Membre du collectif parisien Casual Gabberz, Boe Strummer a sorti le 20 avril son nouvel EP Brigades Anti-France, de la techno hardcore pleine de sensibilité, avec un message à faire passer.
« On peut faire de la techno hardcore en ayant un message, et ce message peut lui aussi être hardcore. »
La techno est-elle politique ? Alors que les uns la considèrent depuis toujours comme une musique décérébrée, d’autres assument de la vider de son sens pour l’axer uniquement sur la danse. Pour le producteur parisien Boe Strummer, cela ne fait aucun doute : “Faire de la techno, c’est politique. C’est une musique qui est politisée à la base, qui vient d’un milieu noir prolétaire américain, récupérée par des Blancs européens. Tout ça a un sens et il ne faut surtout pas oublier d’où viennent les rave parties.”
L’affaire de la fête improvisée aux Buttes-Chaumont le 25 avril a d’ailleurs montré que, plus d’un an après le début de la crise sanitaire, la teuf était un sujet politique toujours aussi clivant. “Je pensais que les gens comprendraient mieux ce besoin de se rassembler pour de la musique au bout d’un an. Et non, ça a créé une polarisation encore plus intense, avec un retour de l’esprit des lois Mariani et la diabolisation de la rave.”
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©Esteban Gonzalez
Alors que la techno ne résonne plus dans les clubs, le temps serait-il venu pour les artistes de s’interroger sur les réflexions qu’elle peut instiguer dans le salon ? Boe Strummer fait ça et bien plus avec ce titre pieds dans le plat “Brigade Anti-France”. Le terme fait référence à une rhétorique inventée par l’extrême droite à la fin du XIXe siècle pour dénigrer ses adversaires politiques, le fameux “parti de l’étranger”. Pour le producteur, ce titre choc est une manière d’affirmer son antiracisme dans une scène gabber qui a souvent été assimilée à l’extrême droite.
« Cet EP est une façon de rappeler que chez Casual Gabberz, nous sommes antiracistes et antifascistes. Ceux qui ne sont pas contents peuvent aller voir ailleurs. »
Pas sans raison, selon lui : “Il y a un fond de vérité, parce que c’est une musique qui vient d’un milieu prolétaire blanc, peu éduqué et donc plus en proie à des côtés racistes. On le voit parmi nos fans : il y a des gens qui ont mal pris le titre « Brigade Anti-France » et qui ne voient pas le problème avec le fait d’être nationaliste et anti-immigrés. Cet EP est une façon de rappeler que chez Casual Gabberz, nous sommes antiracistes et antifascistes. Ceux qui ne sont pas contents peuvent aller voir ailleurs. Après, pour avoir fréquenté les events aux Pays-Bas, tu vois des types qui sont clairement néonazis, mais 99 % des gens sont là juste pour kiffer le son.”
Politiser l’art
Au-delà de cette mise au point, Boe Strummer avait envie de “politiser son art” : “Pour dire qu’on peut faire de la techno hardcore en ayant un message, et que ce message peut lui aussi être hardcore. Je n’ai pas envie d’être dans une simple relation consumériste avec mes auditeurs. Mes disques sont mon espace d’expression. Cette expression est sentimentale, mais aussi politique.” Citoyen “engagé”, Boe suit de près l’actualité politique française, qu’il décrypte depuis deux ans dans des stories sur son compte Instagram. Dans le texte signé Ed Isar qui accompagne le maxi, il fait d’ailleurs part de sa “lassitude face à la réalité sociale actuelle”. Un sentiment qu’il retranscrit parfaitement sur la seconde partie du morceau “Brigade Anti-France”, quand le kick se dilue dans un sample de la guitare de “Sun Is Shining” des Wailers pour une séquence finale d’où suinte son spleen face “à un système de plus en plus répressif”. Les policiers sont d’ailleurs assimilés à des “connards” dans le second morceau de l’EP, “FTC”, un track rentre-dedans qui démarre dans un pur jumpstyle (le genre qui a fait plonger le garçon dans la techno hardcore), avant de dériver sur un synthé éthéré et mélancolique, résumant la formule Boe Strummer : du hardcore mais sensible.
« Il est temps de trouver un nouveau moyen de s’investir et de lutter. »
La relation avec les flics, c’est une vieille histoire pour lui qui a passé une partie de sa scolarité au Val Fourré, à Mantes-la-Jolie. “Je m’habille en jogging, avec une casquette, une capuche, je fume du shit, donc forcément, je suis amené à être contrôlé assez régulièrement.” Mais c’est surtout dans les manifs qu’il a assisté à l’escalade de la violence policière. “Je peux comprendre qu’aller en manif aujourd’hui, pour le peu de résultats que ça engendre, ce soit démotivant pour tout un tas de gens. Mais le piège, ce serait de tomber dans cette lassitude profonde et que tout le monde n’en ait plus rien à foutre. Il est temps de trouver un nouveau moyen de s’investir et de lutter”, estime-t-il.
Pour le moment, il est encore partagé sur la marche à suivre, guerre civile ou vie en communauté à la campagne. Mais il ne perd pas espoir de voir ses concitoyens se réveiller et ce disque participe de cette volonté de s’engager, à son niveau. “Enlever cette dimension politique reviendrait à dénaturer mon propos. J’ai envie que ma musique soit le reflet de mes idées, et d’utiliser la petite influence que je peux avoir sur le petit public que j’ai. Si chacun s’y met, c’est un moyen de faire changer les choses.”

Artwork de l’EP