C’est officiel, Jacques est incapable d’être heureux sans rien faire
Après deux ans de (presque) silence, le génial artiste français Jacques a refait surface vendredi dernier via Instagram. Dans un post, il annonce à sa manière que sa retraite est sur le point de prendre fin. Il aura tout essayé, mais non, Jacques est incapable d’être heureux sans rien faire. Après environ trois ans très prolifiques (de 2015 à 2017) où nous avons eu l’impression que l’artiste était de toutes les fêtes, Jacques a coupé le cordon et déménagé pour le Maroc. Une décision en partie motivée par le malheureux cambriolage de son studio le jour même de son anniversaire. Il y verra là un signe de la vie.
Maintenant, regardons les dates. Aujourd’hui nous sommes le 18 décembre 2019, deux ans jour pour jour après ce cambriolage et donc, logiquement, le jour de ses 28 ans. Une date clin d’œil pour partager cette vidéo qui n’annonce pas d’album à venir, pas de tournée mondiale ni de retour en grande pompe, mais juste une envie de lier l’acte à la parole en illustrant les challenges personnels qu’il s’était fixés durant ces deux années au calme : “Se libérer de la gravité, accéder à de nouveaux univers grâce à la créativité, s’immuniser de la flatterie, savoir réfléchir contre soi-même et grâce à tout ça, arrêter d’alimenter les situations que l’on subit”, précise dans un communiqué son label manager Etienne Piketty de Pain Surprises.
Contacté par mail depuis sa villa au Maroc, Jacques a répondu à toutes nos questions, expliqué davantage le contexte de cette vidéo (dont les plus fins d’entre vous auront reconnu la bande-son de son travail pour l’exposition « Electro » à la Philharmonie de Paris), parlé de tout ce qu’il a fait durant ces deux années sous les radars et ce qui se profile maintenant pour lui, et même tiré des leçons façon Micromegas de Voltaire sur l’industrie de la musique et sa scène électronique. Il aurait été plus aisé de raccourcir un peu mais vous comprendrez vite qu’il n’y a rien à jeter dans ses réponses. Voici donc en version intégrale notre interview avec Jacques.
Après deux ans de retraite spirituelle, Jacques fait le point
Ça fait deux ans que tu es resté sous les radars mais ce n’est pas pour autant que tu n’as rien fait du tout. Qu’est-ce qui t’a occupé pendant tout ce temps ?
Alors, dans l’ordre : j’ai déménagé au Maroc. J’ai acheté des meubles pour remplir la maison sinon ça fait vide. J’ai installé mon studio. J’ai fait du synthé pour la première fois avec le Moog Voyager que m’a offert Agoria en lot de consolation post-cambriolage. J’ai maté plein de tutoriels de mixage son. J’ai fait beaucoup de son sans chercher à faire de la musique. J’ai terminé une production pour Basile di Manski, “Before The World”, ainsi qu’un EP en collaboration avec Superpoze. J’ai participé à l’accouchement de l’album bien nommé Maison de Salut C’est Cool. J’ai écouté masse de musique classique et inspecté les partitions en MIDI pour voir les notes se jouer. J’ai composé plein de démos assez fun qui ne sortiront sans doute jamais. J’ai co-composé en scred avec Flavien Berger la musique de la pub LEGO “Rebuild the world”. J’ai aussi fait une vidéo pour Gucci avec Cloé Bailly et je la trouve super ! J’ai aussi fait la musique du défilé Gucci 2020. J’ai participé à la sortie du documentaire qui parle de mes recherches sur le Vortex. J’ai fait plein de sons. J’ai joué en B2B avec Superpoze au Worldwide Festival. J’ai été en Argentine avec les mecs de YAELTEX pour fabriquer des contrôleurs MIDI pour mon futur set-up d’improvisation ultime. J’ai fabriqué l’installation sonore qu’on voit dans la vidéo “Hoohoohoo Hahaha” avec Valentin Guillon et Theophile Boutin. J’ai commencé à digger le logiciel After Effects. Je me suis fait posé deux implants et deux couronnes. Mais contrairement à Miel de Montagne, je n’ai toujours pas passé le permis B.
““Hoohoohoo Hahaha”, c’est un peu comme un rêve à moitié cauchemar que je fais quand il y a trop de lumière, quand j’ai froid ou envie de pisser, mais pas suffisamment pour que ça me réveille.”
Tu veux nous en dire plus sur cette vidéo ? Son contexte ? Comment tu la vois, toi, personnellement ?
