Caché dans l’hôtel Costes, un studio secret perpétue l’héritage des célèbres compilations
Dans les hauteurs de l’hôtel Costes, ses cinq étoiles et ses compiles qui ont fait rayonner la musique électronique française aux quatre coins du monde, les Masomenos (le duo formé par le couple Adrien de Maublanc et Joan Costes) ont installé un studio confidentiel dans une des chambres, où ils invitent des musiciens de tous bords pour des jam-sessions dont profitent parfois les clients, et qui terminent sur la série de disques Hôtel Costes presents… Studio HC, véritable prolongation des légendaires compilations lounge de Stéphane Pompougnac Hôtel Costes de la fin des années 90. Suffisant pour relancer le mythe ?
Le rendez-vous est fixé devant une palissade, rue du Mont-Thabor, derrière laquelle s’agite une poignée d’ouvriers en combis fluo et qui cache l’entrée de service de l’hôtel Costes, en pleins travaux d’agrandissement. Après avoir passé quelques couloirs aux murs décapés en esquivant les pots de peinture, un ascenseur couvert de Placo nous emmène vers la chambre n°— qui abrite le salon musical le plus cool de Paris. La porte s’ouvre sur une vaste pièce lumineuse au milieu de laquelle trône un piano noir Yamaha, entouré d’une guitare électrique accrochée au mur et d’une acoustique sur son trépied. Au fond, épié par un gigantesque masque multicolore (rescapé de l’artwork de leur album Totem & Tabou), un DJ booth tout équipé, platines vinyles Technics et paire de Pioneer DJ. Mais c’est dans la petite chambre à l’étage que se trouve le cœur du studio de Masomenos, avec table de mixage XXL, séquenceur, sampleur et tout l’attirail électronique, ainsi qu’un impressionnant synthé modulaire qui occupe une bonne partie de la surface.
C’est ici que, depuis trois ans, le duo parisien travaille sur son dernier projet, la série Hôtel Costes presents… Studio HC, une collection de disques enregistrés à l’hôtel. Pourtant, quand ils ont posé leurs affaires dans cette partie du bâtiment encore inoccupée, ils ne pensaient pas rester plus de quelques mois. Mais voyant les travaux s’éterniser, ils ont décidé de saisir leur chance. D’abord en installant symboliquement un piano. “Après avoir fait un album avec un Steinway, je ne pouvais plus me contenter du piano d’Ableton, raconte Adrien. L’idée était de donner du cachet aux disques et de l’ampleur au studio. Et en arrivant en bas pour réceptionner le piano, je suis tombé sur le père de Joan ! On y a été un peu au culot mais il s’est rendu compte qu’on ne plaisantait pas. J’avais aussi acheté une énorme tape machine ; en la montant dans la chambre, j’espérais secrètement ne jamais avoir à la redescendre !”
Après une arrivée sur la pointe des pieds, ils décident de casser un mur pour agrandir la chambre du bas, puis d’équiper la pièce de l’étage, pour finir par transformer tout l’espace en un playground de rêve pour musiciens. Grâce au travail acharné de l’ingénieur du son et superviseur technique Moritz Capellmann, qui a géré câbles et soudures, toutes les pièces et instruments sont reliés. De là-haut, Adrien peut contrôler et diffuser ce qu’il enregistre partout dans l’hôtel. En janvier dernier, les clients et le personnel du Costes ont ainsi pu profiter de plus d’une heure de jam-session en direct, la première Jam on the Moon.
Des profils classiques, jazz ou électroniques
Devenu “le DA en chaussettes” du lieu – pour ne pas faire grincer le parquet pendant les sessions –, Adrien est le gardien du planning de ce studio pas comme les autres. Promettant un Google Calendar pour bientôt, il a surtout accueilli des copains de passage dans la capitale ces derniers mois, donnant naissance à des supergroupes éphémères qui mêlent musiciens classiques, jazz et électroniques selon les circonstances et les disponibilités, pour de longues tranches de musique louvoyant entre ambient, expérimental, musique électroacoustique… L’un de ces combos s’appelle Les Cœurs brisés, parce qu’il a réuni quelques heures l’altiste Adrien Boisseau, tout juste largué, et le pianiste Julien Quentin, lâché seul à Paris par sa femme malade. La dernière sortie en date est signée Ecriture automatique, jolie pièce méditative enregistrée un matin avec la violoncelliste Latica Anić et l’alto de Boisseau.
Et puis les recommandations ont fait le reste. Le contrebassiste Jonatan Levi, qui participait au projet fondateur Midiminuit (mené par Adrien, avec Julien Quentin et César Merveille, pour l’album concept Round the Clock paru en 2019), leur a présenté Kirk Lightsey, un pianiste originaire de Detroit, qui vit à Paris depuis vingt ans. Malgré ses 82 ans, il est passé dîner jusqu’à 3h du matin, avant de revenir le lendemain après-midi avec une flûte et une clarinette pour enregistrer jusqu’au soir. Peu après, Solo, du groupe Assassin, leur a conseillé son cousin, le joueur de kora Alioune Koné, qui venait chaque jeudi avec un nouvel instrument et qui a fini par laisser la kora dans la chambre… Parfois, les collaborations se font totalement par hasard, comme avec le guitariste de jazz David Mechali, qui parlait de la rigidité du jazz de conservatoire avec ses amis au bar Le Grand Bleu quand Adrien est venu se mêler de la conversation, avant de l’inviter au studio.
Si divers que soient leurs profils, tous ces musiciens se sentent instantanément à l’aise en entrant dans le studio HC. “L’endroit fait toujours son petit effet. Et une fois passé la porte, ça dérive vite en jam-session. L’un peut se saisir d’un séquenceur, l’autre d’une guitare, d’un synthé ou de n’importe quelle percussion, et en deux minutes, on commence à enregistrer”, raconte Adrien, qui s’est éclaté à transformer la salle de bains en marbre en chambre d’écho naturelle, tandis que Joan enregistre ses podcasts en les diffusant en direct dans tout l’hôtel, “histoire de se mettre un peu de pression”.
Costes is back
Le projet a aussi le mérite de remettre la lumière sur le Costes, dont l’image reste associée à la série de compilations à succès de Stéphane Pompougnac, arrêtée au volume 15 en 2011. Après avoir décliné de reprendre le format au départ de Pompougnac, préférant créer leur propre concept, Masomenos avait produit Costes Présente… Bon Voyage en 2007 et gère aujourd’hui les playlists sur les plateformes de streaming. Le duo redonne à la marque une dimension avant-gardiste avec cet assemblage de musiciens venus d’horizons divers et ce concept de jams diffusées en live depuis une chambre d’hôtel – une manière de boucler la boucle. “Même si tu n’as pas les gens en face de toi, le simple fait d’être écouté suffit à générer un truc très intéressant. On joue sur un fil, on ne peut pas tricher”, explique Adrien.
Quant à la suite, elle n’est pas encore fixée, mais le lieu semble appelé à évoluer avec la fin du chantier. “Peut-être qu’on le transformera en un vrai studio, avec des cabines et une isolation totale. Pour le moment, c’est plus un salon de musique qui crée des étrangetés, comme une dimension un peu parallèle. Il faut en profiter.”