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12 novembre 2020

Comment System Of A Down est devenu l’un des plus puissants groupes de rock des 00’s

par Violaine Schütz

Au début du mois, les Américano-Arméniens de System Of A Down revenaient unifiés après une absence discographique de quinze ans avec deux nouvelles chansons engagées pour la communauté arménienne, persécutée par la guerre en cours dans l’Artsakh. L’occasion nous aussi de revenir sur l’impact d’un groupe militant et hybride qui symbolise les aspirations de toute une génération d’adolescents.

Comme Buffy, Beavis & Butt-Head, Wayne’s World, Daria et les pantalons baggy, la mention du nom de System Of A Down résonne comme une incantation magique nous ramenant des années en arrière. Pour la plupart d’entre nous, directement, en adolescence. Ni le rap ni les réseaux sociaux ne régnaient alors pas en maître, et des groupes alternatifs comme Korn, Rage Against The Machine ou Deftones pouvaient rencontrer des succès massifs sans compromettre leur intégrité. System Of A Down fait partie de la bande-son rebelle de ces jeunes gens qui ne rentraient pas dans le moule. Les ados des années 90 trouvaient dans le mélange de sonorités brutales et de refrains « pop » du nu metal un exutoire à leurs angoisses.

« [Le nu metal] mélangeait des univers pour mettre beaucoup de monde d’accord : les skateurs, les fans de hip-hop, les mecs qui portaient des dreads… »

Vangelis Pavlidis, amateur de musiques bruyantes qui dirige le label Sanit Mils Records, explique : « Le nu metal servait de porte d’entrée vers le metal pour les ados, au tournant du millénaire. Il y avait Korn, Slipknot, Linkin Park, Limp Bizkit et SOAD, pour les plus connus. Mais aussi des classiques du genre comme Staind, Ill Niño, Drowning Pool, Disturbed, Papa Roach… C’était intéressant car ça mélangeait des univers pour mettre beaucoup de monde d’accord : les skateurs, les fans de hip-hop, les mecs qui portaient des dreads… Les trentenaires d’aujourd’hui sont nostalgiques de ce moment autant qu’un quarantenaire peut l’être en écoutant un « Black Hole Sun » de Soundgarden. »

 

Détruire autant que créer

System Of A Down s’est fondé en 1994, soit l’année de la mort de Kurt Cobain, avec pour influences Slayer et les Dead Kennedys. Les familles de ces gamins d’origine arménienne ont survécu au génocide arménien perpétré sur le territoire de l’Empire Ottoman au début du XXème siècle. Même s’ils grandissent à Los Angeles, ils gardent des cicatrices de ce massacre officiellement démenti par ses auteurs. Des stigmates qui leur confèrent une rage verrouillée au corps et un ressentiment virulent face aux injustices. Et c’est dans la musique que leur verve abrasive va se canaliser.

Après plusieurs démos, le groupe se produit dans des clubs hollywoodiens comme le Whisky-a-Go-Go ou le Viper Room (le club tenu par Johnny Depp où River Phoenix meurt d’une overdose). C’est sur les scènes underground de la Cité des Anges qu’ils se font repérer par Rick Rubin, producteur légendaire des Beastie Boys, de Run-DMC, des Red Hot Chili Peppers (pour ne citer qu’eux). SOAD signe sur son label, American Recordings, et enregistre un premier album, avec – grande originalité pour l’époque – une femme ingénieure du son, Sylvia Massy. Ce premier disque éponyme publié en 1998 – et certifié platine aux US – va marquer les esprits pour plusieurs raisons.

« Ouvrez vos yeux, ouvrez vos bouches, fermez vos mains et fermez vos poings. »

La première, c’est son mélange de styles (rock prog, metal extrême, influences orientales). Charles Provost, fondateur du magazine Metal Obs, nous rappelle : « Ils ont inventé un son unique, qu’on n’avait jamais entendu avant avec le chant urgent de Serj Tankian, de vraies compos, une certaine folie et de nombreux changements rythmiques, des breaks, des moments très rapides puis des passages plus mélodieux. C’est très difficile à imiter car assez technique. »

Et puis il y a cette force politique. Les paroles engagées du quatuor sur la reconnaissance du génocide arménien (Serj Tankian obtiendra une médaille en 2011 du Premier Ministre arménien pour son engagement), la santé mentale (« Mind ») et la guerre (« War? »). Évidemment SOAD parle aussi de choses plus prosaïques comme les drogues (« Sugar »), l’une des obsessions personnelles du groupe. Mais rien que la pochette du disque, inspirée par une affiche antifasciste sous l’Allemagne nazie, signale qu’on n’a pas affaire à une formation comme les autres. Au dos du premier SOAD, on peut lire des messages aux airs de leçons de vie : « La main a cinq doigts, capables et puissants, en mesure de détruire autant que de créer ». Mais aussi : « Ouvrez vos yeux, ouvrez vos bouches, fermez vos mains et fermez vos poings. » Quel meilleur slogan pour un groupe qui ne cessera de prêcher l’éveil des consciences auprès de jeunes dans le doute.

 

Émeute et liste noire

S’il ne fallait retenir qu’un disque sur les cinq sortis entre 1998 et 2005 par le groupe, ce serait Toxicity, pièce maîtresse du nu metal où aucun morceau n’est à jeter et que Metallica adule. Sorti une semaine avant le 11 septembre 2001, il devait être lancé par un concert donné sur un parking hollywoodien devant 3 500 âmes. Mais le live fut annulé par la police voyant débarquer 10 000 fans surexcités. Quand la pancarte comportant le nom du groupe est retirée par la sécu, le public détruit, de colère, tout leur matos de tournée (représentant la modique somme de 30 000 dollars) avant que la scène ne vire à six heures d’émeute avec jets de cailloux sur les flics, toilettes retournées et fenêtres brisées. Cet événement retranscrit bien la violence qui entoure System, même si ces derniers prônent le pacifisme et s’insurgent contre la guerre en Irak.

