« Back To Mine » : Nightmares On Wax nous raconte son processus artistique
Nightmares On Wax ne s’arrête décidément jamais. A Word Of Science, son premier album, sortait en 1991, il y a presque 30 ans. Il n’a depuis eu cesse de faire avancer la musique électronique, avec des productions down-tempo, trip-hop, house et parfois trop uniques pour être répertoriées. Et pourtant, en discutant avec lui, son enthousiasme donnerait l’impression d’être face à un artiste à ses débuts, prêt à sacrifier du temps pendant ses vacances à Jakarta pour discuter de son album à venir.
Sorti vendredi dernier, ce nouveau disque revêt une importance particulière. Cela faisait 10 ans qu’on n’avait pas eu le droit à un nouveau Back To Mine. La série, qui propose à des artistes d’offrir un mix composé de morceaux qu’ils écouteraient chez eux plutôt qu’en soirée, revient enfin avec Nightmares On Wax au commande. Après The Orb, Carl Cox ou encore New Order, le DJ anglais vient marquer de son empreinte cet ensemble de compilation, et nous prouve une nouvelle fois qu’il ne compte pas se reposer sur ses lauriers. Plutôt qu’un mix rétrospectif, George Evelyn a préféré offrir un aperçu de ses travaux et inspirations du moment. Pour Tsugi, il se livre sur cette nouvelle sortie, sa carrière et son processus créatif.
10 ans plus tard Back To Mine revient, et tu es chargé d’assurer ce retour. Quel est le sentiment d’avoir été appelé pour un tel projet ?
D’abord et avant tout c’est un honneur. C’est une série dont j’étais fan dès le début. C’est aussi arrivé à un moment parfait. Lorsque l’on m’a appelé, je mixais beaucoup et je ne pensais vraiment qu’à la musique. C’est le même contexte que lorsqu’on m’a demandé de faire une compilation DJ-Kicks : en pleine tournée et entièrement concentré sur mes mixes. Et le feeling était le même aussi : je savais que ça allait être quelque chose de cool à faire. Directement, j’ai su que je ne voulais pas faire un album chill-out. Le but, c’était de partager ce que j’écoute vraiment en rentrant chez moi.
J’en ai profité pour approcher les artistes dont je me sens le plus proche en ce moment pour voir ce qu’ils avaient à me proposer. Après, il y a toujours la difficulté de prendre toute cette musique et de la transformer en un récit pour celui qui écoute. Je voulais aussi m’assurer qu’il y ait des exclusivités pour que certains des sons soient propre à l’album. Au final, tout s’est mis en place d’une façon assez magique. Je ne peux pas dire que c’était simple, mais je suis très satisfait du résultat.
On retrouve beaucoup de morceaux contemporains dans ce mix. Le but était-il de présenter la musique qui continue à te motiver après plus de 20 ans de carrière ?
Je trouvais ça vital d’envisager le mix à partir de mon état d’esprit actuel et de ce que je fais maintenant. Etant donné que je suis dans le circuit depuis longtemps, c’est assez facile pour les gens de m’associer à une époque ou à un son particulier. Je ne veux pas constamment me raccrocher au passé, je préfère regarder en avant.
Cette modernité est surtout très importante dans la manière dont je fais de la musique maintenant. Evidemment il y a des influences de tout ce qui est venu avant. Mais la question c’est : comment on avance avec ça. J’aurais très facilement pu fouiller dans les classiques, mais ça n’aurait pas été dans l’esprit du mix étant donné que ce n’est pas ce que je joue en rentrant chez moi. Il y a juste tellement de bonne musique qui circule. La diversité d’aujourd’hui est géniale, et on a des productions de partout au monde, au-delà des Etats-Unis et du Royaume-Uni. J’aime l’idée d’utiliser cette plateforme pour que ces nouveaux artistes soient découverts.
