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Mayday, le brillant quatrième album de Boys Noize, sort aujourd'hui.
20 mai 2016

Boys Noize : La force tranquille

par rédaction Tsugi

Symbole du cogneur électro invétéré depuis ses débuts, Alex Ridha, alias Boys Noize, montre un talent beaucoup plus large à l’occasion de son brillant quatrième album, sans nul doute son meilleur. Nos oreilles le remercient.

Génération turbine. Pour tout leader d’une hype musicale automatiquement vouée à la ringardise, il n’est jamais facile de se débarrasser d’une étiquette. Demandez à Ed Banger et à Justice, qui ont dû batailler ferme pour démontrer que leur registre (et leurs goûts musicaux) était beaucoup plus large que simplement produire des sons à écouter la tête dans l’enceinte pour des club kids surexcités. Sûr de sa force, Alex Ridha alias Boys Noize, le plus francophile des producteurs allemands, tête de pont depuis quasiment dix ans d’une électro qui tape très fort, n’avait jusqu’alors pas eu besoin de se poser ce genre de questions. D’autant plus qu’il s’était aussi ménagé des plages de respiration en compagnie d’Erol Alkan (le maxi “Avalanche”) ou Gonzales, pour Octave Minds, le projet house barrée à l’allure de musique de film.

NOUVEAUX HORIZONS 

Au bout de trois albums conçus dans le seul but de « disposer d’armes lourdes pour les DJ-sets », le jeune homme a eu envie, non pas de tourner la page – pourquoi scier le trône sur lequel on est assis? –, mais bien de découvrir de nouveaux horizons. « Ce qui est inédit sur cet album, ce sont d’abord les mélodies, mais aussi le processus créatif. Mes précédents albums, je les concevais entre deux sets, en me disant: ‘Allez, on s’y met, c’est facile.’ Et en deux heures je produisais un morceau. Pour celui-là, j’ai vraiment eu besoin de temps pour me poser et me demander comment je pourrais redéfinir les choses. Ma seule règle a été de ne pas faire que du 4/4, afin d’avoir des titres plus ‘broken beat’ ou avec plus de mélodies. Mais le naturel a souvent pris le dessus, et je revenais inconsciemment vers du 4/4. Il fallait que je fasse attention! », nous raconte le charmant Alex tout en piochant alternativement dans une assiette tomates/burrata et une de calamars frits, attablé sur la terrasse tranquille du Standard Hotel de Miami Beach. Nous sommes alors très loin de l’agitation folle des établissements du bord de plage, transformés à cette période de l’année (mi-mars) en dancefloor géant dès 14h pour cause de Winter Music Conference. Soit l’équivalent du Salon de l’Agriculture pour la musique électronique depuis maintenant plus de trente ans. Une première édition que Boys Noize n’a bien sûr pas connue, lui qui avait tout juste trois ans à l’époque.

GRAND FRÈRE 

D’origine arabe, Ridha naît à Hambourg en 1982 dans une famille pas spécialement portée sur la musique, même si sa mère adore le disco et son père Pink Floyd. Non, pour trouver qui a inoculé à Alex le dangereux virus, il faut regarder du côté de son grand frère. Âgé de seize ans à la fin des années 80, l’aîné découvre la house naissante et passe en boucle dans sa chambre les premiers tracks de Farley Jackmaster Funk et Steve « Silk » Hurley sous les yeux et surtout les oreilles ravies d’Alex, sept ans à peine. Sa vocation se précisera quelques années plus tard: « Je crois que la première fois où j’ai compris que je voulais être musicien, c’était au collège. Je devais avoir onze ans. Nous avions une salle avec des instruments à disposition et notamment une batterie sur laquelle je jouais en écoutant des disques de Metallica ou Nirvana. On s’est mis à faire un groupe avec des potes et je suis vraiment tombé amoureux de la musique. » L’influence house du grand frère sera néanmoins plus forte que ces premiers pas rock, et à seize ans, alors qu’il travaille dans un magasin de disques, second événement déterminant pour le jeune homme: « Je commençais tout juste à faire des DJ-sets dans un club de deep house de Hambourg et Boris Dlugosch, la star de la ville à cette époque, qui me connaissait du magasin, m’a demandé de faire le warm-up à son anniversaire. Tout a basculé cette nuit-là. Je me suis dit que c’était ce que je voulais faire. J’ai commencé aussi à travailler sur des morceaux avec Marco Tensnake. Puis à 20 ans, j’ai déménagé à Berlin et c’est vraiment devenu du sérieux. »

