus envie de faire de musique électronique, mais qui suis-je pour les critiquer ? Je suis passé par tous les styles en musique. Au début, j’ai commencé à la guitare, j’écoutais du métal puis après le collège, pendant l’adolescence, je me suis mis au hip-hop. C’est mon petit frère qui m’a fait découvrir la musique électronique. Pourtant au début ça m’agaçait, mais un jour en 2006, il m’a passé un morceau de Dave Spoon qui s’appelait « At Night ». Il y avait une rythmique qui m’a marqué et je me suis dit qu’il y avait un truc dans cette musique. Je suis persuadé que la musique électronique doit s’apprivoiser quand on ne la connaît pas du tout.

Monomotion – « Noir »
(Extrait du maxi Noir)

C’est Erol, mon grand ami et le cofondateur de Fake Music, le label que nous avons lancé en 2013. On a eu un parcours atypique. J’ai 26 ans et j’ai toujours fait de la musique. Erol est batteur de formation. On a commencé à travailler ensemble vers 17, 18 ans en produisant de la musique progressive pour club. Il nous a fallu beaucoup de temps pour apprivoiser les techniques de production, qui sont lourdes si on veut s’y coller sérieusement. On a envoyé beaucoup de démos. Les gens trouvaient ça bien, mais ils nous répondaient que ce n’était pas pour eux donc on s’est dit pourquoi alors ne pas créer notre propre label. Cela nous permet de faire ce que l’on veut en termes de direction artistique.

Idriss Chebak – « Away For You » 
(Extrait du maxi Away For You)

Idriss m’a contacté sur Facebook en 2009 en me disant qu’il aimait bien les remixes que j’avais fait, et depuis on ne s’est jamais lâché. C’est un peu notre protégé, mais il est très pris par ses études, il n’a que 23 ans. Il a un album très pop qui arrive. On a des parcours similaires. Il a commencé avec des choses taillées dancefloors, tech-house puis il est allé vers des choses plus faciles d’accès. Il voulait faire plus de chansons. C’est ce que l’on essaye de faire chez Fake, c’est-à-dire d’avoir un niveau de production fort, de ne pas faire de compromis tout en essayant de rendre les choses accessibles. On n’est pas du tout élitiste. On fait de la musique pour toucher un maximum de gens.

Flying Lotus – « Kill Your Co-Workers » 
(Extrait du maxi Pattern + Grid World)

J’adore ce mec, particulièrement son dernier album. J’aime le côté jazz et le côté organique de sa musique. À mes débuts, on m’a pas mal reproché mon côté trop carré. Mais ça me choquait aussi, moi qui venais d’un univers acoustique. On me disait par exemple : « Attention, il faut que le kick soit bien dans la grille. » Aujourd’hui, et notamment sur mon album, je ne me soucie plus de ça. Les kicks, je les joue directement et parfois ça crée des microdécalages, des défauts, mais c’est ce qui donne vraiment l’impression qu’il y a un humain derrière. Sinon cela devient froid. C’est ce que j’aime aussi chez Flying Lotus. Malgré une discographie très large, où il y a des choses très jazzy ou très samplée, on reconnaît toujours sa patte. Je le respecte beaucoup.

Je cherche pas mal de musique, mais quand je trouve un son que j’aime, c’est un peu vulgaire, mais je vais le saigner. J’ai une playlist qui n’est pas énorme en soi, mais que je renouvelle tous les six mois. J’aime bien réécouter la musique électronique, car elle est remplie de petits détails. Et puis écouter de la musique à Paris ou à Los Angeles, ce n’est pas la même chose. Ça fait trois ans qu’on passe tous les hivers en Californie avec les personnes du label. On travaille beaucoup et on ne prend pas de vacances donc c’est une manière de se reposer un peu et de développer aussi notre marque dans le pays. On en vit mal, mais on en vit. L’argent n’est pas notre motivation première. C’est un privilège de faire ce que l’on aime. Il y a beaucoup de gens qui nous disent : il faut que vous « vocalisiez » votre musique. Il faut que cela se justifie, si c’est prendre un vocal pour rendre le truc radiophonique, on est vraiment contre.

