Câest de loin la ville qui pĂątit le plus de la fermeture de ses clubs Ă cause de la Covid-19. Depuis plusieurs mois, mĂȘme si les Ă©tablissements bĂ©nĂ©ficiant dâespaces extĂ©rieurs ont rouvert, Berlin nâaffiche plus le visage quâon lui connaissait. Ă partir du 10 octobre, les commerces de la ville doivent se plier Ă un couvre-feu. Les fameuses nuits dĂ©bridĂ©es se sont transformĂ©es en aprĂšs-midis en extĂ©rieur oĂč il est parfois interdit de danser… Une semaine plus tĂŽt, la capitale allemande sâĂ©tait pourtant associĂ©e avec plus de 40 clubs et collectifs autour de la premiĂšre journĂ©e de la culture club, en proposant des open air autour des arts et de la musique. Si la plupart des gĂ©rants et clubbeurs, conscients du contexte, se disent satisfaits de lâinitiative, tous continuent de se demander Ă quoi ressemblera la nuit berlinoise de demainâŠ

©Nacht Clubs Berlin, Sabrina Jeblaoui
La friche industrielle sâĂ©tend sur plusieurs kilomĂštres. Le Griessmuehle, renommĂ© Revier SĂŒdost, a rouvert ses portes mi-septembre sur le site de lâancienne brasserie BĂ€rrenquel. Samedi 3 octobre, la ville lance la premiĂšre journĂ©e de la culture club en soutien Ă une quarantaine de clubs et collectifs. Ă lâentrĂ©e du Revier SĂŒdost, il nâest mĂȘme pas encore 16 h, quâune dizaine de personnes sâagglutine face au bĂątiment en briques rouges. Les DJs des habituelles torrides soirĂ©es Cocktails dâAmore se relaient aux platines pour une sĂ©lection de musique ambient. Le booth est installĂ© en extĂ©rieur, oĂč seule une petite terrasse est ouverte. Les serveurs invitent les clients Ă rejoindre une table pour commander. Le fonctionnement est semblable Ă celui dâun restaurant. Il est tout de mĂȘme possible de se balader, masque sur la figure, au grĂ© des quelques photos et oeuvres exposĂ©es. Le tout dans une ambiance aseptisĂ©e. Venu avec trois amis, Ruben est un habituĂ© des Cocktail dâAmore.
âLes vraies soirĂ©es en club nous manquent terriblement. Mais en venant aujourdâhui, nous savions Ă quoi nous attendre. Nous sommes ici surtout pour soutenir le Griessmuehle depuis sa nouvelle ouvertureâ, explique le jeune homme qui a quand mĂȘme du mal Ă cacher sa frustration de ne pas pouvoir danser. Quelques tables plus loin, Lisa-Marie, une clubbeuse invĂ©tĂ©rĂ©e dâĂ peine 20 ans, est moins mesurĂ©e : âLes clubs en temps de pandĂ©mie sont de plus en plus tristes. Nous avons tous besoin de sortir et de danser ! Heureusement quâil y a eu quelques raves sauvages cet Ă©tĂ© !â
« Les buissons se sont transformés en dark-room. »
De mai Ă septembre, le parc Hasenheide, un espace de 50 hectares situĂ© dans le quartier de Neukölln, a Ă©tĂ© pris dâassaut par des fĂȘtes clandestines attirant jusquâĂ 3 000 personnes. Cristina, une roumaine de 34 ans, a participĂ© Ă lâune dâentre elles. âCâĂ©tait assez marrant et Ă©trange de faire la fĂȘte dans cet endroit mĂȘme si la musique nâĂ©tait pas au rendez-vous. Ă partir dâune certaine heure, il nây avait plus de DJs et une techno simpliste provenant dâune clĂ© USB rĂ©sonnait dans les enceintes, dĂ©plore cette habituĂ©e de la nuit. Les gens dansaient librement sans masque. Les buissons se sont transformĂ©s en dark-room. Un peu comme dans les clubs avant le coronavirus finalement⊠Tout le monde semblait apprĂ©cier mĂȘme si câĂ©tait trĂšs dĂ©sorganisĂ©.â AprĂšs plusieurs mois dâabstinences, ces aficionados de la fĂȘte pensaient enfin avoir retrouvĂ© leurs nuits berlinoises. Des retrouvailles Ă©courtĂ©es puisque la police a rapidement pris lâhabitude dâintervenir pour disperser les fĂȘtards. De son cĂŽtĂ© Lea, une amie de Cristina, a prĂ©fĂ©rĂ© âne pas faire partieâ de cette rave. âLes gens nâont pas Ă©tĂ© respectueux ni de lâendroit, ni des autres en se mĂ©langeantâ, considĂšre cette jeune française de 24 ans.
L’annonce du couvre-feu

