Comment La Machine du Moulin Rouge est devenue incontournable
Cette année, La Machine du Moulin Rouge fête ses 10 ans avec six jours de fêtes. Une bonne occasion de faire le bilan de ce club majeur de la nuit parisienne. Marc Resplandy, directeur artistique du lieu depuis 2012, s’est plié à l’exercice : il nous raconte son parcours, ses choix artistiques au sein de La Machine, et sa vision de la scène électronique musicale.
Te souviens-tu de ta première soirée programmée à La Machine ?
Avant de rejoindre officiellement la maison, j’opérais au sein du collectif Sonotown. Avec eux, on avait fait à La Machine la release party de l’album de Clark début 2012, avec Andy Stott, qui avait plu à l’équipe de La Machine. On a fini par les rejoindre en septembre de la même année, mais je ne me souviens plus vraiment de ma première programmation… Je me rappelle d’une série de soirées en collaboration avec Bleep, la plateforme digitale de Warp Records, avec Steffi, Karenn, Ben UFO, Objekt, The Analogue Cops ou encore Lucy. En rejoignant l’équipe, on a amené notre penchant pour l’électronique anglaise ou allemande, et on était défricheurs : dès le début, on faisait jouer des artistes qu’on ne voyait peu ou pas à Paris.
Quel était le public à ce moment-là ?
Plus ou moins celui d’aujourd’hui. Le public qu’on visait, c’était les nerds de la musique mais qui font quand même la fête. On n’était pas dans un esprit purement club où tu viens te défouler : il y avait toujours un peu de recherche dans nos programmations.
« Les Anglais ont 10, 15 ans d’avance sur nous. »
À cette époque, tu devais avoir une certaine vision de ton travail en tant que directeur artistique… Qu’as-tu voulu construire ?
Je ne viens pas de Paris, j’y suis arrivé seulement deux ans avant de bosser à La Machine. Je n’étais donc pas influencé par les différentes écoles : Rex, Social Club, les soirées Open House, etc… Je me suis plutôt construit sur ce que j’ai vu en vivant à Barcelone, Londres, ou en allant à Berlin. Mon inspiration venait de là. Les Anglais, eux, ont 10, 15 ans d’avance sur nous – et ils les auront toujours – et je me suis inspiré de leur cohérence visuelle et dans le ton. Tu ne peux pas faire une bonne soirée sans un bon visuel. Tu donnes un ton, tu arrives à communiquer ton envie et le public le ressent. Aussi, quand je travaille avec le community manager, Alexandre Maurice, qui écrit tous les textes, je trouve que c’est important de parler de musique : dire qu’on a booké tel artiste parce qu’on a aimé ce qu’il fait, qu’il faut écouter tel disque parce que c’est une référence, etc. Je pense que c’est important d’expliquer ce qu’on fait. Sans trop intellectualiser non plus, c’est une fête avant tout.
Ces choix ont-ils payé ?
Ce n’était pas le pari le plus évident ; c’était même le plus risqué. On a souvent perdu de l’argent sur des line-up trop pointus pour l’époque. Mais ça a contribué à la notoriété du club, comme lorsqu’on a fait six heures de live techno en une soirée, comme lorsqu’on a fait six heures de live techno en une soirée avec les labels Dement3d et Northern Electronics. On a fait un peu de tout, et je trouve que c’est une force : une soirée avec 30 MC de hip-hop, puis la fois d’après des danseurs de house, une soirée bass music, un concert de métal ou une soirée queer. On a les moyens de prendre des risques, et c’est ce qu’il faut faire. Mais on a aussi une obligation de résultat financier : il faut programmer un ou deux gros noms qui vont pouvoir amener suffisamment d’argent dans les caisses pour pouvoir faire des choses plus pointues ; et à force de faire du pointu, les gens comprennent le délire dans lequel tu es. Le bouche-à-oreille fonctionne, les gens reviennent. Développer un public sur ces musiques de niche, ça prend énormément de temps, surtout quand tu as une offre variée comme chez nous. Mais on augmente la fréquentation chaque année, je pense que c’est un bon indicateur.
