Pigalle, dĂ©but aoĂ»t. Gaspard et Xavier de Justice tentent de se balader – mais sont rĂ©guliĂšrement abordĂ©s par des fans avides de selfies. AttablĂ© Ă  la terrasse de la Fourmi, Crayon regarde la scĂšne d’un air amusĂ© : on ne l’arrĂȘte jamais dans la rue, et c’est tant mieux. Car Crayon, membre de la belle maison Roche Musique et auteur (entre autres) de Flee, un EP sorti il y a deux mois, ne courra jamais aprĂšs le buzz : c’est bien trop fatigant. On se moque gentiment, mais le jeune homme de 25 ans a ce cĂŽtĂ© adulescent des grands flemmards, et il en rajoute. Pourtant, quand il se traite de feignasse, l’attachĂ© de presse du label lĂšve les yeux au ciel : Crayon est un bourreau de travail. Il compose constamment, sans pour autant dĂ©voiler les morceaux – Ă  part dans son nouveau live, que les veinards du Positiv Festival marseillais ont pu dĂ©couvrir il y a quelques semaines.

Mais ne le cherchez pas en studio. « Le studio, ça m’angoisse », nous confie-t-il. Trop formel, pas assez dans son Ă©lĂ©ment : Crayon est un bedroom producer. « Tout l’aspect ‘professionnel’ me gave. Et quand je fais de la musique chez moi, je peux voyager tout en restant au fond de mon pieu, comme quelqu’un qui se fait un week-end entier Ă  regarder Breaking Bad« . Un attachement aux mĂ©thodes de ses dĂ©buts que l’on retrouve jusque dans le nom de l’EP, Flee, « la fuite ». C’est aussi le titre d’un des morceaux du maxi. « Je vais avoir 25 ans, et ça m’a fait hyper chelou de sentir d’un coup que cet EP Ă©tait quelque chose que j’avais Ă  faire, que ça rentrait dans le cadre de mon job et de mes obligations d’adulte. J’aurais fait de la musique que j’en vive ou non, parce que c’est un besoin, mais c’est terrible de me dire que je dois composer car c’est un produit qui va ĂȘtre reçu ». Elle est lĂ , la fuite. Il s’Ă©tait imposĂ© une deadline pour finir son EP, mais n’avait aucune envie d’aller au studio. « J’Ă©tais chez ma copine qui habite sur une petite Ăźle paumĂ©e en rĂ©gion parisienne, et je ne voulais pas rentrer Ă  Paris. J’avais envie de fuir mes responsabilitĂ©s et vivre pieds nus comme un putain de hippie bio », s’amuse-t-il. « J’ai trouvĂ© ça marrant de finir par nommer l’EP comme ça, mais ce n’Ă©tait pas prĂ©vu : le texte de cette chanson raconte plutĂŽt une relation, du type ‘fuis moi je te suis, suis moi je te fuis’. Mais j’y ai trouvĂ© mon petit sens Ă  moi ! ».

Il faut croire que cette petite Ăźle oĂč il fait bon de vivre pieds nus l’inspire. Du granuleux « Dorian’s Dream » Ă  « Flee » accompagnĂ© de la belle voix profonde d’Ann Shirley, on pense Ă  Cotton Claw ou encore Ă … Eh bien on donne notre langue au chat : avec cet EP, agrĂ©mentĂ© de beaucoup de sons enregistrĂ©s Ă  l’iPhone (des petits crĂ©pitements, des cliquetis de clĂ©s, des oiseaux…) et de samples Freesound, Crayon refuse de s’inscrire dans un genre dĂ©fini. Adios la nu-disco, la « French Touch 3.0 » de ses dĂ©buts dans laquelle il ne se retrouve plus. « A l’Ă©poque, je n’aimais vraiment pas ce que je produisais. J’Ă©coutais trĂšs peu de nu-disco mais des millions de trucs diffĂ©rents, voire carrĂ©ment Ă  l’opposĂ© de ma musique : mes premiĂšres amours, c’est le post-punk, la new-wave. Si tu Ă©tais fan de ce que je faisais il y a quatre ans, tu risques d’ĂȘtre un peu déçu par ce nouvel EP… ». Non, ça va. Car tout de mĂȘme, Crayon ne saute pas du coq Ă  l’Ăąne : il y a toujours cette chaleur dans ses sons, une couleur typique de son Ă©curie Roche Musique et de ses petits camarades du label (FKJ, Darius, Cezaire…). Son fantasme ? « RĂ©ussir Ă  prendre la froideur d’un James Blake pour y ajouter la chaleur de Flying Lotus« . Un objectif ambitieux mais pas inatteignable quand on Ă©coute Flee. Il n’a plus qu’Ă  enlever ses pompes, retourner dans sa chambre et nous pondre un album. Et lĂ , plus jamais on ne traitera Crayon de feignasse.