SACRÉ FRANÇAIS 

Mais le style particulier d’Alex Ridha, qui a abandonné la deep house de ses débuts pour se consacrer à un registre beaucoup plus extrême, oui cette fameuse turbine, a du mal à se faire accepter en Allemagne: « J’étais un peu le mec bizarre. Je n’appartenais à aucun genre. Je faisais de la techno-house avec un esprit punk. À Berlin, le milieu électro ne m’aimait pas trop, ce n’est qu’à partir de mon second album que ses acteurs se sont dit: ‘Ah, mais ce n’est pas si mauvais que cela.’«  (rires) Alex se souvient même d’un retour de Laurent Garnier à propos de son premier maxi: « C’est cool, mais je ne sais pas comment le mixer. » D’autres que lui sauront. Et notamment toute la nouvelle scène française french touch 2.0 qui adopte Alex comme l’un des siens. « Mon premier DJ-set en dehors de l’Allemagne, c’était en France avec Justice. J’étais aussi très connecté avec Institubes, nous étions tout un petit groupe dans ces années-là, nous partagions la même vision de la musique électronique, nous ne voulions pas que ce soit étriqué. On a grandi ensemble et on est devenus très bons amis. En dehors de notre musique, il y avait la minimale qui était énorme et ce milieu ne nous acceptait pas. Je me souviens que quand j’ai découvert le maxi Waters Of Nazareth de Justice, personne ne le jouait et même dans les magasins de disques de Berlin, ils ne voulaient pas le vendre ! Je courais chez Hard Wax (magasin de disques berlinois culte, ndr), et je leur disais : ‘Mais écoutez ça, vous devriez le commander.’ La première fois que je l’ai joué, les haut-parleurs ont pété, c’était fou. Je pouvais tout à fait le mixer avec un maxi de chez Roulé ou un truc électroclash. Mais à Berlin, aucun DJ ne comprenait ça. » 

FUCK THE SYSTEM 

D’où sans doute ce désir de créer en 2005 son propre label, Boysnoize Records, à seulement 22 ans, pour sortir sa propre production puis celle des autres, comme les Frenchies Djedjotronic, Les Petits Pilous, ou entre autres Strip Steve, Housemeister et SCNTST. Depuis, cette volonté d’indépendance qui se rapproche du « Do It Yourself » punk ne l’a jamais quitté malgré les appels du pied de l’industrie: « J’ai toujours refusé les offres. J’aurais pu avoir un deal de distribution pour mon label et un contrat d’artiste pour moi. Mais imaginons que je signe pour Warner ou Universal avec des gens qui aiment sincèrement ma musique et qui me soutiennent. Ils seront peut-être virés six mois plus tard et remplacés par d’autres qui eux ne s’intéresseront qu’à l’argent, aux chiffres de ventes et aux passages radio de ma musique. Or je ne fais pas de la musique pour la radio. Si ça arrive, tant mieux, mais ce n’est pas mon approche initiale. Quand un gros label investit sur toi, il veut un retour sur investissement. Sans compter que mon directeur artistique me demandera sûrement: ‘Mais pourquoi ne fais-tu pas des chansons comme ça ou comme ci?’ Et là, je lui répondrai non. C’est là que les problèmes commenceront. » (rires) Sans compter que des exemples récents ne l’ont pas non plus incité à franchir le pas. « J’ai vu tellement d’amis victimes de cela. Au début, ils te disent : ‘C’est génial, j’ai été signé chez Universal.’ Trois ans plus tard, leur discours change : ‘C’est un désastre, je ne peux pas sortir du contrat, ils ne connaissent rien à ma musique.’ C’est bien de signer avec une major, mais il faut jouer le jeu. Je crois que ma musique n’est pas faite pour ça. Elle n’est pas spécialement bankable. Pourtant, avant de sortir cet album, je l’ai fait écouter à des gros labels, mais finalement je me suis dit : ‘Fuck the system.’ » 

