Cera Khin : « I play whatever the f*ck I want ! Je suis l’inverse d’une puriste » đïž
Les 8 et 9 juillet 2023, on est allĂ© fĂȘter les dix ans de Peacock Society au Parc de Choisy. Entre deux pas de danse, une tournĂ©e au bar et une discussion lunaire avec des festivaliers on y a fait une rencontre intĂ©ressante : Cera Khin. La tornade tunisienne, figure de proue dâune nouvelle scĂšne techno nerveuse et mouvementĂ©e, nous a accordĂ© une interview juste avant dâaller retourner la scĂšne MIRROR du festival.Â
Il nây en nâa pas deux comme Cera Khin. Lunettes de soleil vissĂ©es, coiffure millimĂ©trĂ©e et outfit âon fleekâ la DJ est prĂȘte Ă en dĂ©coudre. Et ça, le public lâavait bien anticipĂ©. Pendant une heure et demie, elle a enchaĂźnĂ© les drops entre techno, hard music, rythmiques core, psytrance et tracks groovy sans jamais sâarrĂȘter de danser. Aucun rĂ©pit. « I play whatever the f*ck I want » nous confiait-elle un peu plus tĂŽt. Cera Khin fait partie de ces DJs qui sâĂ©coutent. Ceux qui ne sâassoient pas face Ă une industrie musicale unifiĂ©e, incolore, qui repoussent les barriĂšres des genres et qui nâhĂ©sitent pas Ă ĂȘtre eux-mĂȘmes. Et encore plus face aux critiques. Câest donc sans langue de bois que Cera Khin nous a parlĂ© de ses dĂ©buts, de son label LazyTapes, de son style musical sans concession, ou encore de son engagement pour la santĂ© mentale dans le milieu de la techno. Rencontre.
à lire également sur Tsugi.fr : Live report : Peacock Society 2023, vaincre le feu par le feu
Aujourdâhui tu es DJ, productrice, boss du label LazyTapes⊠Peux-tu nous raconter ta rencontre avec la musique Ă©lectronique ?Â
La premiĂšre fois que jâai Ă©coutĂ© de la musique Ă©lectronique je devais avoir quinze, seize ans. Quand je vivais en Tunisie, jâavais un groupe dâami(e)s qui Ă©taient Ă fond dans les musiques Ă©lectroniques. Alors, ils mâont emmenĂ©e en club quand jâĂ©tais mineure -oui, je suis rentrĂ©e avec une fausse carte dâidentitĂ© (rires). CâĂ©tait le Calypso Ă Hammamet et la tĂȘte dâaffiche Ă©tait Carl Cox. Ă cette pĂ©riode, je ne connaissais rien de la musique Ă©lectronique, câĂ©tait la premiĂšre fois que je voyais un DJ-set. Jâai aussi beaucoup Ă©coutĂ© Radiohead. Je me souviens quâils avaient quand mĂȘme des sonoritĂ©s Ă©lectroniques dans leurs inspirations. AprĂšs jâai diggĂ© de plus en plus et jâai fini par rencontrer la techno ! Bien sĂ»r, ça a Ă©tĂ© un coup de foudre (rires).Â
Au fait, ça vient dâoĂč Cera Khin ? Est-elle diffĂ©rente de ta vĂ©ritable identitĂ© ? Est-ce un personnage que tu as crĂ©Ă© ?
En fait câest mon vrai nom ! Jâai juste changĂ© les lettres et raccourci les mots. Quand je lâai crĂ©Ă©, jamais je nâaurais pensĂ© que ça deviendrait mon nom dâartiste. Ă lâĂ©poque jâavais simplement une page SoundCloud se nommant âCera Khinâ sur laquelle je re-postais les tracks que jâaimais. Quand jâai commencĂ© Ă mixer et Ă produire je lâai trouvĂ© cool, alors je lâai gardĂ© (rires). Mais ce nom câest littĂ©ralement moi. Tout le monde mâappelle Cera maintenant, plus personne ne mâappelle Cerine. Â
Tu te souviens de ton premier gig ?
Je me rappelle mĂȘme de la date exacte. CâĂ©tait le 23 mars 2016. Câest prĂ©cis (rires). CâĂ©tait au Paloma Bar Ă Berlin, quand jây vivais. Câest un tout petit bar, intimiste, avec une ambiance Ă la cool. Jây ai jouĂ© un DJ-set avec des vinyles dans un style assez diffĂ©rent de ce que je mixe aujourdâhui.Â
Quand on Ă©coute tes sets, on perçoit une influence techno pure et dure mais on sent que tu ne te cantonnes pas Ă un style. Par exemple, jâai pu tâentendre passer des tracks ghetto tech’, ou des rythmiques plus groovy⊠Est-ce que ça a toujours Ă©tĂ© le cas ?Â
Exactement. DĂšs le dĂ©but de ma carriĂšre je me suis dit « I play whatever the f*ck I want ! » Je suis lâinverse dâune puriste. Jâaime explorer et dĂ©couvrir diffĂ©rentes sonoritĂ©s puis crĂ©er une histoire entre elles.
