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DJ Varsovie @ Astropolis Hiver 2020 / ©Evan Lunven
21 avril 2020

Avec sa techno, DJ Varsovie veut être le prince noir du camping

par Anaëlle Abasq

50% ténèbres, 50% camping, DJ Varsovie est l’étoile filante de l’underground électronique française, le gourou des platines en peignoir en satin, un mec de Fontenay-sous-Bois à l’âme en peine mais au cœur bon. Rencontre avec le DJ ténébreux et mélancolique qui se rêve en animateur de bals de camping, le poète maudit de la techno. 

Il avait particulièrement retenu notre attention en février dernier, au festival Astropolis Hiver à Brest. Avec son univers sombre mais plein d’auto-dérision, DJ Varsovie ne laisse pas indifférents celles et ceux qui tentent d’exorciser quelques démons dans la fièvre nocturne. Aliéné par les souvenirs d’une époque définitivement révolue, “celle où l’intuition naïve des premières fois accompagnait nos découvertes”, le producteur du 94 s’est donné pour mission de faire vibrer tous les campings et salles de fêtes de France (et même d’ailleurs) au son de sa techno. Avec cinq EPs au compteur, dont le dernier Alien Love Songs prévu le 24 avril, DJ Varsovie est également aux rênes du label Intervision et a déjà collaboré avec Anetha, ABSL, ou encore I Hate Models. Si ses kicks saturés n’ont pas encore résonnés dans vos oreilles, il est grand temps de vous y mettre avant que celui qui aime se définir comme “le prince du camping” ne passe dans une nouvelle ère. Peut-être un peu nostalgique, définitivement mélancolique, DJ Varsovie n’en est pas moins visionnaire pour autant. Hanté par ses souvenirs brisés, l’artiste s’est confié. Attention, il nous avait prévenus : cosmonaute à ses heures perdues, sa tête se perd parfois dans les étoiles.

 

« Ma musique n’est pas ouf en vrai. Ce sont des morceaux un peu ratés, des tentatives… Mais par contre, je peux vous assurer que j’y ai mis tout mon cœur. »

Serait-ce chercher du sens où il n’y en a pas de te demander pourquoi « Varsovie » ?

Encore jeune – je parle ici de mon année de 3ème – je cherchais un nom pour un projet d’EDM que je menais aux côtés de mon ami BLNDR. Nous souhaitions rallier nos rêves d’enfance, d’Amérique, de canyons brisés sous le soleil rauque, d’horizons brûlés par les cris des moteurs. Bref, nous rêvions de voyages… Par ailleurs, mes origines de l’Est commençaient à résonner au fond de moi, presque imperceptiblement. Alors que j’étais en classe, j’eu comme une révélation : cette musique estivale que nous affectionnions devait avoir son revers, un aspect plus sombre afin que l’ADN de notre monde y ait sa place. Un monde adolescent aux vibrations aléatoires sur le cœur encore nu. Un monde impitoyable de nouveautés. Pour contrebalancer le caractère chaud et ensoleillé de nos fantasmes, mon nom se devait d’évoquer une région froide du globe. Et ainsi naquit DJ Varsovie.

Que faisais-tu avant de sortir ton premier EP, Vampire, en 2017 ?

Je faisais des ballades amoureuses pour l’ISS, des romances stellaires, dans une éternelle rêverie post-adolescente. Quand mes parents s’absentaient, j’invitais quelques amis chez moi et nous organisions des soirées science-fiction. Je leur faisais écouter mes créations maladroites, mes tentatives. Peut-être une des plus belles périodes de ma vie, entre 17 et 19 ans… Puissante de tremblements intérieurs. La force de vie perçait la crasse lourde de nos émotions. Une crasse que l’on retrouvait sur le duvet chaque matin au réveil, sur ces draps qui passaient la nuit à éponger nos rêves, nos aspirations nocturnes d’horizons…

Comment s’est passée ta première rave party ?