Tyler, The Creator – « Buffalo » 
(Extrait de l’album Cherry Bomb

Il est dans le Top 5 de mes artistes préférés. 1000 % d’intégrité artistique et un talent tel que je me demande si dans une vie j’arriverai à sa cheville. Le mec écrit sa musique, compose, fait ses clips, niveau vision, il est vraiment impressionnant et il est jeune en plus. J’ai l’impression qu’il a une créativité débordante, j’ai grand plaisir à le suivre depuis son album Goblin et il ne m’a pas déçu. Il fait le Golf Camp, un festival en Californie, et j’ai eu l’opportunité de le voir. En live c’était impressionnant, pourtant visuellement il n’y avait rien. C’est ce que je trouve passionnant chez lui, comme le clip de « Yonkers » où il arrive à captiver avec trois fois rien. J’ai écouté pas mal de hip-hop mainstream. Mais aujourd’hui, je ne suis pas dans cette vague trap que je trouve un peu rébarbative, je suis plus Madlib ou Freddie Gibbs. Le problème avec le hip-hop moderne, c’est que j’ai l’impression que tout le monde se cale sur un tempo ternaire à la Migos et je n’arrive plus à distinguer si c’est lui ou Future. Quand j’entends les mecs dirent qu’ils font une mixtape en une nuit, je peux comprendre !

Fakear – « Red Lines »
(Extrait de l’album Animal

Je ne le connais pas. On m’en parle beaucoup et je peux le comprendre. Pourtant, je ne me sens pas proche du tout de sa musique. On a une énergie très différente. Je suis content de voir ces artistes français qui marchent. On sent que ça pousse aujourd’hui, qu’il y a une belle créativité, c’est bien. Ça se ressent aussi à l’international où la musique française est appréciée notamment par l’émotion unique qu’elle véhicule. J’admire quelqu’un comme Gesaffelstein, notamment pour la manière dont il poursuit sa carrière, le contrôle de son image, les clips. Il frappe très fort sans pourtant faire beaucoup de bruit du côté « social media ». J’ai trouvé cela très intéressant. Sinon, j’échange avec quelques producteurs, mais je ne cherche pas à me connecter à une scène. Je fais mon petit truc dans mon coin et ça me va.

Tame Impala – « Cause, I’m A Man » 
(Extrait de l’album Currents

J’ai raté ses deux premiers albums parce j’entendais trop : « Il faut que tu écoutes Tame Impala. » Mais j’ai donné une chance à Currents il y a huit mois et c’est l’une de mes plus grosses claques de ces dernières années. Il a réussi un mélange rare : c’est « crunchy » comme le dernier album de Flying Lotus, mais en même temps c’est du rock psychédélique. Quand j’ai appris qu’il faisait tout ça tout seul, j’ai trouvé cela fabuleux. Ça synthétise très bien toutes les musiques modernes. Il y a tout dedans : du hip-hop de l’électronique. Je sens aussi de grosses influences Daft Punk. J’ai beaucoup aimé le travail d’homogénéité entre les morceaux, ça m’a pas mal inspiré.

Feynman – « 1-800 MYLOVE » 
(Extrait de l’album Air

J’ai fait ce morceau le jour où je me suis séparé de ma petite amie avec qui j’avais passé six ans. C’est le morceau le plus accessible de l’album. Air est le résultat d’un défi personnel, je voulais voir si j’étais capable de faire un long format. Il y a eu un travail de réflexion très long. Mais en soi, les tracks n’ont pas pris des centaines d’heures à faire, je travaille très vite, j’ai une formation d’ingénieur du son à la base, ce qui m’aide pas mal dans la réalisation technique. Le plus gros défi était de faire un album homogène, mais où il y ait tout ce que j’aime dans la musique. J’ai tout fait pour ne pas me plier aux tendances du moment et j’espère que ça passera l’épreuve du temps. On a signé un deal avec Apple Music qui nous a fait confiance. C’est un hasard, Joss mon manager, est entré en contact avec Zane Lowe (animateur sur Beats, la radio de Apple Music, ndr) qui a aimé notre musique et l’a transmise à Apple France qui nous a mis en avant. Ils nous ont un peu sauvé la vie, parce que jusqu’à présent, nous n’avons pas eu trop de retours dans les médias. Niveau presse, on commence à peine à avoir des retours. Je suis surpris par l’accueil, car je ne suis pas quelqu’un qui se met en avant à travers les « social media » et personne ne m’attendait. On me reproche un peu cette discrétion, mais c’est de la pudeur. Je veux que les gens se focalisent sur ma musique, moi je suis juste un « random dude » comme on dit aux USA.

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