« On a les moyens de prendre des risques, et c’est ce qu’il faut faire. Mais on a aussi une obligation de résultat financier. »
Depuis ce poste, tu as vu évoluer la scène électronique parisienne. Qu’est-ce que t’y as observé ?
Les collectifs ont explosé. Il y a du bon et du moins bon, beaucoup s’engouffrent de le même type d’évènement, avec le même line-up. Je pense que c’est aussi la manne financière que ces événements représentent qui intéresse certaines personnes. C’est à l’image de ce que devient la scène au niveau mondial : très marketée, très industrialisée. Après, on ne va pas se plaindre, il se passe plein de choses, notamment en terme de création musicale. J’aime bien le label BFDM (Pilotwings, J-Zbel…), ou ce que fait Crystallmess actuellement. Des festivals intéressants se sont montés comme le Positive Education, Visions, ou le Bon Air à Marseille. Et les vieilles maisons comme Nuits Sonores ou Astropolis continuent de bien fonctionner et proposent des choses intéressantes.
J’ai également l’impression que ce qui était avant très séparé ne l’est plus. Maintenant, dans les DJ sets, il y a de la trap, de la house, de la techno, du dancehall, ce mélange devient la norme. Ce n’était pas le cas en France il y a encore trois ou quatre ans. Même jouer de la musique mainstream dans les clubs cool se fait aussi, en passant du Aya Nakamura ou du Jul qui fédèrent plein d’artistes de la scène indé. Je trouve ça bien. On s’est débarrassés de tous ces vieux débats, comme « vinyle ou mp3 », « techno ou house »… Même si des anciens râlent encore un peu, ce que je conçois : parfois, je ne comprends pas tout moi-même.
Pour les 10 ans de La Machine, vous organisez tout une série d’événements sur six jours : quels ont été les envies et les défis pour célébrer un lieu aussi identifié et historique ?
Ça n’a pas été qu’une histoire de programmation clubbing. Par exemple, une grande partie de l’équipe a bossé sur le banquet, le mardi 21 janvier. Il y a beaucoup d’amateurs de bouffe et de bons vins dans l’équipe et on avait vraiment envie de faire un évènement non-musical, qui s’éloigne de ce qu’on fait habituellement ici. On a mis une cuisine sur la scène et nous étions une centaine à manger sur le dancefloor, avec des invités et des places vendues au public. L’idée générale est de faire quelque chose à notre image, sans forcément se mettre la pression sur les questions de remplissage. On voulait aussi faire un postulat : nous, aujourd’hui, c’est cette musique là qu’on aime, le jazz londonien, la techno, la bass music, des trucs un peu krautrock, le hip-hop… Le but de ces dix ans, c’était de donner le ton sur ce qu’on veut faire artistiquement les prochains mois. Mais mes goûts changent extrêmement vite, tout va vite.
« Maintenant, dans les DJ sets, il y a de la trap, de la house, de la techno, ce mélange devient la norme. »
Comment as-tu pensé ton line-up ?
Sur le vendredi, j’avais envie de montrer cette fusion des genres avec le live de Barker, les sets foisonnants de CEM et Teki Latex, ou la dark wave de De Ambassade (le concert gratuit d’ailleurs !) Je voulais aussi les mettre en relation avec les jeunes pousses de la scène française comme Bob Sleigh, Carin Kelly ou Christian Coiffure.
Pour le samedi, je voulais réaliser ma vision de ce que pourrait être une block party dans les rues de Pigalle en plein été. Mais on est en janvier, donc ce sera à l’intérieur (rires). Je suis assez synesthète dans la musique : je vois le vendredi très violet, et du jaune-orangé pour le samedi. Et ces couleurs correspondent à des musiques. Il y a un fil rouge dans chaque soirée.
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