Bob Sinclar, Tayc… En 2023, la culture du viol en musique se porte toujours bien
En quelques jours Bob Sinclar puis Tayc se sont illustrés, chacun de leur côté, par des sorties aussi inattendues que choquantes : deux événements qui illustrent un climat abject, et qui participent à ce qu’on appelle la ‘culture du viol’. En 2023, en toute impunité, visiblement sans se soucier du mal que cela peut engendrer. On vous raconte.
Cocorico ! La France a un incroyable talent, surtout pour la ‘grivoiserie’ cracra, bien « je-dépasse-les-limites ». Mais tout le monde ne peut pas faire preuve d’un esprit fin : la frontière est alors très poreuse, entre la blague potache qui provoque le rire gras, et les propos/actes qui vont beaucoup trop loin. Sur le sujet, dans la famille « Gros Lourdauds Problématiques », je voudrais d’abord Bob Sinclar. Le DJ et producteur français des Hauts-de-Seine, 53 ans, poste régulièrement sur ses réseaux sociaux des mini-sketchs humoristiques, comme l’ont également remarqué nos confrères de Trax. Une vidéo pour présenter une prétendue érection matinale (par ici), une autre où il joue de la guitare avec son sexe pour reproduire « Love Generation » (c’est là)… D’acc. C’est excessivement lourd, pas original, mais pour l’instant pas méchant.
Et puis d’un coup, une vidéo plus du tout excusable, postée sur Instagram. Bob Sinclar l’a évidemment retirée depuis, mais quelques personnes ont eu le temps d’enregistrer la séquence, pour la reposter :
Donc dans le plus grand des calmes @bobsinclar publie (ce qu’on pourrait qualifier de sketch, si c’était drôle) une vidéo mettant en scène un viol. Oui, un viol. Ça va, on ne te dérange pas trop ? pic.twitter.com/YGkvpoWfqz
— Emilie Marie-Victoire (@cabanong) February 15, 2023
On récapitule : dans cet extrait on s’installe du point de vue d’une personne qui prend sa douche, visiblement une femme. On ne voit pas son visage, seulement sa main, une salle de bain et un savon. Alors que le savon tombe à terre, une musique angoissante s’installe, et on voit Bob Sinclar d’abord à la fenêtre en train de reluquer, puis s’approchant de la porte, puis dans l’entrebâillement avec le pantalon sur les genoux. Au moment où la jeune femme se baisse, on nous fait comprendre qu’elle se fait agresser sexuellement, grâce à de subtils sons de gémissements et de clapotis, pour mimer un va-et-vient. On est devant un viol.
Si c’était seulement lourd comme d’habitude, on se contenterait de souffler sans s’insurger. Mais là c’est beaucoup trop. Il s’inscrit parfaitement dans la culture du viol : on minimise les violences sexistes et sexuelles pour dans le même temps, déculpabiliser les agresseurs tout en culpabilisant les victimes. Soit Bob Sinclar n’a pas conscience de ces mécaniques, soit il s’en fout complètement. Et on est tentés de dire « un peu des deux » au vu de la vidéo qu’il a postée, juste après les réactions suscitées par le désormais fameux « sketch du viol » :
Je crois qu’il s’en fout totalement 🤦🏻♀️ pic.twitter.com/V0FWSzRNhb
— 🎤Gaelle DeL 📸 (@GaelleL3) February 15, 2023
Un deuxième événement survenu dans le même temps. Tayc, chanteur d’afropop a lui aussi une certaine idée de l’amour à la française : en bon loveur, il a sorti le 14 février son album Room 96. Dix chansons parmi lesquelles on trouve « Quand tu dors », dont les paroles laissent peu de place au doute.
« Ok, imagine un truc, j’rentre du boulot, tu vois ? Toi tu dors déjà. Et plutôt que de te réveiller […] Je t’en supplie, dors encore, dors encore… Pourquoi te le dire ? Pourquoi prévenir ? […] Ça ne te demandera aucun effort » /// « T’es tellement belle quand tu dors […] Tes lèvres sont fermées mais j’entends ton appel. Je dois hanter ton sommeil. Je dois te consommer. T’as mis mon pyjama préféré. Je n’aurai pas grand-chose à t’enlever. Et ne m’en veux pas si je descends. »
Désolé si on enfonce encore des portes ouvertes, mais une personne qui dort ne peut pas être consentante. Et le non-consentement ne peut pas être perçu comme excitant. Tayc a rapidement été accusé de faire l’apologie du viol conjugal avec cette chanson, de le romantiser. Il a d’abord essayé de présenter des excuses, disant qu’il avait « pris conscience que la chanson avait sévèrement heurté l’opinion publique » et refusant que sa musique « serve un message ambigu » (le message complet ci-dessous). Maladroit sûrement, et trop tard surtout. Peu après, la chanson est retirée de son album, face aux nombreuses réactions.
Tayc est régulièrement accusé d’instaurer un environnement propice à ce genre de dérapages : accusations de racisme envers la femme noire il y a dix ans, ‘danses sexuelles’ avec des fans sur scène, reniflage de sous-vêtements pour femme en plein concert…
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Bob Sinclar et Tayc, chacun à leur manière, donnent en ce début d’année 2023 un bel exemple de ce qu’est la « culture du viol ». Et à quel point elle est solidement ancrée. La culture du viol, pour rappel, c’est un concept sociologique développé dès les années 70 aux États-Unis, qui qualifie un ensemble d’attitudes et de comportements partagés par une société qui minimisent et normalisent le viol. C’est la création d’un environnement où le viol/l’attouchement sur le corps de la femme, ce ne serait « pas si grave ».
Ici, nos deux Français se sentent assez en confiance pour diffuser ce genre de message sans penser à mal, sans se soucier de l’impact que cela peut provoquer. Bref, ils ne semblent y voir aucun problème. Bob Sinclar et Tayc n’ont pas conscience, ou pas envie de se soucier, du discours dangereux qu’ils véhiculent.
Et on le sait, en écrivant ceci, que certains trouveront qu’on en fait -beaucoup- trop sur le sujet. Pour rappel, 94 000 femmes victimes de viol ou de tentative de viol chaque année en France. Ce genre de message ne peut pas être véhiculé, en France en 2023. Nos mots et nos actes ont toujours une portée, un impact.
Quelques ouvrages qui parlent du sujet :
- En finir avec la culture du viol par Noémie Renard
- Sorcières par Mona Chollet
- Les couilles sur la table, adapté du podcast du même nom par Victoire Tuaillon
- Une culture du viol à la Française : Du « troussage de domestique » à la « liberté d’importuner » par Valérie Rey-Robert