Chronique : Darkside – Psychic
“Album pointu”, “éloge de la lenteur”, “musique sérieuse”, voire “intellectuelle”. Les premiers commentaires lus et entendus à propos du premier album de Darkside, le projet de Nicolas Jaar et Dave Harrington, ne donnent pas envie de sauter au plafond. Pour le quidam moyen rodé à la presse musicale, tous les signaux sont au rouge. De lui-même, il décodera. “Pointu” = élitiste, “lent” = mou, “sérieux” = chiant, et “intellectuel” = intellectuel. Pas besoin de lui dire plus. Il aura autant envie d’écouter cet album que de passer une soirée à écouter de l’ambient en compagnie d’une troupe de mimes. Qu’on le rassure tout de suite, cet album mérite mieux que ce descriptif austère, qui n’a pourtant rien d’incongru.
Car oui, Psychic est un album plutôt pointu – on se doute bien qu’il a peu de chances de séduire le grand public -, oui, la plupart des morceaux tournent sur un tempo assez lent, oui, il dégage quelque chose de sérieux – ce n’est pas une franche pantalonnade – et oui, même si on ne sait pas trop ce que sous-entend le terme “musique intellectuelle”, on sent bien qu’on ne doit pas cette musique à deux gamins débiles dont le cerveau a grillé par excès de MDMA. D’autant que Nicolas Jaar, producteur house réputé pour ses morceaux exigeants, et Dave Harrington, guitariste qu’on connaît moins bien, n’ont pas rendu les choses plus faciles. Textures rêches, pistes émaillées de bizarreries sonores qui vous donnent l’impression que vos enceintes sont en train de flancher, longues transitions qui soufflent et qui craquèlent, morceaux qui tardent à se dévoiler, Psychic n’est pas un disque qui s’offre sans retenue au premier venu. Il faut un peu de temps pour l’apprivoiser et saisir toute la qualité et l’audace de ce projet. On en avait eu un avant-goût cet été avec Daftside, premier fait d’armes marquant du duo, qui s’amusait à remixer le dernier album des Daft Punk de façon plus sombre, plus âpre et moins funky, mais là, on passe dans une autre dimension. Disque nocturne et solitaire, Psychic ne s’inscrit dans aucune tendance actuelle, ne fait aucun compromis et ne ressemble en fait pas à grand-chose d’autre, sorte de blues cosmique et élimé où s’entremêlent grooves hypnotiques, nappes panoramiques et slides de guitares sur papier glacé, et où l’on croit croiser Lindstrøm, Chris Rea, Phuture et Pink Floyd (Darkside, évidemment).
Par Gérome Darmendrail
Psychic (Other People/Matador/Beggars/Wagram)