Crossroads Festival : jeune groupe recherche tourneur désespérément
Ils sont combien, un peu partout en France, à essayer de se faire connaître ? Combien de producteurs, de productrices, de groupes, de chanteurs et de chanteuses, à sortir des EPs, tourner un peu partout dans les petites salles du pays, tout en essayant de « passer à la vitesse supérieure » ? Car elle est difficile à passer cette vitesse, peu importe la qualité du projet en question, surtout aujourd’hui : réseaux sociaux à gérer correctement, contrats de labels à comprendre, démarches administratives pour décrocher le statut d’intermittent, sans parler du casse-tête que peut représenter la Sacem… Pouvoir produire depuis le confort de sa chambre est une chose, permettre au monde de le découvrir en est une autre – si les belles histoires d’artistes découverts directement depuis SoundCloud existent, elles sont rares. Et c’est là qu’interviennent les petites fées de la musique. Une tripotée de festivals, de réseaux d’accompagnement, de salles proposant des résidences et de professionnels donnant des workshops qui, un peu partout en Europe, vont former un réseau d’entraide, de développement, d’apéros aussi (on ne va pas se mentir), de « networking » comme on dit, histoire d’aider les poulains des uns et des autres à se faire connaître en dehors de leur territoire. Reeperbahn à Hambourg, c/o pop à Cologne, Eurosonic à Groningen, The Great Escape à Brighton, MaMA à Paris, Trans Musicales à Rennes… Impossible de tous les citer. Et il y a un nouveau venu dans la bande : le Crossroads Festival, à Roubaix.
Oui, Roubaix. Berceau industriel tombé en désuétude quand les usines textiles ont commencé à fermer dans les années 70, la ville de briques rouges est pourtant à un sacré carrefour (« crossroads » en anglais) entre le Nord et la Belgique, sans compter l’Angleterre pas si éloignée. C’est aussi là que se trouve La Condition Publique, ancienne bourse aux textiles reconvertie en espace de culture, avec ses expos d’art contemporains, ses concerts et ses animations pour enfants – tandis que les enfants un peu plus grands s’y enjaillent chaque année pour le NAME Festival. Et c’est donc là que pour la troisième année, la BIC (la Brigade d’Intervention Culturelle) y installe son Crossroads, une série de showcases d’artistes et groupes émergents. Ils jouent devant des professionnels venus de la région, de Paris, de Nantes et même du Canada. Ils assistent à des conférences qui leur sont directement destinées, sur le streaming ou la meilleure manière d’exporter leur musique. Ils participent à des speed-meetings, où ils discutent pendant quelques minutes, comme un speed-dating, à des tourneurs, bookers et programmateurs de salles. Les noms de groupe s’échangent, les tote-bags se remplissent de dossiers et de CDs. Et dans la petite allée de pavés courant au milieu de la Condition Publique, c’est tout un réseau d’indépendants qui se serrent les coudes, peu importe la force de frappe disproportionnée des majors, les réductions de subvention des salles, les projets trop bizarres pour être diffusés en radio, mais trop intéressants pour partir aux oubliettes.
Mais bien sûr, on y écoute surtout des concerts au Crossroads Festival, qui est évidemment ouvert au public (et gratuit !). Une bonne dizaine de groupes chaque soir, jouant une demi-heure, sur deux scènes occupées en alternance. Parmi eux, huit qu’on aimerait revoir partout. A commencer par les Okay Monday, nostalgiques des années 90 qu’ils n’ont pas connus, hérauts d’une power pop à la Weezer qui ont enregistré leur album dans les conditions du live – logique quand le trio lillois prend toute sa superbe (et son côté sexy) en concert. Ou encore Juicy, duo féminin r’n’b et hip-hop belge que l’on commence à heureusement apercevoir un peu partout, notamment grâce à des clips bien sentis et des paroles pleines d’ironie et de féminisme. Nos chouchoux Weekend Affair (qui ont décroché ce surnom quand ils se sont mis à chanter en français), produits par Yuksek, arrangés par Albin de la Simone, d’une classe sans nom en live. Després, ou quand une voix à la London Grammar se cogne à des beats techno des plus martiaux, ou Thé Vanille, trio pop inclassable bien plus dans-ta-face en live que sur disque… Et ça, ce n’était que pour le premier jour, une sacrée belle fournée !
Le lendemain, la valise de beaux souvenirs est un peu plus vide (les goûts, les couleurs…), mais trois groupes se dégageront du peloton : les dunkerquois de Idiot Saint Crazy Orchestra, compos rock, progressives et barrées de douze minutes, le trio clavier-batterie-chant électro-pop Le Vertigo, formidable quand les paroles se parent de français (décidément !) et d’accents à la Fishbach… Et puis Bison Bisou. Ce serait bête de se fier au patronyme super kawaii de ce groupe du Nord « élevé au grand air des centrales nucléaires et au vacarme des aciéries post-textiles » : ici, on parle de rock, de punk, de post-rock, de tout plein de genres à guitares et de rage parfois dépressive, bordélique mais toujours juste. Le coup de cœur dans ta gueule en somme.
Okay Monday, Juicy, Weekend Affair, Després, Thé Vanille, Idiot Saint Crazy Orchestra, Le Vertigo, Bison Bisou… Il y avait des programmateurs dans la salle non ? Ils savent ce qui leur reste à faire maintenant. Au boulot !