La connexion que tu as avec la musique qui sort aujourd’hui est-elle aussi forte qu’avec les sons qui sortaient à tes débuts ?
Une des forces des sorties actuelles est de pouvoir taper dans plusieurs époques à la fois. Bien sûr, je m’intéresse plus à ce qui a des influences hip-hop ou club, mais la musique actuelle est tellement variée que c’est dur de la résumer à ça. Beaucoup de choses m’ont influencé au cours de ma carrière, mais concernant ma manière d’être DJ et de produire je pense puiser dans plusieurs sources. Quand je mixe, je cherche surtout à construire un récit, où la personne qui écoute navigue facilement d’un morceau à l’autre. Ma plus forte connexion c’est d’abord à l’harmonie, pas à une époque.
Dans le processus de sélection musicale, arrives-tu à discerner l’influence que t’as eu ?
Par exemple, quand j’ai écouté le morceau de Children Of Zeus, je me suis dit « oh mon dieu, c’est tellement moi! ». Et j’en étais particulièrement fier surtout qu’ils viennent de ma région du Nord de l’Angleterre. Leur musique joue avec l’âge d’or du hip-hop, avec un sentiment neo-soul et très vibey. Ca me fait plaisir car beaucoup de gens connaissent aujourd’hui la musique du Royaume-Uni à travers la scène grime mais je trouve ça important qu’on sache que ces sons existent aussi.
Arrivais-tu à anticiper, à l’époque, que t’aurais cette influence ?
Franchement non, mais je me rends compte en jouant et en faisant des tournées que ma musique a beaucoup voyagé. J’ai souvent l’impression d’être le dernier à apprendre où elle a voyagé, c’est plutôt quelque chose qu’on me rapporte. A travers mes différentes dates, je découvre l’existence de fan-bases que je ne soupçonnais pas. Parfois ça arrive même des années après que j’ai sorti des albums.
Je pense qu’internet y joue un grande rôle. Ca me montre surtout la diversité d’écoute d’aujourd’hui. Les gens ne s’intéressent plus à une seule chose. Personne ne dit « je n’écoute que du hip-hop, que de la jungle », chacun aime tout. Je commence vraiment à me rendre compte de ça et de l’effet d’internet en voyageant. En ce moment je suis à Jakarta, en vacances, et je suis rentré chez un disquaire qui a dit qu’il me connaissait et qu’il avait tous mes albums. C’était complètement irréel. C’est quelque chose que même aujourd’hui je suis incapable d’appréhender. J’ai toujours fait ma musique à 100% pour moi : c’est ce que j’aime et ce que je ressens. J’ai l’impression d’en récolter les fruits maintenant. Tous les témoignages que je reçois sur mon influence renforcent ce qu’étaient mes croyances même lorsque je produisais mes premiers disques.
Par rapport à cette compilation en particulier, je n’ai pas trop cherché à savoir si j’avais influencé ces artistes. Mais j’y retrouve ma vibe et ça continue à me motiver.
Découvrir ces nouvelles fan-bases, ça ajoute de la pression ? Le fait de se dire que les jeunes producteurs t’utilisent comme référence ?
Pas vraiment. Quelqu’un m’a dit il y a plusieurs années : « t’es seulement aussi bon que ton prochain album ». Il y a eu des moments dans ma carrière où j’ai sorti des morceaux qui ne me satisfaisaient pas complètement, mais c’est surtout parce que j’ai tendance à être très critique par rapport à mon propre travail. Je pense être à un âge où j’ai une vraie connexion à ma musique. Je sais ce que je ressens, et si je suis content de ma production, je ne me prends pas forcément la tête avec ce que les gens en penseront. Les hommages font toujours plaisir mais je ne le fais pas pour ça. Je le fais selon mon coeur, parce que la seule dont je suis sûr à 100%, ce sont mes sentiments.
