Dégustation à l’aveugle : Breton
y a un an, il fallait préciser que Breton n’était pas breton. Aujourd’hui, non seulement on sait que le groupe vient de Londres, mais il est devenu une tête d’affiche. à l’occasion de leur passage au Pitchfork Festival, leur leader Roman Rappak s’est prêté au jeu du blindtest.
SIGUR RÒS
“Svefn-G-Englar”
Extrait de “Svefn-G-Englar”
Mogwai ? Godspeed ? Oh, Sigur Rós. On a enregistré dans leur studio. C’était incroyable, chaque instrument faisait ce genre d’écho massif. C’est une vieille piscine qu’ils ont réaménagée avec plein de petites pièces étranges, chacune avec son rôle : l’une pour les voix, l’autre pour les guitares, etc. Tout cela au pied d’un volcan énorme avec des chevaux gambadant dans le coin. Les jours duraient 24 heures. C’était très inspirant et ça donnait aussi l’impression d’être constamment sous une drogue étrange, sans sommeil.
LFO
“Track 4”
Extrait de LFO
C’est un vieux truc de Warp ? LFO ? La culture club a eu un gros impact sur nous. Quand j’avais 13 ans, je n’avais pas le droit de voir des groupes dans des pubs. Mais je pouvais accéder aux squats, les mecs n’en avaient rien à foutre. C’était la fin de l’ère drum’n’bass et comme pour chaque courant électronique mourant ou récupéré par le mainstream, de nouveaux artistes se permettent de le pervertir, comme avec le dubstep depuis trois ans. On a joué dans un gros entrepôt il y a quelques semaines en Lituanie, une ancienne fabrique de chaussures, les gens là-bas vivaient et respiraient littéralement dans l’attente de cette soirée. Ils consumaient l’atmosphère. Et puis j’ai toujours été fasciné par le côté futuriste et technologique que m’évoquait l’électronique. Ce côté robots du futur.
Le show de Breton est différent selon le lieu ?
Évidemment. Je trouve courageux le côté “fuck it, je joue ce qui me plaît” un peu punk. Mais je veux trouver l’équilibre, jongler entre mon ambition artistique pure et la fonctionnalité de mon groupe, de mon concert : les attentes du public. C’est reconnaître que les gens devant toi sont l’élément le plus important de l’équation. C’est une démarche importante et ça ne veut pas forcément dire que tu baisses ton pantalon. Le rôle du musicien a changé. Tu n’es plus ce mec qui balance sa musique d’un piédestal. Les gens peuvent interagir avec toi, te dire “ta chanson c’est de la merde” sur Twitter, te remixer, faire une vidéo pour un de tes titres, changer l’ordre de ton album avec une playlist iTunes. Un musicien doit accepter ça.
THE RESIDENTS
“Everyone Comes To The Freak Show”
Extrait de Freak Show
(Il ricane) Je peux avoir un indice ?
Des mecs bizarres qui voulaient faire plus que de la musique.
Oh, les Residents ? C’est marrant j’étais en train de dessiner des yeux. Ils ont donné l’exemple : tu peux avoir un point de vue artistique fort sans que cela semble prétentieux, sans faire appel à la musique concrète ou je ne sais quoi de vide. Les références à la culture populaire humanisent l’art. Ils avaient cette idée qu’on peut se réapproprier une chanson pop en lui enlevant tout ce qu’elle a de pop et de joli. Construire une surprise en jouant sur les attentes des gens, de la même façon que Lynch te montre des bribes de personnages classiques avant de les transgresser. Ils ont subverti le format du groupe de rock.
MOUNT KIMBIE
“Would Know”
Extrait de Crooks & Lovers
J’aime beaucoup toute cette jeune scène anglaise. Cet album est vraiment novateur, plus encore que celui de James Blake. Accessible mais totalement créatif. Et puis j’aime assez ce côté lo-fi, qui contraste avec celui très lissé des productions à l’ordinateur, avec tous ces petits sons d’environnement, ces field recordings. On passe du lisse au granuleux en un instant, c’est passionnant.
Tu as déjà plus de 30 ans, tu jalouses un peu cette jeune scène ?
Je crois que j’aurais fait beaucoup plus d’erreurs si j’avais fait ça plus tôt. J’aurais sûrement signé sur une major, sorti un album plein de compromis et qui n’aurait pas vendu pour autant. Et puis j’étais sûrement trop stone aussi.