DE LARRY LEVAN À ALVA NOTO 

D’autant plus que les grosses collaborations qu’il a pu faire avec Black Eyed Peas et Kelis ne l’ont pas incité à poursuivre ce genre d’expériences : « À cette occasion, j’ai appris comment le système et l’industrie travaillent et je n’ai pas aimé ce que j’ai vu. À ce niveau de la pop music, ce qui est important, ce n’est pas la musique ou les êtres humains, mais uniquement l’écriture d’un hit. Et pour faire cela sur un seul morceau, tu peux avoir trente intervenants, dont dix producteurs ! J’ai réalisé il y a quelques années que je préférais composer un autre album avec Gonzales ou produire dix tracks techno que je sortirais dans la foulée sur mon label, plutôt que passer une semaine à faire des chansons pour Rihanna qui sortiront peut-être un jour… Si elle décide de les choisir parmi la centaine dont elle dispose déjà », explique Alex sans langue de bois, vêtu d’un très beau t-shirt à la gloire de Larry Levan, l’âme du fameux Paradise Garage, que l’on n’imaginerait pas forcément porté par quelqu’un qui a la réputation de taper plus vite que son ombre. Mais Alex Ridha est avant tout un amoureux de la musique électronique, capable aussi de disserter pendant des heures sur les expérimentations parfois fort absconses d’Alva Noto et du label Raster Noton. Un homme de goût dont les productions n’ont cependant jusqu’ici que partiellement reflété cette large culture musicale (mais pas que…), que salue Djejotronic, artiste phare de Boysnoize Records : « Il y a une constante dans la personnalité d’Alex, c’est la curiosité. Principalement en matière de musique, mais pas seulement. C’est une personne accessible, à l’écoute, peu importe l’interlocuteur. On se connaît depuis huit ans, je n’ai jamais ressenti chez lui une once de lassitude après toutes ces années passées entre son studio et les aéroports. Il a gardé la même excitation pour explorer un nouveau genre musical ou un nouveau synthé. En tournée, pas une minute de répit, il trouve systématiquement le moyen de finir chez le disquaire du coin ou de passer l’après-midi en studio. » 

TOUCHÉ MAIS PAS COULÉ 

Avec Mayday, qui séduit par sa diversité et sa musicalité, Boys Noize nous a aussi touché en mettant pour la première fois ses tripes sur le dancefloor. Mais le climat particulier qui a présidé à la genèse de l’album explique l’humanité qui s’en dégage. Il y a trois ans, son meilleur ami et son assistant, qu’il connaît depuis ses vingt ans, meurt dans des conditions tragiques, assassiné avec toute sa famille lors d’un voyage en Afrique du Sud, dont il était originaire: « Après ce drame, j’ai traversé une période très difficile. Je n’ai plus trop fait de DJ-set ni de musique. J’ai commencé à plus réfléchir sur moi-même, sur ce que je voulais faire de ma vie », raconte-t-il très ému. « Mais il fallait avancer, apprendre à faire sans lui, que je voyais tous les jours. Je dois dire que la musique m’a beaucoup aidé pour sortir de cette situation très sombre. J’étais donc dans cet état d’esprit un peu bizarre pendant l’enregistrement de Mayday. Même si tu me dis que cela se sent, je n’ai pas vraiment l’impression que cela se reflète dans ma musique. Mais cette histoire m’a changé pour toujours. Aujourd’hui, même lorsque je suis très heureux, je me sens très triste. » Au point de pleurer sur le dancefloor ? Une idée qui n’aurait pas déplu à un certain Larry Levan. (Patrice Bardot)

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Mayday : la chronique

Il aura fallu du temps. Presque dix ans après ses débuts, Boys Noize peut jouer au Berghain à Berlin, sans que personne (enfin presque…) ne trouve rien à redire. DJ désormais reconnu pour sa technique et surtout sa grande culture musicale, Alex Ridha se devait aussi d’en donner la preuve discographique après trois albums très fortement ancrés du côté de cette fameuse « turbine ». Même si certains avaient découvert en 2014 toute la subtilité dont Boys Noize était capable à l’occasion de la sortie de l’album Octave Minds, fruit de sa collaboration avec Gonzales. Désormais avec Mayday, dont le titre peut être interprété comme une sorte de sonnette d’alarme pour « cette musique électronique devenue mainstream, avec ces festivals qui ressemblent à des cirques où les DJ’s jouent tous la même musique », personne ne pourra pas dire qu’il ne savait pas. Sans trop en faire, Alex Ridha distille au fil de ce quatrième album quelques justes clins d’œil à ses racines musicales éclatées. Comme ce « Rock The Bells » évoquant le « Block Rockin’ Beats » des Chemical Brothers, ou bien « Los niños » sa version ’10 du titre culte, pré-électro « Los niños del parque » de Liaisons Dangereuses. À la différence de son album précédent et du featuring gadget de Snoop Dogg sur « Got It », Boys Noize a retenu la leçon et les nombreux invités (splendide Poliça sur « Starchild ») ne sont pas là pour juste se mettre en valeur, mais bien honorer la personne qui les a invités. Avec comme point d’orgue, le dernier track « Birthday », où Hudson Mohawke et Spank Rock se mettent à la place d’Alex: « Every day I wake up it’s like my fuckin’ birthday. » Et le nôtre par la même occasion.

Mayday (Boysnoize/La Baleine), sortie le 20 mai
A voir le 25 mai en live à Paris (La Gaîté Lyrique), et en DJ-set le 24 juin à Solidays, le 1er juillet à Main Square, le 2 juillet à Garorock…

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