J’y suis allé en Vélib… Une maison à Créteil entre le restaurant portugais et le concessionnaire Renault. Elle était habitée par des Roumains qui jouaient de la psytrance, galaxie rouillée où s’alignaient les astres fluorescents comme des regrets figés sous la lumière noire. C’est là que j’ai rencontré ma première copine. Ce soir-là, nous n’étions pas encore ensemble et elle avait embrassé un des occupants. Je suis rentré chez moi et j’ai pleuré.

Ta première référence musicale est-elle aussi triste que le souvenir de ta première rave ?

Non, car le monde venait de commencer et avec en B.O. “Un jour je m’en irai” de Marcel Mouloudji.

Pour quelle raison tiens-tu autant à être « le Prince du camping » ?

Pour accompagner les couples qui se défont à la fin de l’été, pour jouer l’ultime morceau du bal, le slow sur lequel l’amour se brise. Et pour rester dans les mémoires le long de l’autoroute, quand le Scénic arrive au port du quotidien… à des années lumières du soleil.

Astropolis Hiver 2020 / ©Evan Lunven

Un souvenir d’une expérience camping ?

À 18 ans, avec quelques amis, nous étions partis dans les Landes à Moliets Plage. La journée avait été belle. Nous avions montré nos talents de bodyboarders toute l’après-midi, effectué quelques figures qui avaient fait de nous de fiers sportifs et nous étions sortis de l’eau en vainqueurs… À l’heure de se détendre, le rosé coulait à flots et nous nous racontions nos anecdotes les plus comiques. Le soleil avait du mal à s’éteindre, nous le gardions en vie. La nuit tombée, les vampires qui sommeillaient en nous se sont réveillés. Assoiffés de sang jaune, également appelé “Ricard”, et prêts pour une fête d’anthologie, nous voilà sur le Strip, foulant le béton sous le sable de l’allée principale, symbolisant la frontière entre les deux campings, ennemis de toujours… Après avoir essayé plusieurs bars, nous avons décidé de suivre un groupe de Hollandais qui se dirigeait vers une autre partie de la cité balnéaire. Nous nous sommes retrouvés dans un bar à l’ambiance électrique ! Une horde hollandaise en feu (célébrant, je crus comprendre, l’anniversaire d’un des leurs, un certain Koenraad). Sur la piste de danse, les tubes s’enchaînaient jusqu’au moment fatidique où le DJ, un cinquantenaire, gourou d’une Hollande déchainée, se décida à sortir son arme fatale, son sésame pour libérer cette foule encore prisonnière d’elle-même : « Gasolina« . À ce moment-là, mon ami Florian nous proposa un terrible pari : s’il dansait le twerk avec l’une des Hollandaises, nous devions lui payer la tournée pour le reste de la soirée… Ivre et inconscient nous acceptâmes. Quelques minutes plus tard, il se trémoussait faisant crier tous les fantômes de son corps ! La déesse de Maastricht répondit avec ferveur. Le coq Florian était sorti de la cage et ce n’était pas l’aurore… Mais dans l’exécution de l’un de ses diaboliques pas de danse, il glissa sur le sol suintant de Red Bull et dans sa chute se cogna sur le bord d’une table. Ayant perdu connaissance, nous avons dû l’emmener à l’hôpital. Il ne se réveilla pas. Ce fut sa dernière danse.

Sa description SoundCloud

 

Terrible histoire. Depuis, tu préfères les salles des fêtes ?

J’entretiens un lien spirituel avec ces lieux. Une salle des fêtes, c’est le temple du village, une gare ou l’on part en rêve en fermant les yeux, où l’on peut laisser la lumière de nos désirs nous éclairer. C’est un lieu où l’on pleure, où l’on crie en silence, où l’on se sépare… Une salle des fêtes, c’est un bras de fer avec les étoiles.