Dâaccord, je joue beaucoup de techno, mais il y a plusieurs techno. Mes sets dĂ©pendent aussi de mon humeur, de la foule, de lâambiance⊠Parfois, les gens veulent de la hard music alors je mâadapte. Ou bien, je ressens quâils veulent des tracks un peu plus bouncy, groovy⊠Et jây ajoute ma touche. Jâaime aussi les morceaux trippy : psytechno, psytrance⊠Jâadore passer dâun genre Ă lâautre mais bien sĂ»r, Ă la fin du set, la foule doit avoir entendu une histoire. Cela doit rester cohĂ©rent.
Dâailleurs, est-ce quâil y a un morceau que tu adorerais jouer mais que tu nâarrives jamais Ă mixer ?
Câest difficile⊠En gĂ©nĂ©ral je nâai jamais de problĂšme pour jouer un track. Si jâai un morceau en tĂȘte, je le passe. Je fais mon maximum. Si je suis vraiment excitĂ©e Ă lâidĂ©e de le mixer et mĂȘme sâil ne va pas avec le reste de mon set, je trouve un moyen de le faire matcher avec lâambiance, la foule, la fĂȘte⊠Et puis, qui a inventĂ© la rĂšgle qui dit quâun track ne va pas avec un autre ? On sâen fout (rires).Â
à lire également sur Tsugi.fr : Deux DJs sur trois ne joueraient pas leurs tracks préférés pendant leurs sets
Au-delĂ de la musique, tu tiens une page Instagram nommĂ©e Techno Mental Health : tu y crĂ©es du contenu de coaching pour prĂ©server la santĂ© mentale des artistes dans lâindustrie de la techno. Comment lâidĂ©e est-elle venue ?Â
CâĂ©tait pendant le confinement. Dans la scĂšne musicale, tout le monde Ă©tait stressĂ© Ă cette pĂ©riode. On pensait que personne nâallait pouvoir rejouer⊠à ce moment-lĂ , jâavais pas mal de temps pour moi et pour ma rĂ©flexion personnelle. Jâai donc commencĂ© Ă Ă©tudier, lire et suivre des cours en ligne sur la psychologie et la psychothĂ©rapie. Et un jour je me suis levĂ©e avec lâenvie de crĂ©er une page ayant pour but de partager tout ce que jâai appris.
RĂ©guliĂšrement, jây postais du contenu et câĂ©tait un peu ma propre psychothĂ©rapie (rires). Je mâanalysais moi mĂȘme pour essayer de me comprendre et de comprendre les gens. Jâai eu beaucoup de retour positifs Ă propos de cette page. JâĂ©tais trĂšs contente. Ă ce moment lĂ quand je ne pouvais pas mixer jâavais un peu perdu ma raison dâĂȘtre. CrĂ©er cette page mâa permise de repartager quelque chose avec les gens. Puis, sans musique pendant de longs mois, ça mâa aidĂ©e Ă prĂ©parer mon retour sur scĂšne. Ătre DJ, ce nâest pas aussi facile que ce que lâon voit sur Instagram (rires). Il y a des hauts et des bas. Je voulais ĂȘtre prĂȘte mentalement.Â
Voir cette publication sur Instagram
Quand tu es derriĂšre un booth, on te voit beaucoup danser. Peut-on dire quâĂȘtre derriĂšre les platines est une safe place pour toi ?
Oui ! Je crois que je deviens agoraphobe et je suis un peu claustrophobe. Jâai besoin dâespace, et câest ce que je retrouve dans un booth. Des fois jâadore quand les gens sont prĂšs de moi, mais ça dĂ©pend de lâambiance. Parfois câest un peu trop intense (rires). Quand je mixe, je sens que ces sentiments dâagoraphobie et de claustrophobie partent. Dans un festival câest difficile dâaller dans la foule, mais quand je suis devant elle je me sens Ă lâaise. Le DJ-booth est ma safe place. Et jâadore y danser. Jâai besoin de bouger mon corps quand je mixe pour ressentir la musique⊠Et puis ça permet de transmettre une bonne Ă©nergie au public.Â
Voir cette publication sur Instagram
Qu’aimerais-tu rĂ©pondre Ă ceux qui disent que tu danses plus que tu ne mixes ?Â
Je mâen fous. Je ne rĂ©ponds rien parce que je sais ce que je fais, jâaime ce que je fais, je me sens bien… Dans tout les cas, il y aura toujours des critiques. Si je ne danse pas on va dire : « Pourquoi elle ne danse pas ? » Si je danse, on va dire : « Oh regardez, elle danse ! » Les gens font toujours des commentaires nĂ©gatifs simplement pour attirer mon attention. Alors je ne rĂ©ponds tout simplement pas. Ciao (rires) !
Qu’elle est la suite pour toi ?Â
En ce moment, je travaille sur mon label LazyTapes ! On va sortir de nouveaux disques prochainement dont mes propres productions -mais je ne peux pas dire quand exactement (rires). Il y aura plein de mĂ©langes de styles : jâincorpore la techno avec des tracks groovy, ghetto, psytrance⊠Tout ce qui est Ă©picĂ© quoi !Â