S’il y a une pression, c’est plus par rapport au temps. Je suis pas très bon avec les deadlines même si je comprends leurs utilités. Pour cette compilation, c’était une difficulté. Trouver la musique, obtenir le droit de la diffuser, penser à comment tout mettre ensemble, et le tout en pleine tournée. A un moment, j’ai su qu’il fallait que j’attende d’être chez moi pour compléter ce projet. Certains pensent que la pression est positive, mais mes meilleures décisions viennent de moments où je suis heureux, où j’ai du temps et de la place pour réfléchir.
Vouloir travailler dans ton environnement, c’était spécifique à cette compilation ou c’est quelque chose de général à ton approche à la musique ?
Les deux. Evidemment, pour les besoins de cette série, il fallait que je ressente la musique chez moi, car c’est le lieu dont elle traite. Mais c’est aussi que mon studio est incroyable. Et ce n’est pas qu’une question d’équipement : c’est juste un très bel espace. Au fil des années je me suis rendu compte que mon espace créatif était sacré. Il faut que je puisse rentrer dans cette zone pour me canaliser, me connecter à ce que j’essaye de manifester. Ca n’a pas toujours été simple dans les différents studios où j’ai travaillé. J’appelle mon studio mon « vaisseau » : c’est de là que je décolle. J’ai aussi l’impression de ne pas prendre de mauvaises décisions quand j’y suis.
Quand je voyage ça m’arrive de travailler ailleurs. Par exemple, le morceau que j’ai fait avec Steve Spacek sur l’album Back to Mine a été fait à Sydney au studio de Ministry of Sound. Mais malgré tout, je l’ai fini en rentrant, chez moi.
Pour revenir à ce morceau produit avec Steve Spacek, mais aux autres exclusivités, on ressent une énergie très club dans ces productions. C’est une direction que tu comptes prendre pour tes prochaines sorties ?
L’histoire de ce morceau commence en Afrique du Sud. J’étais dans ma chambre d’hôtel, je me reposais et j’ai assemblé cette instru. Après je suis allé en Australie, j’ai vu Steve et on est allés au studio du Ministry of Sound. Je lui parlais du fait qu’on vivait tous sur un même vaisseau, la Terre, et que chacun d’entre nous appartenait à ce vaisseau. C’est ce qui a inspiré les loops pour cette chanson et son titre, « Good Ship ». Après notre session, je suis reparti en tournée et je ne suis pas revenu dessus. Mais quand j’ai été approché pour la compilation, j’y ai tout de suite repensé. C’était une démo que j’écoutais justement beaucoup chez moi. Mais en réalité, le titre a été produit il y a deux ans.
C’est ma façon de faire de la musique. Je ne m’assoie pas dans le studio en me disant « je vais faire un album« . Je fais toujours des petits bouts de musique, sporadiquement. A terme, les choses tombent en place comme un puzzle Jig-saw. Je commence à apercevoir des liens, puis une colonne vertébrale apparait. Les projets se révèlent à moi. Parfois c’est des EPs, des albums ou même juste des titres, mais j’ai confiance en ce processus.
Evidemment, dans l’absolu, je sais que je referai un album. Mais je vais pas juste louer un studio, m’y assoir 10 jours et tenter de le compléter en un coup. J’ai déjà essayé, ça ne fonctionne juste pas comme ça pour moi.
C’est cette spontanéité qui permet la diversité du projet Nightmares On Wax ?
Oui. Je peux avoir une idée initiale qui se transforme en quelque chose d’autre. Ca m’arrive aussi d’avoir des sentiments que je ne comprends pas. Sur mon dernier album, la démo du morceau « Citizen Kane » remonte aux alentours de 2001. Mais je l’ai sorti il y a deux ans seulement. Je n’essaye jamais de forcer un titre dans un album, il trouvera sa place naturellement. Ce soir, je pourrais faire quelques beats et mélodies assez facilement. Et peut-être qu’ils apparaîtraient dans le prochain album, ou peut-être pas.