« Une salle des fêtes, c’est un bras de fer avec les étoiles. »

La première fois que nous nous sommes vus, au festival Astropolis à Brest, j’ignore si l’air du Grand-Ouest a quelque chose à voir là-dedans, tu m’as parlé d’autoroutes, de raves et de Gilets jaunes…

J’ai effectivement un rêve. Je souhaiterais organiser un festival sauvage sur le dernier péage de l’Autoroute du Soleil. L’occuper de manière permanente et y réaliser un Woodstock à la française. Nous ferions barrage jusqu’à l’obtention du retrait de la concession autoroutière donnée à Vinci qui se goinfre pour ses actionnaires aux dépens des estivants, et qui applique des tarifs plus qu’insultants, en perpétuelle augmentation. Personne n’a le droit de bloquer ainsi l’accès à la côte et au repos ! Pour ce festival, j’ai pensé à un line up très spécial. Des artistes qui, j’en suis sûr, se feront un plaisir de défendre le droit aux vacances en répondant présents sous la tempête des cocotiers en pleurs. Il y aurait Michel Fugain, Benny Benassi, Gaëtan Roussel, Benjamin Biolay, Pendulum et bien d’autres… Je suis déjà en contact avec certains agents qui m’ont répondu : « Varsovie, en voilà une idée excellente, ça nous changera du Festival de la grande Fourche ! »

En attendant de réaliser ce festival engagé, tu avais imaginé un festival avec un public en pleurs. Ce festival des Souvenirs Brisés aurait dû se tenir le 20 mars dernier, au Petit Bain

Artwork du festival annulé des Souvenirs Brisés au Petit Bain

Attention, un festival gothique ! J’avais, avant qu’il ne soit annulé par les autorités, préparé une déco digne des plus grandes cryptes avec posters de Buffy, Carrie au bal du diable, etc. J’avais également fait l’achat d’une cinquantaines de fausses bougies à LED qui auraient éclairé les ébats sanglants de nos vampires d’un soir, cette sombre partouze qui s’annonçait. La plupart des festivals vendent un moment agréable, des sourires, la fête, de la joie… Je voulais proposer un festival qui rende hommage à toutes ces fois où nous nous sommes sentis seuls, délaissés, face à nous-mêmes, où nous avons voulu rejoindre notre reflet dans la Seine, sinistre fleuve où s’accumulent les désirs broyés, les carcasses de R5 qui nous amenaient enfants sur la côte Atlantique.

Tu es du genre à déprimer dans des endroits conçus pour être festifs et “joyeux” ?

Je ne sais plus très bien ce qui est festif et joyeux, alors je ne saurais vous dire. Je me souviens juste du bois où nous allions, lorsque nous étions en classes de Première et Terminale. Sous des rideaux de lumières, nous rêvions à l’arrivée du printemps. Le printemps a disparu et le bois a été rasé. Depuis, ils ont construit un aéroport.

Tu en as d’autres, des récits de souvenirs brisés ?

La première fois où je me suis fais larguer. C’était sur un balcon d’appartement à Créteil, la cigarette la plus longue de ma vie. Le soleil s’est couché et je suis rentré chez moi à pied, désincarné. Le diable m’attendait pour une partie de crapette. Cette partie à durée de longs mois et j’ai fini par la perdre. Faut dire que cet enculé n’arrêtait pas de me faire boire…

On imagine que tu as essayé d’exorciser tout ça en composant. Quelle est la meilleure raison pour taper du pied sur ta musique ?

Ma musique n’est pas ouf en vrai. Ce sont des morceaux un peu ratés, des tentatives… Mais par contre, je peux vous assurer que j’y ai mis tout mon cœur et que, malgré la maladresse de l’exercice, j’ai pour chaque track fait transpirer mon âme comme le front d’un évadé. Ces morceaux sont pour moi de véritables Horcrux sponsorisés par Poliakov et la douleur. Je me réveillais de ces séances avec de nouvelles rides. Ils représentent une partie de ma jeunesse.