Lea (de dos) et ses amis / ©Nacht Clubs Berlin, Sabrina Jeblaoui
Les nouvelles mesures restrictives annoncĂ©es par la ville ce mardi 6 octobre lui donnent raison. En Allemagne, le nombre de cas connaĂźt une augmentation âdâune ampleur prĂ©occupanteâ, dâaprĂšs Jens Spahn, le ministre de la santĂ©. Ă compter du samedi 10, la plupart des commerces berlinois (bars, restaurants, clubs) sont soumis Ă un couvre-feu de 23h Ă 6h. Durant cette pĂ©riode, les rassemblements extĂ©rieurs sont limitĂ©s Ă cinq personnes ou deux foyers diffĂ©rents. Quant aux fĂȘtes privĂ©es, jusquâici autorisĂ©es Ă 25, doivent se limiter Ă 10 participants. Ces rĂšgles sont effectives, dans un premier temps, jusque fin octobre.
Depuis le dĂ©but de lâĂ©pidĂ©mie, lâensemble des mesures se placent Ă lâencontre de ce qui fait la particularitĂ© des nuits dans la capitale allemande. Tandis que le Berghain sâimprovise musĂ©e dâart contemporain grĂące Ă la collaboration de la prestigieuse fondation dâart Boros, le vĂ©ritable esprit clubbing berlinois trinque. âLors dâune nuit en club, tu te plonges au milieu de la foule. Tu y partages ton enthousiasme et ton Ă©nergie avec les autres. Danser dans un club brumeux et rempli de sueur doit ĂȘtre une expĂ©rience physique pour le corps et lâesprit, dĂ©crit parfaitement Sulu Martini du club ://about blank. Avec les restrictions liĂ©es Ă la Covid-19, tout cela a disparu, tout comme lâanonymat habituellement de mise dans nos Ă©tablissements. Lâaspect social et la musique manquent tellement au public quâil semble trouver un rĂ©confort en dansant Ă nouveau, mĂȘme avec des masques et de la distanciationâŠâ
« LâĂȘtre humain ne peut pas se cantonner Ă lâĂ©ducation et au travail. »
Un rĂ©confort important aux yeux de Lutz Leichsenring. Le porte-parole de la Commission des clubs ne perd pas espoir. âLâĂȘtre humain ne peut pas se cantonner Ă lâĂ©ducation et au travail. Il a besoin de se sociabiliser. Nous sommes conscients quâune vĂ©ritable expĂ©rience clubbing nâest pas compatible avec les rĂšgles de distanciation. Mais nous nous devons de proposer une offre respectant les nouvelles mesures liĂ©es au coronavirusâ, nuance cet activiste de la nuit. Ăgalement impliquĂ©e dans la journĂ©e de la culture club, la Commission a chapotĂ© plus de 40 Ă©vĂ©nements durant le week-end des 3 et 4 octobre.
Danser masqués ?

©Nacht Clubs Berlin, Sabrina Jeblaoui
Si certains dâentre eux â comme au Else â ont proposĂ© un dancefloor avec port du masque, tous Ă©taient programmĂ©s lâaprĂšs-midi dans des espaces extĂ©rieurs. Lea sây est rendue. âNotre libertĂ© est un peu affectĂ©e, mais cela ne mâempĂȘche pas dâapprĂ©cier. On a besoin de danser et de se rĂ©unir malgrĂ© tout. Les gens restent bienveillants. Nous pouvons faire la fĂȘte en prenant soin les uns des autresâ, remarque lâexpatriĂ©e française qui estime la chance quâelle a de vivre ici depuis cinq ans. âDans plusieurs autres villes, les clubs sont interdits. Berlin a conscience quâil serait financiĂšrement trop dangereux de les fermerâ, poursuit la jeune femme.
« Dans plusieurs autres villes, les clubs sont interdits. Berlin a conscience quâil serait financiĂšrement trop dangereux de les fermer. »
Un point de vue partagĂ© par Klaus Lederer. Le sĂ©nateur culturel de la ville est Ă lâorigine de la journĂ©e de la culture des clubs et soutient financiĂšrement ces derniers. 46 dâentre eux ont dĂ©jĂ reçu une enveloppe de 81 000 âŹ. âQuand Berlin Ă©tait en mauvaise posture, les clubs nâont pas laissĂ© tomber la ville. Cela doit Ă©galement fonctionner dans lâautre sensâ, a dĂ©clarĂ© lâĂ©lu. Une approche constructive saluĂ©e par les gĂ©rants de clubs qui, malgrĂ© tout, ne cessent de rencontrer des difficultĂ©s. Le parcours du combattant rĂ©alisĂ© par le Griessmuehle en tĂ©moigne. âNous faisons face Ă lâemprise capitaliste de la ville. La gentrification et lâaugmentation des loyers et des coĂ»ts. La pression Ă©conomique croissante est partout, constate Sulu Martini dâ://about blank. Avant tout cela, il est nĂ©cessaire de se dĂ©barrasser de la Covid-19 dâune maniĂšre ou dâune autre !â
Des tests Ă lâentrĂ©e des clubs ?
En attendant lâarrivĂ©e dâun potentiel vaccin ou de la mort du virus, Lutz Leichsenring travaille sur la potentielle mise en place de tests Ă lâentrĂ©e des clubs. âCes tests donnent un rĂ©sultat en quinze minutes et ne devraient pas tarder Ă arriver en Europe. Nous ne sommes ni des prophĂštes, ni des scientifiques, mais si cette solution est possible, nous aimerions lâexploiterâ, espĂšre le porte-parole.
De leur cĂŽtĂ©, Cristina et Lea espĂšrent que cette crise puisse avoir une consĂ©quence positive sur le monde de la nuit. âAu fil des annĂ©es, le clubbing ressemble de plus en plus Ă une industrie. Les soirĂ©es font la course aux tĂȘtes d’affiche. Les montants des cachets augmentent. Les politiques des clubs changent, liste Cristina, qui vit Ă Berlin depuis 2012. Si les soirĂ©es post-coronavirus pouvaient devenir plus inclusives et programmer davantage d’artistes locaux.â Dâici lĂ , les deux amies continuent de sortir Ă tĂątons sans trop savoir sur quel pied danser.

©Nacht Clubs Berlin, Sabrina Jeblaoui

Lea, une française à Berlin / ©Sabrina Jeblaoui