D’un coté, j’avais ce système de percuteurs qui permet de taper n’importe quoi à distance, à partir d’une partition MIDI écrite dans l’ordinateur. C’était les vestiges de l’expo Eurythmie qu’on a faite avec Valentin Guillon à Lyon pour la biennale. Et on avait toujours eu envie de refaire un truc ensemble avec ces percuteurs. De l’autre coté, j’avais envie de refaire une vidéo avec Théophile Boutin, l’homme à l’origine de ma vidéo “Phonochose #1” (qui n’aura jamais vu de #2 : le projet a été avorté parce qu’on avait mis la barre un peu trop haut et elle s’est envolée). Et puis de l’autre coté, je me suis mis à After Effects, un logiciel qui permet de faire des compositions vidéos avec des effets spéciaux et tout. Voilà, ça c’est pour le contexte. L’équipe de l’exposition « Electro » de la Philharmonie de Paris a contacté ma team pour que je participe à l’exposition et ça a été l’occasion d’inviter Val et Theo au Maroc pour faire une nouvelle vidéo. Ce qu’on a rendu pour cette expo aura finalement été un work in progress de la vidéo « Hoohoohoo Hahaha » qui vient de sortir sur le Net. « Hoohoohoo Hahaha », c’est un peu comme un rêve à moitié cauchemar que je fais quand il y a trop de lumière, quand j’ai froid ou envie de pisser, mais pas suffisamment pour que ça me réveille. Je rêve que quelque chose d’ultra important devrait changer, mais rien de ce que je fais n’arrive à le changer. J’essaye de prévenir les gens mais tout le monde s’en fout de moi, je parle pas la bonne langue, ils ne m’entendent pas, comme un singe en cage qui essaye de prévenir les humains d’un cataclysme qu’il ressent avec une intuition animale intraduisible. Le morceau, je l’ai composé tel qu’il est dans sa version audio, j’ai conscience qu’il est vraiment spécial, mais malgré le fait qu’il aille de pair avec la vidéo, je le vois vraiment comme un morceau de musique instrumental qui serait le premier d’un genre de musique super imprévisible et inconfortable, mais bourré d’émotions et de narration.
Cette vidéo sort le jour de ton anniversaire ainsi qu’à la date anniversaire du cambriolage de ton studio dans lequel tu as perdu beaucoup (pour ne pas dire tout) de ton matériel. Doit-on y voir là un message de persévérance ?
C’est vrai que le fait de m’être fait cambriolé mon studio le soir de mon anniversaire, c’était une espèce de blague géniale comme la vie sait si bien me les faire. Mais là, c’est juste moi et mon manager qui avons décidé de sortir ça le 18 pour le clin d’œil. Et puis en même temps ça tombait bien parce que le 17 ça faisait un peu tôt et que le 19 c’était un tout petit peu trop tard. Si j’avais été frappé par la maladie ou un truc vraiment grave, ça aurait effectivement pu être un message de persévérance. Là, je dirais plutôt que c’est un clin d’œil à la “cyclicité” de la vie.
“Je n’ai jamais eu aussi peu besoin de revenir que depuis que je suis parti. Et c’est justement ça qui me fait revenir.”
Est-ce que cette vidéo annoncerait un “retour de Jacques” sur la scène musicale française ? D’ailleurs, tu l’exprimes dans ton post Instagram, mais est-ce qu’on peut parler d’un « besoin de revenir » ?
Je n’ai jamais eu aussi peu besoin de revenir que depuis que je suis parti. Et c’est justement ça qui me fait revenir. Tu sais, c’est comme lorsque t’arrêtes de fumer pendant un mois et tu dis “ouais, c’est bon je suis pas dépendant”, en t’allumant une clope. C’est exactement pareil. Ce qui me dérange ce n’est pas de participer au game, ce qui me dérange c’est d’en être habitué, car lorsque c’est par habitude que je fais des concerts, de la musique, de la promo, etc… c’est là que je fais les trucs les moins bons. Lorsque je décide d’arrêter, alors je peux être sûr que les seuls trucs que je vais continuer à faire sont ceux qui s’imposent à mon esprit comme étant réellement importants pour moi. Maintenant que je me connais davantage, je dirais que j’essaye de tuer le besoin de faire des projets, pour ne revenir qu’avec les projets capables de me ramener d’aussi loin d’où je suis parti.
Si lors de ta retraite tu recherchais la sérénité d’esprit, que cherches-tu à présent ?