« Ces morceaux sont pour moi de véritables Horcrux sponsorisés par Poliakov et la douleur. »

Contre quoi pourrais-tu troquer tes beats techno ?

J’ai toujours rêvé d’être producteur de zouk, sur une île avec une Roland MV 8800 et de produire pour les fêtes du village le week-end en buvant mon punch sous le ciel percé d’étoiles. Mis à part ce rêve qui, j’en suis sûr, ne se réalisera jamais, je commence avec Tony Turbo un groupe de variété française futuriste : ça s’appelle Vol 2045. Imaginez Balavoine qui serait mort à l’instar de nos héros de l’aérospatial au décollage d’une fusée. Nos tubes « Zoé dans l’océan » et « Au bout du monde » nous emmèneront je l’espère, au top des charts. En tout cas, nous travaillons avec l’objectif qu’ils deviennent les derniers slows de cosmonautes en croisière…

Quelle est la pire destination pour faire la fête selon toi ?

Berlin, c’est une ville de pétomanes dépressifs. Peut-être Poitiers aussi…

Il paraît que te voir en live est une chance rare…

Effectivement, je deviens sourd à cause d’une maladie génétique et je ne pourrai bientôt plus animer de bals comme avant. Mes apparitions se feront de plus en plus rares au bénéfice de tous mes concurrents, ces terribles vautours qui n’attendent qu’une chose, instaurer l’electro-swing au sein des discothèques. Je profite de cette interview pour leur adresser un message clair : je ne vous laisserai pas faire ! Même au fond d’un trou je trouverai un moyen de vous en empêcher. Je vous mets en garde, il faudra percer mon corps et mon fantôme pour qu’une telle infamie puisse être commise. Je ferai un livestream depuis l’au-delà s’il le faut !

« Je commence avec Tony Turbo un groupe de variété française futuriste […] avec l’objectif que nos morceaux deviennent les derniers slows de cosmonautes en croisière. »

À défaut d’avoir pu te voir en live au Petit Bain, y a-t-il des projets en cours que l’on peut attendre ?

Oui, plusieurs œuvres qui s’annoncent terribles sont en préparation :

  • Her Clone, un slow avec l’amour et la mort, une quête fantomatique et macabre entre Cuba et Taiwan, je n’en dis pas plus…
  • Death Angel, ou l’apparition de l’ange de la mort dans un club de Torcy. Une double compile électro-house avec des remixes de Lag, Paul Seul, Influx, Imperial Black Unit et End Of Mortal Life.
  • Nostalgia 2032, rêverie futuriste sur A.R.T.S avec un remix de I Hate Models, grand prince des ténèbres.
  • Elle Venait de Saint-Nazaire, un autre slow – marin celui là – qui sortira sur Because Music. Il s’agit d’une dédicace à Hervé, le père d’une amie dont le cœur fut brisé sur le port de la petite Californie bretonne.

Plusieurs autres EPs sont en confection mais afin de ne pas vous gâcher la surprise, je préfère remettre leur annonce à plus tard !

Sur lesquels de tes titres tu nous conseilles de danser en attendant la fin du confinement ?

« Shadows On A Dancefloor » [véritable ode à Benny Benassi, l’un de ses héros, ndr], « September » et « Darkest Ballroom« .

Puisque tes récits sont effrayamment captivants, je vais finir cette interview en te demandant de nous raconter un cauchemar que tu aimerais oublier.

En CM2, c’était après avoir vu GoldenEye, j’avais rêvé que toutes les filles de ma classe s’étaient mises à nous buter en nous sautant dessus comme Xenia Onatopp. En nous baisant quoi ! C’était horrible mais excitant à la fois. Au petit déjeuner, je n’ai pu en parler à personne, encore moins à ma mère, vous imaginez bien. Cette terrible sensation d’excitation et d’effroi est restée dans le grenier de ma mémoire… Vous êtes à ce jour mes premiers confidents.

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