PLAN B
“Ill Manors”
Extrait de Ill Manors
Oh oui, c’était un gros tube ça. Pour moi, c’est vraiment cheesy… Son accent fait cliché South London. Tout est trop méticuleusement mis en place. Un peu comme les émeutes, il y avait une absence de sens général. Comme si tout ça était une marque qui te vendait un kit de crédibilité urbaine. Ce morceau ressemble à un gimmick marketing de Nike. On est beaucoup approchés par des marques sur le mode “on lance une gamme de produits très urbaine, street, un peu avant-garde, on trouve que vous iriez parfaitement là-dedans”. Je ne suis pas un nazi de l’intégrité artistique mais tout ça me semble niais. À la télé, il joue avec un orchestre de gens en hoodies, j’ai l’impression de voir le monde de la rue dépeint par Disney.
Tu crois au rôle social de la musique, à la “protest song” ?
Elle a un pouvoir. De là à dire qu’elle a un impact réel… Certains disaient que Dylan avait changé le monde avec quelques chansons. Je me dis que ça n’a poussé personne à chasser les causes du mal.
L’ironie c’est que votre atelier créatif est une ancienne banque. L’état du monde influence réellement votre art ?
Le groupe est forcément un produit du monde et de notre temps. Il n’aurait pas existé sans les iPod, et les ordinateurs portables, comme il n’aurait pas pu exister dans un Londres du milieu des années 90, à l’économie florissante. Mais ça n’est pas le sujet de notre musique, je ne m’attache guère au rôle social du musicien. Il n’y a pas de meilleure raison de faire de la musique que de tuer l’ennui des gens et de les réjouir.
ANDRÉ BRETON
“La Prière du mendiant”
(rires) C’est quoi ça ?
Il s’appelle André Breton. C’est un chanteur de country québécois.
Tu plaisantes !
Qu’est-ce qui t’a impressionné chez Breton, l’autre, au point de donner son nom à ton groupe ?
Les surréalistes fonctionnaient comme un collectif pluridisciplinaire : poètes, peintres, auteurs, etc. Mais il y avait aussi cette idée de se réapproprier l’art, de le défaire des habitudes, des préjugés de ce que “l’art devrait être” : pourquoi tout le monde peint des coupes de fruits ? Pareil pour la chanson. L’écriture automatique, les cadavres exquis, c’était fait pour débloquer l’art.
Breton menait une critique incessante de l’art. Aujourd’hui, les labels indés ne fonctionnent plus sans marques en soutien, cela t’attriste ?
Il n’y a aucun intérêt à se sentir triste. La musique depuis quatre-vingt ans fonctionne avec des formats : un disque, un groupe, un set d’une heure, une tournée, deux pages dans un magazine, une chronique dans un journal. Tout cela évolue et c’est une forme de progrès. Dans les années 90, tout ressemblait à une chaîne de production, un truc “zombifiant”. Aujourd’hui, la musique est plus vivace, plus honnête. Plus fauchée, mais plus honnête.
LANA DEL REY
“National Anthem”
Extrait de Born To Die
J’ai remixé ce morceau.
Pour vos fans, la nouvelle a dû paraître…
… bizarre. C’est une association étrange. Un deal entre managers. Mais j’ai voulu faire un truc barré, sombre, bristolien. Je ne voulais pas un banger pour clubs. Quel ennui ce processus automatique “vous avez eu l’album pour le salon, voici sa version dansante” (il prend une voix de speaker de supermarché). Lana Del Rey, c’était une explosion atomique de communiqués de presse. J’ai une certaine affection pour ce monde mainstream, qui en dit beaucoup sur l’homme et l’époque. Lana Del Rey a ce côté “monde post-Jay-Z” décomplexé vis-à-vis du succès et de l’enrichissement. Le morceau ne me fait rien. Mais c’est un chapitre de l’histoire de la musique occidentale moderne, ça ne veut pas dire que c’est bon ou mauvais, que les gens sont idiots de l’aimer ou non. Sur une frise chronologique, tu as le premier pied posé sur la lune, Kennedy, Hendrix, Jay-Z, l’iPod puis Lana Del Rey. À titre personnel, j’aime bien Beyoncé. J’ai même un petit penchant pour les trucs trop produits et débiles de Calvin Harris, parfois. Je leur trouve du charme.
Other People’s problems (fat cat/La Baleine)
bretonlabs.com
En concert le vendredi 10 mai au festival Marvellous Island