« Je ne sais pas ce que ça signifie, mais je sais ce que ça me fait ressentir. » Rick Rubin

Entre un morceau se référant à Charles Manson et un autre sur le sexe collectif, le tube alambiqué de l’album, « Chop Suey! », se voit interdit de radio et placé sur une liste noire de morceaux « inappropriées » à la suite des attaques contre le World Trade Center. La phrase de trop ? « Je ne pense pas que tu crois à mon suicide pharisaïque ». N’en déplaise à la censure, « Chop Suey! », porté par un clip en heavy rotation sur MTV (presque un milliard de vues sur YouTube), devient l’un des hymnes de la jeunesse alternative de l’époque qui trouve le monde un peu trop toxique. Chacun peut voir et entendre ce qu’il veut dans ce titre qui oscille entre claque et caresse. Mais comme souvent dans les paroles surréalistes et pleines d’humour du groupe, le mystère fait partie de l’attrait. Comme l’a révélé Rick Rubin, qui a produit le disque, à propos de leurs textes étranges : « Je ne sais pas ce que ça signifie, mais je sais ce que ça me fait ressentir. C’est comme dans beaucoup de chansons de Neil Young, où les paroles n’ont pas forcément de sens, mais vous donnent le sentiment que quelque chose se passe. »

 

Rage against the system

Que l’on apprécie ou pas la musique de SOAD, il faut s’accorder sur un point : rares sont les groupes de metal à s’être autant engagés dans de grandes causes. Réputé moins politique que le punk, le genre a bien accouché de Rage Against The Machine et de quelques autres agitateurs aux pamphlets satiriques. Mais System Of A Down a fait taire à jamais l’image WASP et individualiste que le metal pouvait encore traîner derrière lui. D’ailleurs, un épisode constitutif a dû conforter le groupe dans cette voie contestataire. Lors d’un concert dans le Michigan de 2001, le bassiste Shavo Odadjian aurait été agressé par des membres de la sécurité en raison de ses origines. Le groupe revendiquera ses racines malgré le racisme. Son identité forte va jusqu’à innerver musicalement SOAD dans des hybridations sonores puisées non seulement dans les Beatles, Frank Zappa et Van Halen mais aussi dans la musique orientale. On entend sur certains titres des sitars, des ouds, des mandolines aux côtés d’instruments occidentaux.

Elodie Sawicz, attachée de presse musique qui s’occupe de nombreux projets comme le festival metal Motocultor, note : « System Of A Down appartient à cette époque où des ponts se créaient entre rock et hip-hop. On parlait alors de fusion, de crossovers. On était moins enfermés dans des niches. SOAD nous rappelle que les musiques s’enrichissent quand elles se nourrissent les unes des autres. » Versatile, le chanteur du groupe va d’ailleurs se produire avec les Rita Mitsouko sur un morceau tandis que le bassiste fondera Achozen, un projet de hip-hop expérimental avec RZA (Wu-Tang Clan.)

Sans doute, parce qu’ils viennent d’une minorité, le quatuor va se placer toute sa carrière du côté des oppressés. Le groupe a toujours mis en lumière son attachement à la communauté arménienne, mais a aussi abordé dans ses paroles des thèmes comme la violence faite aux femmes, les débordements de la police, les dangers de la télévision, le système carcéral, les sommes dépensées par le gouvernement américain en armes. Même si l’on déplore la présence de paroles archi sexistes sur Toxicity, on a pu entendre la formation scander des paroles galvanisantes comme : « Pourquoi les présidents ne combattent pas la guerre ? Pourquoi envoient-ils toujours les pauvres ? »

« SOAD nous rappelle que les musiques s’enrichissent quand elles se nourrissent les unes des autres. »

Aujourd’hui, Lana Del Rey se prend une volée de bois vert quand elle annonce, sourde aux problèmes du monde, la publication de son album pendant les dernières élections américaines. Et de nombreux groupes prennent position pour le mouvement Black Lives Matter. Mais dans les années 2000, l’engagement de System faisait office de précurseur. À présent, pour System, les choses sont un peu différentes. Ne parvenant pas à s’entendre suffisamment pour enregistrer un nouveau disque, le groupe est en proie à des tensions financières, artistiques et politiques. Le batteur, John Dolmayan, soutenait Trump cette année alors que Serj Tankian demandait sa démission. Mais le groupe a tout de même tenu à se réunir sous une seule et même bannière pour sortir en début de mois deux nouveaux morceaux à propos de la guerre qui éclate en Artsakh et en Arménie : « Ensemble, en tant que System Of A Down, nous venons de sortir de nouvelles musiques pour la première fois depuis 15 ans, expliquaient-ils sur Facebook. Le temps de le faire est venu, car ensemble, nous avons quelque chose d’extrêmement important à dire en tant que voix unifiée. »

15 ans après leurs dernières nouvelles discographiques, ces deux titres verront leurs bénéfices reversés à une association humanitaire venant en aide aux arméniens impactés par le conflit dans le Haut-Karabakh. Et c’est peut-être à ça qu’on reconnaît les vrais artistes. Ils savent mettre leur égo de côté pour un idéal bien plus grand qu’eux.

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