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22 septembre 2021

Cabaret Voltaire : vie et mort de Richard H. Kirk, pionnier de la UK techno industrielle

par Tsugi

Richard H. Kirk, membre fondateur de Cabaret Voltaire et démiurge de la musique techno industrielle est mort lundi 21 septembre à seulement 65 ans. La cause du décès n’a pas encore été rendue publique.

Par Olivier Richard.

La triste nouvelle a été annoncée sur Twitter par son label, Mute. « C’est avec une grande tristesse que nous annonçons que notre cher et fantastique ami, Richard H. Kirk est décédé. Richard était un immense génie qui a tracé un chemin singulier et inspiré durant toute sa vie et sa carrière musicale », a commenté le label. C’est le moins que l’on puisse dire tant le parcours de Kirk a été, comme on dit, séminal. Pour preuve, les nombreux hommages qui lui ont été rendu au Royaume-Uni, en particulier par New Order et Orbital, qu’il a inspirés mais aussi par tous les plus grands médias britanniques.

Kirk est né en 1956, comme Johnny Rotten/Lydon. Originaire du nord de l’Angleterre, il n’a jamais quitté sa ville d’origine, l’industrielle Sheffield. Comme beaucoup d’ados de la région, il baigne dans la Northern Soul puis le glam, notamment Roxy Music époque Brian Eno. “Beaucoup de gens oublient que Cabaret Voltaire a été influencé par ce que beaucoup de gens appellent la « black music » expliquait-il au site loudandquiet.com en 2013. La dance music de l’époque – des gens comme James Brown, Miles Davis et Fela Kuti. À la même époque, nous étions très influencés par les Allemands : Kraftwerk, Neu! et Can mais beaucoup de nos influences étaient afro-américaines. Nous allions dans les clubs de Sheffield dans les années 70 et on dansait sur du funk et tous ces trucs. Pour moi, c’était aussi important que d’écouter Stockhausen, Brian Eno et l’avant-garde musicale européenne. Les rythmes et la répétition ont toujours été importants.” Cette culture musicale éclectique l’amène à rencontrer Chris Wilson (né en 1952) qui bidouille avec des appareils électroniques primitifs comme un magnétophone avec pour but de créer de la « musique sans instruments ». En 1973, le duo, bientôt rejoint par Stephen Mallinder, un ami de Kirk, fondent le duo Cabaret Voltaire, en hommage au lieu zürichois où est né le mouvement Dada. Kirk n’a que dix-sept ans.

« Je ne suis pas là pour peindre de jolies images, je suis là pour dire quelque chose, même si c’est fuck you ! »

Dès ses débuts, Cabaret Voltaire se distingue par une approche expérimentale et DIY dans laquelle les boucles sont assemblées comme les cut-ups de William Burroughs. Prêt à se produire n’importe où, le groupe joue même dans des toilettes ! Les « Cabs » explorent des territoires soniques inconnus avec leur « musique pop expérimentale » (sic) qui constitue la bande-son parfaite de leur cité industrielle gangrenée par le chômage de masse (Kirk sera toujours fier de ses origines ouvrières). C’est parfois trop pour le public rock/pop classique qui, à cette époque où règnent Led Zeppelin, Genesis et les Rubettes, est outré par l’assaut sonore à base de machines et clarinette (entre autres) que leur infligent Kirk et ses acolytes. Un concert de 1975 dégénère ainsi en bagarre générale, les musiciens, passablement bourrés, étant quasiment lynchés par le public.

L’arrivée du punk et son public notoirement violent ne les découragent pas et Cabaret Voltaire finit par signer chez le légendaire label Rough Trade en 1978. Les « Cabs » tombent à pic puisque leurs expérimentations coïncident avec la naissance du post-punk, entre autres courants musicaux dark et électroniques. En 1979, la sortie du radical single “Nag, Nag, Nag”, hybride stupéfiant de musique dance, de punk et de proto-techno leur permet de sortir de l’underground. Red Mecca, leur troisième album leur permet d’atteindre la pole position du Top indie (1981). Le départ de Watson la même année n’empêche pas Kirk et Mallinder de continuer leurs expériences soniques dans les années 80. En 1983, les deux « Cabs » quittent Rough Trade pour signer avec le label Some Bizarre et Virgin en distribution. De plus en plus dance, leur production des années 80 fusionne musique expérimentale et sons américains, les DJs de Chicago et Detroit jouant régulièrement leurs disques alors que Kirk s’inspire de la house et de la techno naissantes.

Véritable bourreau de travail, Kirk multiplie aussi les projets parallèles, ce dès 1980. Sa discographie solo compte ainsi plus d’une quarantaine d’albums. “Le boulot d’un artiste est de défier le putain de statu quo. Je ne suis pas là pour peindre de jolies images, je suis là pour dire quelque chose, même si c’est fuck you !” racontait-il, toujours à loudandquiet.com. En 1990, il s’associe avec DJ Parrott pour le duo Sweet Exorcist qui se concrétise par un album (C.C.C.D.), le premier publié par… Warp Records. Kirk embraye ensuite avec le projet XON sur lequel il travaille avec Robert Gordon, un autre natif de Sheffield, une production qui a depuis acquis un statut culte (“Sweet Exorcist et XON font partie des plus beaux exemples de techno britannique” dixit The Guardian).

“Je ne veux pas faire comme tous ces vieux qui essaient de revivre leurs 20 ans”

Mallinder déménageant en Australie en 1995, Cabaret Voltaire devient le projet solo de Richard H. Kirk. Intègre jusqu’au bout, il refuse une offre pharaonique de reformation de Cabaret Voltaire par Coachella. “Je ne veux pas faire comme tous ces vieux qui essaient de revivre leurs 20 ans” commentait-il, narquois. Toujours à Sheffield, il livre pas moins de trois albums fascinants ces derniers mois (Shadow Of Fear, Dekadrone et BN9Drone lesquels portent bien leurs noms). Il s’est éteint peu de temps après. Nous lui laisserons le mot de la fin : “Je ne sors plus en clubs parce qu’ils sont plein de gamins vraiment jeunes. Quand j’y vais, on me prend pour un dealer. Une fois, on m’a même pris pour un flic ! Je me suis senti salement insulté, mec.”

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