Même si je participe volontiers au chapitrage de ma vie pour arranger une narration compréhensible par tous, ce n’est pas aussi noir ou blanc. La sérénité d’esprit est plutôt le levier qui permet d’arrêter de courir après quelque chose d’extérieur à moi, et c’est en ça que, retraite ou pas retraite, je continuerai à chaque instant de la rechercher. Sinon, à un niveau plus concret, j’aimerais beaucoup réussir à faire de la musique qui s’écoute. Pour l’instant je crois que j’ai été bon pour bicrave mes bruits d’objets mais maintenant il est temps pour moi de faire de la musique musicale. Un truc qui s’écoute pour être heureux.
“J’aimerais beaucoup réussir à faire de la musique qui s’écoute. Il est temps pour moi de faire de la musique musicale.”
Dans ton post, tu parles de deadlines et de démos. Tu peux nous en dire plus sur ce qui va arriver ?
Même moi je n’en sais pas trop. Mais je sais que j’ai quelques moments à ne pas louper pendant lesquels l’équipe de mon label est motivée pour sortir des musiques à moi. Je vais continuer à faire de l’After Effects et de sons et puis on verra bien ce qui sort. En tout cas ce qui est sûr, c’est que je serai le premier au courant ! Je reste à l’affût de l’inspiration, je vous tiendrai au jus.
Habiter au Maroc t’a sûrement permis d’avoir une vision personnelle du monde de la musique en France, de prendre du recul sur la scène électronique. Si je te demandais de te prendre pour Micromegas, quelles seraient tes remarques ?
Ok, je tente le mode Micromegas.
La vie sur Terre est faite de masculin et de féminin.
Pareillement, les habitants de la Terre sont faits d’un contenant (leur corps) et d’un contenu (leur esprit).
Ils communiquent le contenu de leur esprit à travers des signaux qui – dans le cadre de la musique électronique – prennent corps à travers des morceaux, vidéo-clips, concerts.
À l’image du malheureux déséquilibre qui frappe actuellement les habitants de la Terre en faveur du masculin, ne laissant pas de place à la représentation du féminin, les signaux musicaux émis et perçus par les habitants de la Terre sont eux aussi déséquilibrés en faveur du contenant qui ne laisse plus assez de place à la représentation d’un contenu.
Bref, c’est ainsi que fleurissent d’innombrables projets de musique dont l’image est plus importante que le message, avec des clips qui font la promo du single, qui lui-même fait la promo du concert, qui lui-même fait la promo du compte Instagram, qui fait la promo du clip et ainsi de suite… Et le frisson premier, le signal humain derrière tout ça, finit étouffé sous le poids de l’esthétisme au lieu d’en être la raison. Les braves artistes arrivent sur scène comme les hommes-sandwich d’une marque qui ne leur appartient même plus, et performent avec leur ordinateur en pilote automatique, un concert non pas de MAO [Musique Assistée par Ordinateur, ndlr] mais de MAH : Musique Assistée par l’Homme ! De pauvres licornes dont on a coupé la corne pour qu’elles puissent participer à la course de cheval. Organisons plutôt des courses de licornes. (Pour info, j’expose volontairement ma réalité de façon extrême afin que vous ayez un peu de marge pour placer la vôtre là où vous le souhaitez.)
Tu as cette capacité à expliquer tes projets d’une manière absolument sincère, directe et proche des gens. Un vrai “ton Jacques” qui exprime ton processus créatif en temps réel. Ça fait du bien dans une industrie musicale qui réfléchit peut-être un peu trop au côté “marketing” du message à diffuser. Ça paraît simple et évident quand on te lit qu’on se demande pourquoi pas plus d’artistes le font aussi. Pour toi, c’est naturel ?
C’est de l’hygiène. J’essaye d’avoir un minimum de préjugés sur les gens. Ce qui fait que lorsque je rencontre quelqu’un dans la vie, c’est un ami potentiel. Avec mes amis, je m’exprime normalement, comme tout le monde, en toute détente, pas de masque, pas de faux-semblant. Alors pourquoi est-ce que je ferais ça avec mes amis potentiels ? On a mis en place une infrastructure super lourde qui nous permet de tous êtres connectés, alors j’en profite pour donner ce qu’il y a de plus sincère en moi. Et ça commence par ne pas poster toutes les deux secondes, tout simplement parce que j’ai pas un truc à dire toutes les deux secondes. C’est vrai qu’il y a une tendance globale à garder ses recettes pour soi, ne montrer que les victoires, poster comme si la vie était une série de succès. Selon moi, c’est pas une bonne stratégie marketing parce que finalement c’est un peu comme prendre ses followers pour des cons. La plupart des gens surjouent leur succès, et quand moi je débarque en écrivant un joli truc que je pense vraiment, la majorité trouve que je joue un rôle. Drôle d’époque.